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Collectivités locales : La politique d’embauche plombe l’investissement.


Nicole Mari le Jeudi 4 Avril 2013 à 23:31

En marge de l’audience solennelle de rentrée de la Chambre régionale des comptes qui s’est tenue mercredi à Bastia, son président, Jean-Louis Heuga, a commenté, pour Corse Net Infos, la situation financière des collectivités insulaires. Il a dénoncé l’importance des frais de personnels qui plombe la capacité d’investissement des collectivités à l’heure où celles-ci, confrontées au régime sec des dotations budgétaires, ont de plus en plus de mal à s’autofinancer. Egalement pointés du doigt, les offices, notamment au niveau de la passation des marchés publics et des modalités d’attribution d’aide aux particuliers. Un contrôle des finances du Conseil général de Haute-Corse sera rendu public, lors de la prochaine assemblée départementale, courant avril.



Jean-Louis Heuga, président de la Chambre régionale des comptes
Jean-Louis Heuga, président de la Chambre régionale des comptes
- Au regard des contrôles que vous effectuez, quelle est la situation financière des collectivités corses ?
- Je ne peux pas donner de conclusion globale. Je ne peux que parler des contrôles de gestion que nous effectuons chaque année et qui ne concernent pas toutes les collectivités insulaires, seulement une dizaine. Sur les collectivités examinées, nous n’avons pas relevé de situation financière dégradée, du moins par rapport au contrôle précédent. Néanmoins, chaque année, le Préfet nous saisit de quelques situations financières dégradées qui sont assez connues et font l’objet de plans de redressement pluriannuels.
 
- Comment décidez-vous de contrôler une commune plutôt qu’une autre ? Quels sont vos critères de choix ?
- L’examen de la gestion constitue l’essentiel, environ 60%, de notre activité. Nous ne faisons que 10 à 12 examens par an parce que la procédure de contrôle est lourde et correspond à un audit de la collectivité. Ces examens de gestion sont programmés par la Chambre selon des critères objectifs. D’abord, les enjeux financiers nous poussent à contrôler les organismes importants, comme la Collectivité territoriale (CTC), les conseils généraux, les grandes villes, les hôpitaux, les offices et agences… Sachant que les 30 principaux organismes publics insulaires représentent 90 % des volumes financiers des 240 organismes sur lesquels nous avons une compétence, nous nous intéressons, donc, en priorité, à ces 30 organismes.
 
- Y-a-t-il d’autres critères ?
- Un autre critère provient de l’engagement de la Chambre régionale à participer à des travaux nationaux communs. C’est le cas, par exemple, cette année, des régies d’eau et d’assainissement. Il en existe peu en Corse. Nous allons choisir des communes disposant de ce type de régies, c’est-à-dire qui ne délèguent pas ce service. Donc, si la Chambre s’engage à participer à une enquête, elle sélectionne les organismes dans ce cadre.
 
- N’agissez-vous pas aussi après délation ?
- Un troisième critère est, effectivement, le signalement éventuel d’une situation financière dégradée que nous avons constatée ou qui nous a été rapportée. Nous sommes, de ce fait, incités à l’examiner. Il pourrait aussi y avoir des signalements de tiers, de citoyens, d’opposants ou d’entrepreneurs qui se plaindraient de la gestion d’une collectivité, mais nous n’en recevons pas. Depuis 5 ans que je suis en activité en Corse, je n’en ai pas reçu un seul, contrairement à d’autres régions où, quotidiennement, ces signalements arrivent à la Chambre.
 
- La Cour des comptes épingle les dépenses de fonctionnement. Pouvez-vous commenter ?
- Les dépenses de fonctionnement élevées font partie des facteurs à risque, notamment en raison de frais de personnels élevés. Les effectifs recrutés dans les collectivités corses sont nettement supérieurs, de 20 à 30%, au prorata du nombre d’habitants et des capacités financières. Ces charges sont très rigides parce que, les agents étant des fonctionnaires, elles ne peuvent être réduites rapidement. Nous recommandons, dans ces cas-là, d’utiliser des systèmes de gestion prévisionnelle d’effectifs pour, du moins, recenser les besoins en personnels et effectuer, éventuellement, les remplacements lors de départs. Des charges aussi importantes diminuent les capacités d’autofinancement, donc d’investissement des collectivités.
 
- Ce phénomène touche-t-il toutes les collectivités ou seulement les plus importantes ?
- Il est général. Il s’explique par des raisons culturelles et économiques qui favorisent le recrutement public. Un ordonnateur nous a dit qu’il recrutait, non par besoin réel, mais pour mener une politique sociale par l’embauche de personnels. C’est un choix. Aujourd’hui, la croissance globale des personnels s’est arrêtée. On constate un maintien des effectifs, ce qui est déjà une bonne chose, mais pas encore de régression.
 
