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Fouilles archéologiques : La métallurgie du cuivre attestée dans le Niolu


Nicole Mari le Vendredi 30 Août 2013 à 23:46

Une nouvelle campagne de fouilles archéologiques vient de s’achever à Calacuccia au Niolu sur le site d’U Castellu di Sarravalle. Depuis quatre ans, plus de 25 000 objets, datant du Néolithique, ont déjà été récupérés sur ce même site et étudiés. Cette année, des découvertes exceptionnelles ont été faites, notamment un habitat, une bouteille préhistorique intacte et, surtout, un lingot de cuivre qui atteste l’existence de la métallurgie du cuivre dans le Niolu. Explications, pour Corse Net Infos, de Ghjuvan-Filippu Antolini, archéologue, membre de l’APAUC (Association pour l’archéologie à l’université de Corse) et responsable du chantier de fouilles. Il vient de diriger sa 8ème campagne de fouilles dans le Niolu et sa 4ème d’affilée à U Castellu di Sarravalle.



Ghjuvan-Filippu Antolini et le lingot de cuivre trouvé sur le site d’U Castellu di Sarravalle au Niolu.
Ghjuvan-Filippu Antolini et le lingot de cuivre trouvé sur le site d’U Castellu di Sarravalle au Niolu.
- Que vous a livré cette nouvelle campagne de fouilles ?
- Elle s’est avérée extrêmement fructueuse, très intéressante et prometteuse pour la suite. Le terrain a été fouillé sur une surface de plus de 100 m2. Ce qui est assez rare pour un site ! Plus de 25 000 artefacts ont été mis au jour depuis 4 ans. L’ampleur de la surface fouillée nous permet de tirer un certain nombre d’enseignements et le nombre d’artefacts, de comprendre l’importance de l’occupation de l’espace. Nous commençons à bien connaître le site, à la fois, préhistoriquement et scientifiquement.
 
- Pourquoi avez-vous jugé nécessaire de fouiller ce site pendant 4 ans d’affilée ?
- Pour avoir une lecture correcte d’un site, on ne peut pas se contenter de fouiller une surface de 10 ou 20 m2. Il faut fouiller la plus grande surface possible. Il est très difficile de trouver des surfaces où la stratigraphie préhistorique est toujours en place et n’a pas été remodelée au cours des millénaires. La 1ère année de fouilles, nous avons effectué 20 m2 de sondages sur l’ensemble du site et nous avons trouvé, un peu partout, de la terre remodelée. A l’exception de la terrasse où est situé ce terrain.
 
- Pourquoi cette terrasse est-elle restée intacte ?
- Elle a été protégée par un rempart mégalithique situé en contrebas. Le rempart a emprisonné la terre rapidement et a conservé le site tel qu’il a été abandonné au Néolithique terminal – Chalcolithique par les hommes du Néolithique. Quand, dans les millénaires suivants, les hommes sont venus cultiver la terre à cet endroit ou creuser des fossés, ils n’ont pas atteint le niveau préhistorique. Ce qui nous permet, aujourd’hui, de travailler en stratigraphie.
 
- En quoi cette année est-elle fructueuse ?
- D’abord, par le nombre d’étudiants, supérieur à celui des autres années. Jusqu’à 25 étudiants ont travaillé durant ce mois d’août alors qu'ils n’étaient qu’une quinzaine l’an dernier et une dizaine, il y a trois ans. A 25, on abat un travail beaucoup plus important et on avance plus vite. Cela se ressent dans les statistiques. Ensuite, par les découvertes exceptionnelles que nous avons faites.
 
- La fouille de l’an dernier était déjà un très bon cru. Qu’y-a-t-il d’exceptionnel cette année ?
- L’an dernier, nous avons fouillé au pied du rempart dans une zone très remaniée. Cette année, en nous éloignant du rempart, nous sommes tombés sur un habitat qui a été occupé de manière intensive. Dans cet habitat, nous avons fait des découvertes exceptionnelles, notamment un foyer entier, a zilia, sur lequel les hommes du Néolithique faisaient le feu, et de l’argile, a terra rossa, qui était peut-être du pisé tombé du toit. Egalement, une bouteille entière en céramique intacte, près de 5000 ans après qu’elle ait été déposée, ce qui est très rare ! Ainsi qu’un vase éclaté tel quel et une abondance de fusaïole, ce qui semble indiquer que l’on tissait de la laine à cet endroit. Enfin, nous avons fait une découverte majeure : un lingot de cuivre, des scories de cuivre et, peut-être même du minerai à l’état naturel. Il faudra procéder à des analyses pour le confirmer.
 
