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Arrêtés Miot : Le Collectif écrit au Premier ministre


le Jeudi 10 Janvier 2013 à 18:08

Le Collectif de la société civile a été reçu, mercredi à Ajaccio, à sa demande par le préfet de région. Tous les membres du Collectif se sont exprimés pour réaffirmer leur unité et leur détermination à obtenir pour la Corse une décision permettant de proroger jusqu’en 2017 les dispositions de neutralisation fiscale sur la transmission par décès des immeubles situés en Corse et la solidarité du Collectif avec les décisions de la CollectivitéTerritoriale de Corse du 5 juillet 2012 et du 30 juin 2011, demandant au Gouvernement pour la première prorogation du dispositif pour les successions (ci-dessus visées) et pour la seconde que soit confiée à la Collectivité Territoriale de Corse la compétence pour « fixer l’assiette et les taux des droits de succession et en percevoir le produit »,



Arrêtés Miot : Le Collectif écrit au Premier ministre
Dans un communiqué le Collectif indique avoir "expressément demandé au préfet son intervention sans délai afin que le Gouvernement fasse connaître sa position eu égard le règlement des successions ouvertes à compter du 1er janvier 2013.
Le Collectif a remis au préfet une lettre destinée à M. Le Premier ministre, signée par tous ses membres.
Il s’est donné quelques jours pour recevoir, des pouvoirs publics, les réponses aux questions capitales qui sont posées.
En effet, il n’a pas été manqué de souligner que les incertitudes fiscales, les revirements de jurisprudence du Conseil d’Etat et les nombreuses incompréhensions ou contre-vérités nuisent gravement à la gestion des patrimoines familiaux et que cette situation ne peut perdurer.
Si aucune réponse ne parvient, le principe d’une manifestation populaire, pacifique, a été arrêté le samedi 26 janvier, selon des modalités à préciser.
Toutes les organisations corses de l’Ile et corses de la Diaspora, souhaitant se joindre à la démarche, peuvent se faire connaître auprès de 
alain.spadoni@notaires.fr
Le Collectif va prendre contact avec toutes les forces représentatives de la société Corse. Car nul ne saurait douter de notre détermination collective à défendre la terre et le peuple corses."

Lettre au Premier ministre

Voici le texte du courrier adressé par le Collectif de la société civile corse à l'hôte Matignon: 

Monsieur le Premier ministre,
Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 14 de la loi de finances pour 2013 qui, sur amendements d'origine parlementaire, décidait de proroger pour cinq ans l'ensemble des dispositions particulières à la Corse en matière de droits de succession.
Le Conseil constitutionnel a estimé que « le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement des droits de mutation » et « que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques ». Cette décision a provoqué un grand émoi dans l'île. L'opinion insulaire la considère majoritairement comme un mauvais coup porté à la Corse tant en raison de la méthode pour le moins expéditive, avec une décision du 29 décembre 2012 produisant sans appel des effets immédiats depuis le ler janvier 2013, que sur le fond dans la mesure où cette question emblématique du statut fiscal de l'île, aurait mérité, compte tenu des dispositions du statut de la collectivité territoriale de Corse et de l'Histoire, une plus grande concertation entre la Corse et l'Etat.
Cette décision nous apparaît injuste si l'on veut bien prendre en considération des éléments objectifs, de fait et de droit, qui se proposent de répondre aux griefs formulés par le Conseil constitutionnel à la fois au regard de l'absence de « motif légitime » et de « rupture d'égalité ».
Le premier élément tient au fait que ce régime dérogatoire résulte d'une négociation de nature politique à la suite des « Accords de Matignon » conclus en 1999 entre les élus de la Corse et l'Etat.
Hormis les mesures mineures codifiées aux articles 750 bis A et 1135 du code général des impôts (CGI) d'origine plus ancienne, l'essentiel de ce régime dérogatoire a été institué par l'article 51 de la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse, renforçant le statut de la collectivité territoriale de Corse, dont les dispositions ont été codifiées aux articles 641 bis du CGI pour ce qui concerne le délai particulier de déclaration des successions porté, sous certaines conditions, à 24 mois et 1135 bis du même code organisant une entrée progressive dans le droit commun pour ce qui relève du mode d'évaluation des biens immobiliers.

