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U Levante : « Le PADDUC aurait du être un garde-fou, voire un garde-flingue ! C’est une véritable trahison ! »


Nicole Mari le Mardi 5 Mai 2015 à 22:26

La deuxième version du PADDUC, adoptée, en mars dernier, à l’Assemblée de Corse (CTC) et soumise, depuis le 4 mai et jusqu’au 30 juin, à une enquête publique, n’en finit pas d’alimenter les polémiques. L’association de défense de l’Environnement, U Levante, tire à boulets rouges sur la désanctuarisation des espaces stratégiques agricoles et des Znieff et accuse l’Exécutif corse et les conseillers territoriaux d’avoir trahi des acquis environnementaux fondamentaux. Elle affirme que ce PADDUC-là ne va pas sécuriser les documents d’urbanisme, mais bien au contraire augmenter la pression sur les élus. Explications, pour Corse Net Infos, de Michelle Salotti, porte-parole d’U Levante, qui appelle à un réveil citoyen.



U Levante : « Le PADDUC aurait du être un garde-fou, voire un garde-flingue ! C’est une véritable trahison ! »
- La seconde mouture du PADDUC, qui vient d’être votée, vous satisfait-elle ?
- La réponse est clairement : NON ! De nombreux points sont inacceptables. Parmi eux :
l’abandon de l’inconstructibilité des terres agricoles de très bonnes potentialités, appelées « espaces stratégiques agricoles » (ESA), et l’abandon de l’inconstructibilité des zones naturelles d’intérêt floristique et faunistique (Znieff de type 1) littorales. Les cartographies sont, également, inacceptables, avec le refus de l’agence de l’urbanisme d’utiliser un fond de carte IGN. Les traits limitant les espaces remarquables inconstructibles sont beaucoup trop épais (2 mm sur les cartes, soit 100 mètres sur le terrain).

- Pouvez-vous nous donner un exemple ? 
- L’extrait ci-dessous, qui est un extrait de la carte des espaces remarquables et caractéristiques, de Punta Capineru à Pianuttoli Caldarellu, est un exemple significatif.

Carte des espaces remarquables et caractéristiques de Punta Capineru à Pianuttoli Caldarellu.
Carte des espaces remarquables et caractéristiques de Punta Capineru à Pianuttoli Caldarellu.

- Etiez-vous satisfaite du texte précédent ?
- Pas entièrement ! Nous avons tout tenté pour le faire amender. Mais, il préservait les terres agricoles et c’était, pour nous, un point fondamental. Nous avons participé à tous les ateliers sur ce sujet et leur protection était un fait acquis … Aujourd’hui, c’est une véritable trahison de l’Exécutif et un vote inadmissible de Conseillers territoriaux qui avaient œuvré dans le sens de la protection depuis 2012 !
 
- Cette 2nde version est-elle, donc, selon vous, moins protectrice que le texte précédent ?
- Elle est beaucoup moins protectrice que le texte arrêté en novembre 2014 ! L’inconstructibilité des terres agricoles de très bonnes potentialités a été supprimée. L’agence de l’urbanisme a recensé 105 000 hectares d’ESA et en a dressé la cartographie. Les ESA sont désanctuarisés ! En novembre, les élus ne pouvaient utiliser que 1% de ces terres pour des projets indispensables aux communes. Aujourd’hui, aucun quota n’est fixé. Il est dit que la constructibilité éventuelle de ces terres agricoles devra être compensée et que les élus devront trouver d’autres terres de même potentialité. De deux choses, l’une : ou la cartographie est fausse puisqu’elle n’aurait pas recensé tous ces ESA, ou on nous mène en bateau ! De toutes façons, la compensation éventuelle ne portera pas sur des espaces proches du rivage.
 
- Que pensez-vous du prétexte de fragilités juridiques avancé pour justifier les corrections apportées ?
- Les prétextes vont dans le sens de pouvoirs accrus pour les maires. On a vu depuis des années ce que cela donne ! Des documents d’urbanisme totalement illégaux ! Quant aux 125 communes disposant d’un document d’urbanisme, POS (Plan d’occupation des sols), PLU (Plan local d’urbanisme) ou carte communale, à la date d’approbation du PADDUC, elles ont un délai de trois ans pour mettre leur document d’urbanisme en compatibilité avec ce dernier. Elles pourront soustraire, du quota d’ESA, leurs zones urbaines ou à urbaniser. Ces zonages, s’ils sont construits, permettent déjà, aujourd’hui, de doubler la population de la Corse !
 
