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Prière de "l'Ochju" : transmission uniquement la nuit de Noël


Pierre-Manuel Pescetti le Jeudi 24 Décembre 2020 à 17:38

​La veillée de Noël est le seul moment de l’année au cours duquel on peut transmettre la prière de l’Ochju. Un moment emprunt de traditions et de mysticisme que les Corses continuent de perpétuer. Une transmission répondant à des règles strictes, entre anciens rites païens et prières chrétiennes. Retour sur un rituel qui se transmet encore aujourd’hui et uniquement la nuit de noël.



L'eau, l'huile, la prière et la foi sont les quatre composants essentiels au rituel de l'Ochju.
L'eau, l'huile, la prière et la foi sont les quatre composants essentiels au rituel de l'Ochju.
C’est un rite qui puise son origine en des temps immémoriaux et qui, aujourd’hui encore est entouré de mystères. Pourtant il fait partie intégrante de la vie des Corses et sa transmission rythme chaque année la veillée de Noël. Le rituel de l’Ochju est ancré au plus profond de la tradition corse, faisant fi de l’évolution des coutumes il se pose comme un repère de l’identité insulaire. Pour tous, ceux qui y croient ainsi que pour les plus sceptiques, le rituel est entouré d’un certain respect allant même jusqu’à la crainte. « Caccià l’ochju » consiste à enlever le mauvais œil pour chasser le mal, soulager et faire advenir le bien. Retour sur une tradition entre rites païens et croyances catholiques qui doit impérativement être transmise la nuit du 24 au 25 décembre.
 
L’Ochju pour chasser le mal
Le rituel est effectué par u signatoru ou a signatora, « celui ou celle qui signe » et qui enlève le mauvais œil grâce à des prières couplées à l’utilisation d’huile et d’eau dans une assiette creuse blanche. Même s’il varie en fonction des régions l’Ochju garde le même objectif : protéger la personne qui reçoit la prière en éloignant le mauvais œil porteur de mal.
Douleurs à la tête, malchance, nausées, fatigue, avoir l’Ochju se matérialise sous plusieurs formes et selon les plus croyants, aucun médicament ne peut soulager ce que le mauvais œil provoque. Il peut être le résultat de compliments du type « quel beau garçon ! » ou encore « comme tu es intelligent » s’ils ne sont pas accompagnés de la formule « que Dieu le bénisse » ou encore du geste des cornes effectué avec une main.
Souvent, ce mauvais sort est jeté par des personnes mal intentionnées, que ce soit de manière consciente ou inconsciente, rendant la victime « innuchjata ». Pour remédier à ce mal, la seule solution est de se rendre chez a signatora qui effectuera le rituel de l’Ochju et pourra dire si la victime est atteinte ou non par le mauvais œil, et le chasser, en lisant dans les gouttes d’huiles qui flottent à la surface de l’eau présente dans l’assiette.
 
Une tradition exclusivement féminine à l’origine
Autrefois, le rituel et sa transmission étaient uniquement réservés aux femmes. Il se transmettait de grand-mère à petite-fille, prenant soin de toujours sauter une génération et de rester dans le cadre familial. A signatora devait aussi être une fervente catholique, preuve du lien intime qui unit les traditions païennes de l’île à la religion. Aujourd'hui, quiconque possède ces secrets peut les transmettre à qui en est jugé digne. C’est ce qui s’est passé pour Francesca, 28 ans, qui l’a appris pendant l’adolescence : « J’ai l’ai toujours vu faire par ma voisine qui était très âgée. Je la regardais, intriguée, car j’étais petite et je me demandais ce qu’elle faisait. Puis j’ai grandi et un soir de Noël, mon père et moi l’avons appris grâce à un ami à lui qui était signatoru et qui en a profité pour transmettre d’autres prières comme celles pour lutter contre les brûlures, les verrues et les saignements ».
 
Une transmission avec des règles strictes à respecter
Première règle, la transmission doit impérativement se faire lors de la veillée de Noël, appelée « A Veghja » sinon le savoir sera inefficace et le pouvoir sera perdu. Normalement tout doit se faire de manière orale mais certaines variantes autorisent d’écrire la prière sur un papier qui doit être brûlé dès le rituel assimilé.
Pour Francesca, cela s’est passé alors qu’elle était âgée de 12 ans : « u signatoru est venu à la maison le soir de Noël et m’a appris la prière et les gestes sacrés à effectuer. Nous avons discuté de tout et de rien, riant ensemble puis, quand est venu le moment d’apprendre il est devenu très sérieux, solennel, habité par l’importance de la transmission. Ça montrait bien que c’était important et qu’il y croyait dur comme fer ». Pour elle, cette transmission va dans l’ordre naturel des choses : « ça représente mes racines, la tradition de chez moi, A veghja entre la bûche à côté du feu et la messe de Noël. Je l’ai appris parce que c’était l’usage. J’ai tellement vu faire que je me suis dit pourquoi moi je ne l’apprendrai pas ? ».

Un usage partagé entre rites païens et croyances catholiques
La conjuration du mauvais œil puiserait ses racines dans des rites sumériens, une civilisation vieille de plusieurs millénaires. Malgré l’origine païenne de cette pratique les gestes se veulent sacrés et empruntés aux rites chrétiens. Le rituel commence d’ailleurs souvent par des signes de croix.
 
Le rendez-vous est donc fixé en cette veillée de Noël pour pouvoir apprendre le rituel de l’Ochju mais aussi pour le transmettre. Chose que fera Francesca ce jeudi soir, dans le plus grand respect des traditions : « j’ai voulu apprendre à enlever le mauvais œil pour pouvoir le faire, bien sûr ,mais aussi pour le transmettre à mon tour. C’est d’ailleurs prévu ce soir avec ma petite cousine ».