- Pourquoi cette découverte est-elle majeure ?
- Le cuivre est le premier métal qui a été travaillé par l’homme dans le monde. C’est donc la 1ère métallurgie, c’est-à-dire la 1ère fois que l’homme transforme un minerai en le faisant fondre. La découverte du lingot de cuivre, associée à celle de tessons qui semblent être des tessons de creuset, atteste, de manière sûre, l’existence de la métallurgie du cuivre en Corse et dans le Niolu. Ça fait longtemps qu’on en cherchait les traces. C’est fait ! C’est fondamental ! Cela change tout !
 
- La métallurgie du cuivre n’était-elle pas attestée en Corse auparavant ?
- En Corse, nous n’avions que quatre sites ayant livré la métallurgie du cuivre, tous situés sur le littoral : Terrina à Aleria, Monticello en Balagne, Gregu et I Calanchi dans le Sud. Sarravalle devient le 5ème site prouvé et, surtout, le 1er site de montagne. Alors que tous les sites ont livré la métallurgie du bronze qui semble être la 1ère métallurgie qui se généralise sur l’ensemble de la Corse à la fin du 3ème millénaire, c’est-à-dire à partir de 2200 avant Jésus Christ.
 
- A quelle date s’établit la métallurgie du cuivre ?
- A différentes époques selon les régions. Dans le bassin méditerranéen, la 1ère métallurgie date de la fin du Néolithique, fin du 4ème millénaire- début du 3ème millénaire, l’âge qu’on appelle le Chalcolithique. Nous avons daté l’habitation, qui était en fonction au Niolu, entre 3000 et 2600 avant Jésus Christ, soit 400 ans d’occupation dans la 1ère moitié du 3ème millénaire. Le matériel, que nous avons retrouvé de l’autre côté de l’habitation, conforte, à un ou deux siècles près, ces dates. Il faudra faire des analyses.
 
- Pourquoi un lingot de cuivre ?
- Le cuivre était présent à l’état naturel partout dans le monde, y compris en Corse. Il était fondu et transformé en lingot dans un centre de production. Ces lingots pouvaient être transportés et refondus pour former des objets à l’aide de petits moules. Le cuivre, n’étant pas assez résistant pour fabriquer des armes, des cuirasses ou des outils agricoles, servait à faire des éléments utiles : aiguilles, épingles, éléments de vaisselle, peut-être même des bijoux…
 
- Que signifie cette découverte ?
- Cela signifie que Sarravalle est un site très important pour comprendre l’occupation et l’organisation de l’espace montagnard corse à la fin du Néolithique. Il est très important, non seulement pour le Niolu, mais aussi pour l’ensemble de la montagne corse. Le fait d’y travailler très tôt le cuivre atteste de la pénétration à l’intérieur des terres de l’ensemble des influences du bassin Méditerranéen, dès le Néolithique.
 
- Combien d’objets avez-vous trouvé cette année ?
- Sur les 3 premières campagnes, nous avons récupéré plus de 14000 objets. Sur cette campagne, nous n’avons pas encore fini de compter, mais nous estimons avoir trouvé près de 11 000 objets. Ce qui fait un total de 25 000 objets sur ce site.
 
- Le reste des objets est-il similaire aux découvertes des années précédentes ?
- Oui. Pour la plupart. A l’exception de ceux en rapport avec la métallurgie du cuivre. Nous avons découvert deux tessons susceptibles d’être des éléments de creuset qui était une grosse cuillère en céramique servant à couler le métal dans le moule. Nous avons également trouvé un nombre beaucoup plus élevé de pointes de flèches, d’armatures de traits perçantes en rhyolite. Lors de la 1ère campagne, nous en avions trouvé 24, lors de la 2ème campagne, 33, l’an dernier, 34. Cette année, nous en totalisons plus de 80, nous avons doublé le score !
 
- Où ces objets seront-ils visibles ?
- L’avantage d’une pièce archéologique, que l’on met au jour dans le Niolu, est qu’elle bénéficie d’un parcours idéal. Elle est mise à la connaissance de la communauté scientifique par les publications des rapports de fouilles. Une fois étudiée, elle est présentée au musée archéologique Lucien Acquaviva d’Albertacce où le grand public y a accès.
 