- La mutation des espaces mutables en espaces d’enjeu régional, est-ce une avancée ou un recul pour la protection des terroirs ?
- Les « espaces mutables » sont devenus d’immenses « secteurs d’enjeux régionaux », englobant des espaces remarquables et des espaces stratégiques agricoles. Inadmissible là aussi !
 

Carte des espaces remarquables et caractéristiques de Punta Capineru à Pianuttoli Caldarellu.
Carte des espaces remarquables et caractéristiques de Punta Capineru à Pianuttoli Caldarellu.
- Etes-vous favorable à la carte des vocations des plages et des séquences littorales qui autorise les aménagements légers et non permanents, comme les paillotes ?
- Evidemment non ! Ce PADDUC, qui sous entend que des « auberges de pêcheurs » pourront côtoyer les paillotes « traditionnelles » sur le DPM (Domaine public maritime), ouvre la porte à une concurrence dont chacun sait qu’elle peut être mortelle, au vrai sens du terme.
 
- Certains prétendent que ce PADDUC est, au final, beaucoup moins contraignant que les lois littoral et montagne. Etes-vous de cet avis ?
- Non ! Cela n’est pas possible ! Les lois ne peuvent être transgressées et le PADDUC ne peut que les appliquer et les préciser. Le SAC (Schéma d’aménagement de la Corse) de 1992 avait précisé que les terres de très bonnes potentialités et les Znieff étaient inconstructibles. C’était un très bon document. Ces précisions étaient légales et les tribunaux administratifs les ont utilisées. En ne reconduisant pas ces précisions, la Corse perd deux acquis environnementaux fondamentaux.
 
- Ce PADDUC peut-il, comme le prétendent ses concepteurs, sécuriser les documents d’urbanisme ? 
- Tout au contraire ! Il va faire exploser les recours au tribunal administratif, à condition que les associations soient encore sur le terrain ! Il met un révolver sur les tempes des élus ! Par exemple, les propriétaires de parcelles situées à l’intérieur du trait des espaces remarquables pourraient refuser que leurs parcelles soient inconstructibles… c’est humain ! Ils feront pression sur les élus.
 
- Va-t-il, vraiment, alourdir la pression sur les maires ?
- Oui, c’est évident ! Le PADDUC aurait du être un garde-fou en affirmant l’inconstructibilité des ESA et en limitant de manière précise les ERC (Espaces remarquables constructibles). Il aurait du, également, conserver l’interdiction de « hameaux nouveaux » dans les espaces proches du rivage.
 
- Fait-il, au final, la part belle à la constructibilité et, donc, à la spéculation foncière et immobilière ?
- Oui ! N’oublions pas qu’il est écrit, à la page 146 du livret réglementaire, que les maires « localisent et délimitent les espaces stratégiques agricoles en tenant compte : ... des secteurs immédiatement constructibles des documents d'urbanisme (secteurs urbanisables U et AU des PLU, U et NA des POS et secteurs constructibles des cartes communales) en vigueur à la date d'approbation du PADDUC ».  
 
- Faut-il comprendre que cela signifie qu’une zone U, AU, ZC ou NA pourrait conserver ce classement ?
- Difficile de comprendre autre chose !
 
- Que comptez-vous faire pour contrer ce PADDUC ?
- U Levante va tenter d’expliquer via son site Internet et inciter la population à participer à l’enquête publique qui a démarré lundi. Elle va demander aux Conseillers territoriaux de revenir sur leur vote…
 
- N’est-il pas trop tard légalement pour agir ?
- NON ! Puisque le Padduc n’est pas approuvé définitivement.
 
- Ne craignez-vous pas que, sous la pression spéculative, l’enquête publique ne détricote encore plus les contraintes protectrices ?
- Cela fait partie des possibilités. Certains maires et certains groupes -, pas tous !-, vont utiliser tous les moyens en leur possession pour que la résidentialisation de la Corse, déjà largement entamée, continue de plus belle. Ils ont déjà commencé ! Un PADDUC, non dénaturé, aurait dû garantir l'affirmation de la suprématie d'un intérêt collectif sur l'addition d'intérêts particuliers et prédateurs... Il aurait du être un garde-fou...voire un garde-flingue ! La grande braderie des terres agricoles dans la dernière ligne droite de l'élaboration de ce PADDUC et la curée ne font, peut-être, que commencer ! U LEVANTE appelle à un réveil citoyen face aux dangers qui nous menacent collectivement… et individuellement. 
 
Propos recueillis par Nicole MARI.