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Porticcio : Quand l’académicien Jean-Marie Rouart évoque son ami Jean d’Ormesson...


Florence Vandendriessche le Jeudi 23 Août 2018 à 17:11

Jean-Marie-Rouart de l'Académie Française, était l'invité ce mercredi soir de la Mairie de Porticcio. L'événement s'est déroulé dans l’amphithéâtre du Centre Culturel, en partenariat avec les associations « Le Lazaret Culture Club » et le « San Be Culture Club ». Il a été présenté par Jean-Jacques Colonna d'Istria et l'écrivain et philosophe Aristide Nerrière. La salle comptait près de 200 personnes pour cette rencontre riche en échanges avec un homme plein d'humanisme. Entretien.



Photo : Aristide Nerrière, Jean-Marie Rouart, Jean-Jacques Colonna d'Istria et Clara Leca
Photo : Aristide Nerrière, Jean-Marie Rouart, Jean-Jacques Colonna d'Istria et Clara Leca
Venu présenter son dernier roman : « La vérité sur la comtesse Berdaiev » paru récemment aux éditions Gallimard,  Jean-Marie Rouart n'a bien sûr pas enfilé ce soir-là « l'habit vert » porté par les Académiciens, tenue un tant soi peu trop stricte pour la circonstance. Il est arrivé sur les lieux, sourire aux lèvres, habillé d'une certaine politesse, dissimulant peut-être avec discrétion cette belle folie qu'il aimait endosser avec son grand ami Jean d'Ormesson, disparu en décembre 2017. Une causerie plus qu'une conférence a précisé Jean-Marie Rouart, l'idée étant d'ouvrir la discussion librement, d'échanger sur toutes les questions posées. Le thème du soir : Jean d’Ormesson , la Corse et « La vérité sur la comtesse Berdaiev ».

Arrière-petit-fils des peintres Henri Rouart et Henry Lerolle, Jean-Marie Rouart a choisi d'être écrivain et journaliste. Il est l'auteur de nombreux romans, essais, biographies, et a  obtenu de nombreux prix. Parallèlement à son activité d’écrivain, il a mené une carrière de journaliste, d’abord au Magazine littéraire en 1967, puis au Figaro comme journaliste politique, au Quotidien de Paris où il a dirigé les pages littéraires. Après avoir été directeur du Figaro littéraire de 1986 à 2003, il collabore à Paris Match. Il a été élu à l’Académie française, le 18 décembre 1997, au fauteuil de Georges Duby.

Entretien avec Jean-Marie Rouart : « Avec Jean d’Ormesson, nous nous sommes beaucoup amusés !»

Jean-Marie Rouart de l'Académie française
Jean-Marie Rouart de l'Académie française
- Parlez-nous de votre amitié avec Jean d'Ormesson et de votre relation commune à la littérature.
- Mon amitié avec Jean d’Ormesson est très ancienne puisque je l’ai connu quand j’avais 18 ans. Ensuite, je l’ai retrouvé au Figaro, mais c’est surtout la littérature qui nous a le plus unis. Nous étions deux fous et passionnés de littérature et nous avions la même conception ludique de ce qu'elle était. Nous vivions la littérature - sérieuse et même tragique - comme un jeu avec cette conception aérienne, légère où l'on peut aussi s’amuser, et Jean d’Ormesson et moi, nous nous sommes beaucoup amusés ! Sans lui aujourd’hui ? Je peux dire que j'ai perdu un interlocuteur merveilleux et bien sûr irremplaçable.

- Vous passiez vos vacances ensemble à St Florent chaque été depuis 1983. Vous portez un profond attachement  à la Corse. Qu'en était-il de Jean d'Ormesson ?
- C’était un homme qui adorait la Méditerranée parce que c’est un berceau culturel extraordinaire. Lui même était un homme qui, bien sûr, avait beaucoup étudié les Grecs et qui était passionné par l’histoire des Grecs et des Romains. Il retrouvait dans la Corse des réminiscences de la Grèce et de la Rome antique. Il aimait, comme moi, les plaisirs, les saveurs de la Corse, la beauté des paysages, une société assez traditionaliste. Il me semble que ce n’est pas un territoire dont les relations sont fondées sur l’argent. Je pense que, bien sûr, il y a eu des évolutions, qu’il existe une contamination globale de la société, mais les Corses sont restés attachés à des valeurs d’amitié, tout n’est pas résumable à l’argent.

- Au sujet de votre livre « La vérité sur la comtesse Berdaiev », la passion amoureuse confrontée avec la brutalité du pouvoir, sujet d'actualité avec l'affaire Weinstein. Qu'en pensez-vous ?
- Vous savez, la question des femmes est une question actuelle depuis très très longtemps, puisque, à toutes les époques, on s’est posé la question. Mais ce qui est invraisemblable, c'est de voir à quelle point la société politique a été en retard ! La preuve en est qu’en France, les femmes n'ont eu le droit de vote qu’en 1945. Le conservatisme et je dirais, le manque de générosité de la société politique - qui était très retardataire - n’ont donné le droit à la pilule que très tardivement, comme le droit à l’avortement. Au sujet de la prostitution, à l'heure d'aujourd'hui, force est de constater qu'on ne cherche pas à résoudre le problème, sauf par cette loi absurde de la pénalisation du client.

- Vous vous seriez inspirés des Ballets roses, une affaire de mœurs pédophiles en France, qui défraya la chronique en 1959. Pourquoi un tel intérêt pour cette affaire ?
- C’est un intérêt plus général pour la condition humaine et particulièrement celle des femmes. Je cite souvent Alfred de Vigny qui disait : « Après avoir étudié la condition des femmes dans tous les temps et dans tous les pays, je suis arrivé à la conclusion qu'au lieu de leur dire bonjour, on devrait leur demander pardon ». J’ai pris la question des Russes blancs, ces Russes qui avaient quitté la Russie, à travers le modèle d’une femme contrainte de devenir une sorte de courtisane. Je l’ai placée dans le contexte en effet de l’affaire des Ballets roses car il se trouve que le Président de l'Assemblée nationale, André Le Troquer, avait une amie qui était vaguement une Russe blanche. Mais disons que le contexte historique est mineur, c’est surtout un roman sur le destin d’une femme qui, à cause des circonstances, est obligée de devenir une courtisane, une femme fatale comme ces femmes qui, à la fois, vivent de leur charme et sont exploitées par les hommes.

- Dans votre art, établissez-vous un lien avec la peinture  ?
- Je suis issu, en effet, d’une famille de peintre et je ne peins pas. J’ai écrit dans un de mes livres que j’avais fui le monde de la peinture. Un jour, une dame m’a dit : « Oui, mais dans vos livres, il y a surtout des portraits et des paysages ! »… Je n'ai certainement donc pas quitté le domaine de l’art. Ce qui était important dans ma vie, c’était en effet de retrouver cette atmosphère de l’art.
 

 - Si vous deviez résumer la manière dont vous considérez la vie en une phrase ?
 - Je citerais une phrase d’Henri James que je citais très souvent à Jean d’Ormesson. Il n’arrivait pas à la retenir, il me demandait à chaque fois de la lui répéter alors qu’il avait une mémoire colossale : « Nous vivons dans l’obscurité, nous faisons ce que nous pouvons, le reste est la folie de l’art ».