 Ce régime fiscal dérogatoire avait été institué dans le cadre d'une double contrepartie : d'une part, les Corses ont été contraints à abandonner le régime fiscal historique institué en 1801 sous le nom d'Arrêtés Miot ; d'autre part, le régime dérogatoire repoussait l'entrée en vigueur du droit commun dans l'attente d'une remise en ordre juridique du patrimoine insulaire présentant, de l'avis unanime des spécialistes, de graves lacunes notamment au regard de la tenue du cadastre et surtout en raison de l'extrême difficulté dans laquelle se trouvent placés les notaires pour procéder à la confection des titres de propriété, difficulté d'ordre juridique dont le caractère atypique dans l'Île avait été soulevé par la profession et les magistrats de l'ordre judiciaire dans les années 1980 à l'occasion d'une mission diligentée par le Garde des Sceaux M. Robert Badinter.
Or, depuis l'intervention de la loi du 22 janvier 2002, si l'abrogation de l'arrêté Miot est bien devenue effective à compter du 23 janvier 2002, la contrepartie promise a tardé à se mettre en œuvre et ses effets sont pour le moins encore attendus. Ainsi, le Groupement d'Intérêt Public pour la Reconstitution des Titres de Propriété en Corse (GIRTEC) n'a été créé qu'en 2006, sa convention constitutive seulement signée en 2008 et son travail n'a réellement été entrepris de manière effective qu' en... 2009.
L'article 51 de la loi du 22 janvier 2002 constituait bien à maints égards un « contrat » entre les Corses et l'Etat. La décision du Conseil constitutionnel y met fin d'un trait de plume de manière aveugle, sans tenir compte du contexte spécifique et des difficultés qui persistent. Dans cette circonstance, les Corses considèrent que le compte promis par l'Etat dans la balance n'y est pas.

Le deuxième argument prend sa source dans la pression foncière dont l'Île est devenue la proie.
Depuis une dizaine d'années, la Corse subit, sans défense et sans pouvoir régulateur, une pression continue sur l'immobilier qui a pour conséquence de provoquer une hausse des prix dont les effets dévastateurs ont maintes fois été dénoncés, notamment lors des Assises du foncier organisées par la collectivité territoriale de Corse.
Cette pression insidieuse met directement en péril l'équilibre de la société corse en termes, bien réels ceux-là, de rupture d'égalité entre les habitants permanents et les « résidents occasionnels ». D'autant que les outils d'intervention promis, notamment l'établissement public foncier, sont encore en gestation.
Dans un tel contexte, l’introduction, pour la première fois depuis 1801, de la valeur vénale comme base d'évaluation des biens immobiliers sis en Corse ne sera pas sans dommage sur le montant de l'impôt sur les successions. Compte-tenu du niveau moyen des revenus dans l'île, hors de proportion parfois avec l'évaluation des biens telle qu'elle résulte du jeu de l'offre et de la demande sur un marché incontrôlé, les Corses savent pertinemment que la pression foncière qu'ils subissent peut les conduire dans un temps limité à vendre leurs biens pour payer les droits d'hériter.
Ce risque est fondé : veut-on le mettre en œuvre?

Enfin, le troisième argument est tiré de la relecture même des décisions du Conseil constitutionnel relatives aux dispositions fiscales particulières reconnues à la Corse.
Les Corses ne peuvent comprendre que des dispositions adoptées pour certaines depuis 1986, pour d'autres en 2002 soient considérées aujourd'hui comme contraires à la Constitution alors que le Conseil constitutionnel n'a pas soulevé la moindre réserve lors de l'examen de lois qui ont confirmé ce régime dérogatoire. Il en est notamment ainsi dans sa décision n° 2008-574 DC du 29 décembre 2008 relative à l'examen de la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443 du 30 décembre 2008) dont l'article 33 avait prorogé de deux ans, jusqu'en 2012, les mêmes articles du CGI à présent incriminés.

L'incompréhension est d'autant plus prégnante que dans sa décision n° 94-3 50 DC du 20 décembre 1994 relative à la loi portant statut fiscal de la Corse, prorogeant notamment les mesures de 1986, le Conseil constitutionnel n'a pas soulevé d'objection à ce que la Corse dispose de mesures dérogatoires dans ce domaine. Il a même validé à cette occasion le fait que le législateur puisse admettre que la Corse bénéficie d'un statut fiscal dérogatoire pour tenir compte des disparités liées à l'insularité et aux conditions économiques qui la placent de facto dans une situation différente au regard des autres parties de la France métropolitaine.
Si l'absence de « motif légitime » devenait le critère par lequel serait appréciée toute disposition particulière reconnue à la Corse, nous laissons augurer ce qu'il résulterait in fine du particularisme corse dans le domaine fiscal, par exemple au regard des taux particuliers de TVA qui existent depuis 1963 et 1968. Ils constituent une dépense fiscale bien plus importante pour l'Etat qui devrait être déclarée sans « motif légitime » puisqu'elle n'a pas produit les effets escomptés dans l'abaissement du coût de la vie en Corse qui bat malgré l'application de ces taux des records en ce domaine depuis des décennies.
Nous n'osons imaginer les conséquences d'un tel raisonnement dans le domaine culturel, de la langue ou mieux encore sur le plan institutionnel.
Pour l'ensemble de ces raisons, les Corses qui vivent cette décision comme une sanction et un recul, vous demandent solennellement, Monsieur le Premier ministre, de bien vouloir reconsidérer la prorogation du régime dérogatoire applicable en Corse en matière de droits de succession.

Les signataires, membres du Collectif de la Société Civile