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À Ajaccio, la CLE tire la sonnette d’alarme sur la pauvreté des enfants


Alba Marcelli le Jeudi 16 Octobre 2025 à 14:14

La coordination inter-associative de lutte contre l'exclusion (CLE) organisait mercredi 15 octobre à l'hôpital de Castelluccio un colloque sur le thème "Enfance et pauvreté" - "Enfants pauvres...pauvres gosses ?". Alors que 15 000 enfants seraient sous le seuil de pauvreté en Corse, selon un rapport de Ghjuventù di Manca, le but de ce rendez-vous était de mieux éclairer sur cette problématique afin de réfléchir à des solutions pour améliorer leur sort et de construire une Corse moins pauvre.



Alors que la Corse reste la région la plus pauvre de France métropolitaine selon l'Insee, le colloque annuel de la Coordination inter-associative de Lutte contre l'Exclusion a cette fois voulu se pencher sur la question délicate de l’enfance et de la pauvreté. Une problématique encore souvent invisibilisée sur notre territoire. Ce mercredi après-midi, au fil d'interventions, d’études et d'échanges, ce rendez-vous a permis de faire tout la lumière sur ce sujet. Des idées ont également été partagées pour lutter la précarité qui touche les enfants.  
 
Si la CLE a choisi cette thématique, c'est parce "qu'il n'y a rien de plus injuste. Un enfant n'a pas choisi de naître dans la misère. Un enfant n'a pas choisi d'être éduqué avec de petits moyens (...) Les chiffres montrent bien que ces enfants ont moins de chance de suivre un parcours scolaire de longue durée, d'être en meilleure santé. Les enfants pauvres dans un bon nombre de cas, deviennent des adultes pauvres. C'est pour cela que ça nous a semblé normal de porter cette année les feux dessus", explique le Dr François Pernin, président de la CLE. "Ce colloque témoigne, clairement, que nos actions, aussi nombreuses et généreuses qu’elles soient, ne suffiront pas, à elles seules, à faire reculer la misère et à éteindre l’incendie (...) C’est d’une stratégie globale, incluant tous les talents, dont nous avons besoin aujourd’hui", pose par ailleurs la CLE. Et l'organisation de ce colloque s'inscrit dans cette volonté. 

Dans cette optique, la parole a été donnée à plusieurs intervenants spécialistes de la question : Xavier Emmanuelli – co-fondateur de Médecins sans Frontières, Fondateur du SAMU social de Paris et du SAMU social international, ancien secrétaire d’Etat chargé de l’action humanitaire d’urgence - venu parler des enfants des rues d'autres pays ; l’association Ghjuventù di Manca, auteur du rapport "Pauvreté des enfants en Corse, l’urgence sociale" ; Frédéric Jésu qui a été pédopsychiatre de service public avec des fonctions de chargé de mission dans le champ des politiques de l'enfance, de la jeunesse et des familles, désormais consultant et formateur en matière de politiques éducatives locales et Jean-Pierre Rosenczeig magistrat spécialisé, professionnel de la protection de l'enfance et militant associatif.

En ouverture, la parole a en outre été donnée aux enfants "Copain du Monde" du Secours populaire à travers une mise en scène théâtrale."Nos voix, c’est l’avenir". Plusieurs adolescents ont présenté leurs slogans, leurs solutions pour sortir de la précarité : "Un toit, ma chambre, ma dignité", "Stop à la faim, cantine pour tous ". 

Lors de l’ouverture du colloque, François Pernin a tenu à remercier les élus présents (le député Paul-André Colombani et les conseillères Danielle Antonini et Muriel Fagni), les maires premiers échelons face à la misère, les députés qui font remonter la voix des pauvres, les présents, fantassins de la misère, les éducateurs et professeurs entre autres, eux qui ont "la clef de la résolution de la pauvreté en développant les talents."   Si la pauvreté est reconnue aujourd'hui comme un problème de politique majeure de notre région, "maintenant il faut passer à l’acte". 

Donner plus de visibilité à cette question de l'enfance et de la pauvreté

Simon Pierre Mattei de l’association Ghjuventù di Manca a présenté le rapport réalisé en 2024 "Etat des lieux de la précarité des mineurs en Corse". "Nous avions besoin de présenter ce rapport parce que la problématique de la précarité de l'enfance en Corse est invisibilisée. Pas qu'elle ne soit pas traitée, pas qu'elle ne soit pas importante, pas qu'il n'y ait pas de travail en cours par les services publics  même au contraire, seulement l'étude est très récente avec des chiffres actualisés, des conclusions et des propositions", explique-t-il.