- Y-a-t-il d’autres facteurs de risque ?
- Oui. Il y a un autre facteur sur lequel nous alertons les élus, mais dont ceux-ci sont bien conscients. C’est, d’une part, l’accroissement des besoins de la population, exprimés en matière d’aide sociale, d’équipements et de services publics. D’autre part, la réfaction de la ressource, avec en particulier le gel des dotations de l’Etat. Les collectivités doivent parvenir à économiser sur les charges de structure pour garder des marges de manœuvre.
 
- Y-a-t-il beaucoup de petites communes surendettées ?
- Un certain nombre de petites communes connaissent de grosses difficultés financières. Le Préfet nous saisit de leur budget dans le cadre du contrôle budgétaire. Ce contrôle conduit la Chambre des comptes à rebâtir le budget d’une commune en difficulté financière, en concertation avec le maire. Sur la vingtaine de saisine annuelle, la moitié concerne des communes ayant des situations dégradées, souvent, par manque de compétence. Ce sont des petites communes qui ne disposent pas de moyens administratifs importants, voire n’ont pas de moyens du tout. Les maires sont un peu démunis et gèrent au fil de l’eau. Nous les aidons à redresser leurs finances. Cela se passe plutôt très bien.
 
- Avez-vous audité le budget de l’Assemblée de Corse ?
- Elle n’est pas sous contrôle. Chaque année, nous choisissons de contrôler 10 ou 12 organismes qui ne l’ont pas été depuis 5 ou 6 ans. Nous n’avons pas les moyens de tout contrôler en permanence. Cela dit, nous effectuons souvent des contrôles à la CTC sur des thèmes très particuliers. Nous avons, par exemple, examiné les interventions économiques. Chaque année, nous contrôlons un office ou une agence. Les derniers en date étant l’office du tourisme et l’agence du développement économique.
 
- Que pensez-vous de la gestion des offices et agences qui est souvent critiquée ?
- Nous formulons certaines observations. Concernant l’agence du tourisme, nous avons fait des observations sur le nombre de personnels qui est beaucoup plus important que dans les autres organismes de ce même type sur le continent. Quelques observations aussi sur la passation des marchés, ainsi que sur les aides et le contrôle des aides versées par l’office à des particuliers, notamment pour la rénovation de gites ruraux.
 
- Quels problèmes observez-vous sur la passation des marchés ?
- Nous faisons des observations, par exemple, sur la mise en concurrence et les délais trop courts laissés aux candidats pour candidater. C’est une observation que nous faisons régulièrement. Est-ce que cela tient à un problème d’organisation interne de la collectivité ou au souhait de fermer la concurrence pour attribuer le marché à un candidat plutôt qu’à un autre ? C’est assez difficile à dire !
 
- Fermer un marché est illégal !
- Oui.
 
- Avez-vous contrôlé le conseil général de Haute-Corse qui est sous les feux de l’actualité judiciaire ?
- Un contrôle a été effectué. Il sera rendu public, lors de la prochaine session du conseil général, dans le courant de ce mois d’avril. Je ne peux en dire plus.
 
- Y-a-t-il des éléments dans la gestion insulaire des fonds publics qui vous inquiètent ou pourraient vous inquiéter ?
- Nous intervenons pour rationnaliser, le plus possible, la gestion. Les élus des collectivités ont, depuis quelques années, réalisé des efforts de rigueur. Nous sommes là pour les encourager à continuer et inciter ceux, qui ne le font pas, à économiser dans un peu tous les domaines, mais surtout dans les dépenses de fonctionnement. La Corse a vraiment une nécessité d’investir plus et, peut-être, mieux dans les équipements publics, en matière de voirie, etc. Les besoins existent. Cette capacité à investir ne peut être dégagée que d'une épargne réalisée sur le fonctionnement. Il faut, donc, commencer par faire des économies de fonctionnement pour pouvoir investir.
 
- Vous faites des recommandations. Avez-vous le sentiment que vos avis sont suivis et que vous êtes utile ?
- J’ai, non seulement le sentiment, mais la certitude d’être utile. Nous mesurons, maintenant, les suites données à nos recommandations. Sur les contrôles que nous avons fait en 2012, nous avons l’obligation de vérifier les suites données aux contrôles précédents datant de 5 à 8 ans. 84 % des principales observations, qui ont été formulées lors du contrôle précédent, ont connu une mise en œuvre totale ou partielle. C’est un taux très satisfaisant.  
 
Propos recueillis par Nicole MARI