- L’an prochain, allez-vous encore fouiller le même site ?
- Oui. Ce site est la principale occupation du Niolu au Néolithique final. Les découvertes de cette année suscitent beaucoup de questions auxquelles les fouilles de l’année prochaine devront répondre Nous espérons trouver d’autres traces de la métallurgie du cuivre. Pourquoi pas un four de fusion du cuivre ? C’est un élément rare en Corse. Nous pensons, également, obtenir des réponses en élargissant le champ de la fouille autour des trois murs de l’habitation. Les trois murs partant dans trois directions différentes, nous aimerions comprendre l’organisation et la forme de la cabane. Nous avons prélevé des charbons pour faire des datations au carbone 14. Nous espérons obtenir le financement nécessaire pour cela.
 
- Avec ces fouilles successives, qu’espérez-vous encore prouver ?
- Comme le site est en stratigraphie, nous avons découvert beaucoup d’éléments uniques intacts. Nous espérons trouver d’autres céramiques entières et du matériel pour mieux comprendre la manière dont étaient fabriquées et décorées ces céramiques et si elles présentent des spécificités. Des tessons, découverts cette année, avec des décorations à l’intérieur et à l’extérieur, prouveraient un faciès particulier à Sarravalle. Pourquoi ne pas imaginer définir, un jour, le Sarravallien comme on a défini le Terrinien à Terrina !
 
- Quelles conclusions tirez-vous de toutes ces découvertes qui s’accumulent ?
- Le Niolu a été très occupé depuis au moins le néolithique ancien, 5800 avant Jésus Christ. Il n’était pas replié sur lui-même. Bien au contraire, la découverte d’une pointe de lance, d’inspiration étrusque que l’on retrouve dans les tombes Volterra en Etrurie, prouve que le Niolu était au cœur des échanges méditerranéens, donc au cœur du monde ! C’est normal, puisque, depuis pratiquement 8000 ans, il est occupé par un peuple de bergers pratiquant la transhumance, l'impiaghjera qui, en Corse, se fait des montagnes vers le littoral. De ce littoral où s’effectuent les échanges par bateau avec le bassin méditerranéen, les bergers vont remonter les objets et les influences.

- Le Niolu n’était, donc, pas en retard par rapport aux autres régions ?
- Non. Il était même en avance puisque, dans l’état actuel des recherches archéologiques, c’est le seul site de montagne où la métallurgie du cuivre est attestée ! Il a fallu, quand même, pour cela, mener quatre campagnes de fouilles à Sarravalle ! C’est à force de fouiller une région et un site, qu’on finit par en apprendre beaucoup. Comme Michel-Claude Weïss l’a fait en Balagne, comme François De Lanfranchi l’a fait dans l’Alta Rocca, j’espère, un jour, le faire dans le Niolu où il y a 150 sites à fouiller. Je fouille le 6ème, il en reste 144.
 
- Pourquoi ne sont-ils pas fouillés ?
- Toujours par manque de moyens ! Il faudrait mettre en place le même système qu’en Sardaigne où une centaine d’archéologues, payés à l’année, disposent des financements nécessaires. C’est indispensable pour mettre en valeur nos sites et éviter qu’ils ne soient détruits. Beaucoup de gens, quand ils construisent une maison, ne déclarent pas les objets préhistoriques qu’ils trouvent. Chaque fois qu’une maison se construit, on perd une partie de notre patrimoine. Les sites corses sont en très grand danger.
 
- L’archéologie est-elle sous-estimée en Corse ?
- Ce n’est pas une sous-estimation, c’est un sous-intérêt ! Aujourd’hui, si les fouilles se font dans le Niolu, c’est grâce à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) qui me soutient depuis des années en me reversant une partie des subventions allouées à cet effet par le ministère de la culture. La Collectivité territoriale rajoute 80% de cette somme, mais ne la paye que 9 mois après les fouilles. Il faut, donc, avancer l’argent, ce qui pose un problème. Sans l’aide énorme du Parc naturel régional de Corse, les fouilles ne se feraient pas ! Son ancien président, Jean-Luc Chiapini, nous soutenait à fond. Son successeur s’est engagé à continuer. Nous avons, également, deux autres sponsors : Leroy Merlin qui nous a fourni du matériel et la SNCM qui nous a donné des places. Il faudra qu’à l’avenir, les choses changent.
 
Propos recueillis par Nicole MARI