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Annonces de Gabriel Attal sur la santé : les médecins corses réagissent


Laurent Hérin le Lundi 8 Avril 2024 à 15:13

Le Premier ministre a dévoilé samedi une série de mesures pour faire face à la crise des soins de ville. L'objectif est de récupérer 15 à 20 millions de créneaux médicaux annuels. Certaines mesures ne font pas l'unanimité en Corse. Réactions



Photo d'illustration
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Gabriel Attal peut se faire du souci mais pas pour sa villa de Coti-Chiavari qui est bien protégée, comme on a pu le constater ce week-end avec le quadrillage terre et mer effectuée par les forces de l'ordre face aux militants de Core in Fronte. En revanche, ses dernières annonces sur l’hôpital puis les soins de ville ont ulcéré successivement les médecins spécialistes et généralistes, au risque de torpiller les négociations tarifaires en cours, centrales dans le système de santé françaisDans un entretien accordé à la presse quotidienne régionale samedi, le chef du gouvernement a affiché sa volonté de récupérer 15 à 20 millions de créneaux médicaux. Selon Matignon, il s'agit de répondre au souci majeur des Français: l'accès aux médecins, la capacité de trouver un rendez-vous dans des délais acceptables. Mesure de fond mais de long terme, le gouvernement va continuer de pousser les murs des facultés de médecine: le nombre de places en deuxième année passera de 10.800 en 2023 à 12.000 en 2025, puis 16.000 en 2027, a-t-il annoncé. Mais le remplacement de l'ancien numérus clausus (places très limitées) par ce numérus appertus ne commencera à produire ses effets qu'à partir de 2035, le temps de former ces professionnels.
 

"Effet d'annonce"
Pour le docteur Cyrille Brunel, du Collectif ML Corsica (Collectif des Médecins libéraux de Corse), c'est plutôt une bonne mesure puisque le manque est flagrant. Il donne même l'exemple de l'hôpital de Bastia dont le service d'urgence manque cruellement d'internes. Dans le même temps, il met en garde sur les capacités à accueillir et à former un nombre suffisant d'étudiants et sur des promesses souvent non tenues : « Ce manque de médecins est le résultat de l'échec des politiques en la matière, depuis 30 ans. » Un avis partagé par Francescu Suzzarini, médecin généraliste à Querciolu : « Aujourd'hui, nos structures ne sont plus adaptées, il faut doubler le nombre de praticiens, mais j'ai peur que ce soit un effet d'annonce. » Ce dernier insiste d'ailleurs sur la dissonance de ces annonces qui ont conduit à l'arrêt des négociations en cours : « Il aurait pu attendre la fin de ces négociations. Disons que ça tombe bien ces mesures. Reste à les appliquer… » Il déplore également le manque de concertation avec la base : « Tout est dissocié de l’organisation territoriale. C'est plus pertinent si ça vient du bas et que ça remonte. » D'ailleurs, les médecins insulaires étaient censés participer à la consultation, la CPAM (Caisse primaire d'assurance-maladie) avait donné son feu vert, il n'en sera finalement rien.

Simplifier les procédures
Dans l'attente, la stratégie du gouvernement vise donc à reconquérir du temps médical toujours dans l'idée de simplifier et désengorger les cabinets médicaux. Ainsi les pharmaciens pourront prescrire des antibiotiques pour les angines et les cystites, les opticiens pourront directement adapter les lunettes des patients qui n'auront plus à passer chez un ophtalmologue et les rendez-vous chez les kinésithérapeutes pourront être pris sans consultation préalable.
Des mesures qui interpellent. « Elles prouvent surtout qu'il y a une vraie méconnaissance du terrain et de notre système de soins » précisent, en chœur, les docteurs Brunel et Suzzarini. Pour eux, retirer le médecin généraliste de l'équation, c'est tendre vers plus de consommation, l'efficacité en moins. Ils rappellent que soigner une angine, c'est faire un examen pour voir s’il y a d’autres pathologies, si les poumons sont touchés, etc. et pas uniquement délivré une ordonnance. « Attention au consumérisme médical. Le médecin généraliste ne vend pas des médicaments, il examine » ajoute le Dr Suzzarini tandis que le Dr Brunel souligne la pertinence des patients envoyés et le rôle de "tri" effectué par les médecins traitants qui évitent que « ça explose derrière. » 

Responsabiliser les patients
Ainsi les patients qui n'honorent pas leurs rendez-vous et annulent moins de 24 heures à l'avance vont devoir payer: la sanction ou taxe lapin, déjà annoncée en janvier, sera de 5 euros et reviendra directement au praticien.
Selon l’Ordre des médecins et des syndicats comme l’UFML, ces "lapins" représentent 27 millions de consultations perdues chaque année. Pour le Dr Brunel, la mesure pourrait être intéressante mais « on ne peut pas dire que l'indemnisation à 5 € n'est pas à la hauteur d'un rendez-vous perdu. » Il rappelle que les psychiatres pratiquent déjà cette taxe mais encaissent le coup total de la consultation. Même chose avec les rendez-vous pris sur la plateforme Doctolib. Le Dr Suzzarini préfère insister sur les spécificités territoriales, absolument pas prises en compte. « Un exemple, les télécabines de consultation se développent en Corse, dans les pharmacies. Elles sont installées par de grands groupes et la consultation est faite par un médecin extérieur. Il a une méconnaissance du territoire, de ces spécificités et ne peut faire aucun suivi sur son ordonnance. C’est dissocié de l’organisation territoriale. »

La Confédération des syndicats médicaux français de la région Corse s'est également fendu d'un communiqué dans lequel, elle prend, elle aussi, « acte des annonces formulées par le Premier Ministre et s'étonne du moment choisi ; alors même que les négociations conventionnelles s'enlisent et que nos spécificités insulaires ne sont toujours pas reconnues. » Plus loin, elle précise « c'est aussi ne plus reconnaître l'expertise du médecin traitant » avant de conclure : « En matière de santé aucune revalorisation de profession ne peut se faire au détriment d'une autre. Notre système de santé, dans sa totalité, doit être repensé de manière innovante. » Sur ce point, tout le monde s'accorde.