Selon l'association, le sujet est invisibilisé pour plusieurs raisons : l'évaluation de la pauvreté est faite à l'échelle d'un ménage et la prise de conscience des causes et conséquences de la pauvreté dans l'enfance est assez récente. L'objet de ce rapport a été de s'intéresser à l'aspect pauvreté des enfants, aux enfants qui vivent dans des familles précaires ou qui sont touchés par la pauvreté, aux causes. "Il y a des chiffres qui sont assez parlants". 

1/4 des enfants sont pauvres en Corse

Aujourd'hui, 15 000 enfants seraient sous le seuil de pauvreté. "C'est un chiffre qui est tout simplement énorme", souffle le représentant de Ghjuventù di Manca. " 24% des enfants en Corse sont pauvres. Cela nous a paru important d'en faire une priorité sociale absolue". En parallèle, le rapport dresse le constat suivant : la région compte plus de parents isolés -à 80-90% des femmes- que sur le continent et moins de possibilités de garde. 23% des enfants vivent avec un parent seul. 34% des parents isolés sont pauvres. Les signalements reçus par la protection de l'enfance ont augmenté en 5 ans de 50%. Cette pauvreté de l’enfant se caractérise par des privations matérielles et psychiques : aller à l’école le ventre vide, ne pas partir en vacances, occupation d’un logement trop petit… ce sont beaucoup les mères seules qui sont confrontées à cette pauvreté. 

Face à ces constats, quelle politique publique d’urgence ? L’association en conclusion de son étude apporte des pistes d’idées comme le rattrapage du manque de places en crèche (il en manque 2000 sur l'île), l'accentuation du soutien à l’Aide Sociale à l'Enfance, la création de maisons des enfants, ou encore rendre l’école davantage gratuite (cantine et fournitures). Les auteurs appellent aussi à "aller encore plus loin", en créant par exemple un statut de parent isolé, ou en développant la collaboration avec les bailleurs sociaux…

L’association souhaite prioriser et donner plus de visibilité à cette question de l’enfance et de la pauvreté. "Il n’est pas possible d’avoir plus de 15000 enfants pauvres en Corse d’où la nécessité de son urgence", insistent ses auteurs, en soulignant que l'objectif est de transmettre ces analyses, conclusions et propositions aux services publics.

Les temps libres de qualité sont bénéfiques pour les enfants vivants dans la précarité

Frédéric Jésu s’est d'ailleurs inspiré de ce rapport et a créé des connexions avec les travaux qu’il a mené.  Il a proposé d'axer son propos sur la question des compétences municipales en matière de politique éducative et notamment des temps libres des enfants et ce à quelques mois des élections municipales. Pour lui, les inégalités relèveraient plus d'inégalités du quotidien que d'inégalités liées à la scolarité et aux acquisitions scolaires. En Corse comme ailleurs, "les enfants ne sont en classe que pendant 10 % de leur temps de vie annuelle globale" et donc à 90% du temps sous la responsabilité juridique des parents et c'est là que pour le consultant en politiques éducatives locales, les inégalités commencent selon les conditions financières, sociales et culturelles des familles. 

Ce rapport "m'a aidé à prendre conscience du fait qu'il y avait certainement, à l'occasion des élections municipales, un certain nombre de points à faire valoir auprès des candidats et candidates en matière de transport scolaire, de tarification de la restauration scolaire mais aussi des accueils périscolaires du matin et du soir, de centres de loisirs". L'intervenant tenait à rappeler également que les CAF sont des institutions de sécurité, de solidarité nationale "qui jouent déjà un rôle important pour rendre possible un temps libre de qualité en direction de tous les enfants" ainsi que le secteur associatif. Proposer des temps libres de qualité pour les enfants, c'est un travail partenarial CAF, communes, intercommunalités, secteur associatif, rectorat. "Cette coopération et cette mise en cohérence peut prendre cette dimension de co-éducation pour laquelle je milite depuis bien longtemps."

Cette dimension de co-éducation va permettre à l'enfant "de manifester des compétences et des capacités d'acquisition de connaissances non scolaires par lesquelles il va pouvoir aussi révéler des aspects riches de sa personnalité." "Les enfants pauvres qui fréquentent des ateliers périscolaires ou des activités collectives en association sont des enfants qui sont souvent riches de leurs expériences (...)".

La lutte contre la précarité vient se heurter à d'autres difficultés, la question des moyens et une crise des vocations dans ces secteurs.