
Violette Lazard a publié Le Crépuscule de la Brise de Mer en mai dernier aux éditions Robert Laffont (crédit photo : SLB)
- Quatre ans après Vendetta (co-écrit avec Marion Galland et publié aux éditions Plon en juin 2020), qui s’intéressait au double assassinat de Poretta, vous avez publié début mai Le crépuscule de la Brise de Mer, aux éditions Robert Laffont. Pourquoi avoir voulu écrire sur les suites de cette affaire ?
- Très simplement car depuis la parution de Vendetta, l'histoire a continué et je l'ai suivie de très près. Donc j'avais envie de raconter d'une part ce qui était devenu toutes les personnes qui avaient été mises en examen et détenues dans le cadre du double assassinat de Poretta, de comprendre comment elles le vivaient, comment leurs familles le vivaient, comment elles se défendaient. D’autre part, depuis cette affaire une série de meurtres non élucidés à ce jour se sont déroulés en Corse. Ces assassinats, autour desquels plane le doute de la vengeance – la vengeance de la vengeance -, touchent des gens qui sont complètement périphériques : l'oncle, le père, l’ami de la famille, ... Et donc je souhaitais raconter ce que j'ai surnommé « la malédiction de Poretta ».
- Selon vous, en quoi ce double assassinat de Poretta a-t-il été une affaire hors norme ?
- Le double assassinat de Poretta est hors normes à plus d'un titre. Déjà, de par la façon dont il est minutieusement préparé, de par la façon dont les fils de plusieurs figures du grand banditisme se sont alliés pour venger leurs pères alors que tout les opposait au départ, parce qu'ils avaient en commun d'avoir - en tout cas c'est ce qu'ils pensent - le même ennemi. Il y a aussi la façon dont il a été préparé avec la complicité d'une gardienne de prison. Tout en fait un projet hors normes. Et puis avec le décryptage des téléphones PGP (ndlr :téléphones hyper sécurisés), l’enquête va permettre pour la première fois de rentrer dans l'intimité d'une vendetta. Jusqu'à aujourd'hui, quand des personnes soupçonnées d'assassinat sont interpellés, elles affirment que la vendetta ou la Brise de Mer sont des histoires de journalistes et minimisent totalement la réalité de la violence et de ces vengeances qui sont en cours. Là, pour la première fois, on a eu accès à la vérité de ce qu’est une vendetta. Et ce qui est encore plus étonnant, c'est que ce qu'on voit est encore plus dingue et encore plus romanesque que ce que les journalistes pouvaient bien écrire.
- Dans Le Crépuscule de la Brise de Mer vous vous intéressez donc à ce que vous avez surnommé « la malédiction de Poretta ». Pour vous, ces répercussions sont parties pour durer dans le temps ?
- Oui, j'en suis assez convaincue, car pourquoi s'arrêteraient-elles ? Le but est d'atteindre des personnes qui sont actuellement incarcérées. On a vu le verdict qui est tombé fin juin à la cour d’assises d’Aix-en-Provence : les condamnations des protagonistes vont de 20 à 30 ans. On sait très bien que ce sont ces personnes qui sont visées, mais tant que leurs ennemis ne pourront pas les atteindre, ils s’attaqueront à leurs proches.
- Ce procès du double assassinat de Poretta, qui s’est donc terminé il y a quelques jours, a été marqué par le refus de comparaitre d'une grande majorité des accusés qui, malgré ce qu’ils avaient laissé entendre, se sont finalement de facto peu exprimés. Malgré tout, qu’en retenez-vous ?
- Ce procès était exceptionnel. On peut dire aussi qu’il a été un immense gâchis pour toutes les parties. Je pense que personne ne sort satisfait et serein de ce procès. Il avait pourtant bien commencé, puisque tous les accusés avaient décidé de parler. Ils avaient d’ailleurs commencé à se livrer sur l'histoire de leurs familles, l'histoire de leurs pères, sur ce que c'est d'être un héritier d'un clan tel que la Brise de Mer. Il y avait une parole qui s'ouvrait et puis tout s'est arrêté d'un coup. Les accusés et leurs avocats avaient misé sur un renvoi du procès, mais celui-ci s'est quand même tenu. Un procès de cet acabit sans accusés et sans avocats, je pense que c'est du jamais vu.
- Vous l’évoquiez précédemment, Cathy Chatelain, l’ex-gardienne de prison, a joué un rôle central dans cette affaire. Dans votre livre, vous faites part d’échanges que vous avez eus avec elle. Comment analysez-vous ce personnage ?
- Forcément, sur le papier, c'est l’un des personnages qui intrigue le plus. Pour Vendetta, nous l'avions déjà sollicité par la voix de son avocat, et elle nous avait adressé un courrier à Marion Galland et à moi-même. J'ai repris cette correspondance déjà parce que j'avais envie de savoir comment elle vivait la détention, comment, quand on a été matonne de prison, on vit de se retrouver de l'autre côté des barreaux. J’avais aussi envie de savoir si elle regrettait, si avec le recul elle jugeait sa propre participation à ce double meurtre. J'ai pu échanger avec elle et constater qu'elle n’avait pas dévié, qu'elle était assez droite dans ses bottes et qu'elle se considérait comme membre du clan et qu'elle ne reniait pas du tout cette participation, voire qu'elle continuait à la revendiquer. Les experts ont cherché à comprendre comment une femme, mère de cinq enfants, peut du jour au lendemain dévier au point de devenir complice d'un double meurtre. Ils ont comparé son espèce d'embrigadement dans une machination pensée par des héritiers d'un clan criminel corse, à un embrigadement dans le terrorisme de Daesh. Et à l’instar de l'islamisation, ils parlent de corsicalisation.
- Le titre de votre livre, Le Crépuscule de la Brise de Mer, fait référence à la fin de ce clan. Pour autant la place qu’il occupait a-t-elle été laissée vacante ?
- Cela n'a plus la forme d'un clan assez homogène, avec un groupe d'amis, comme ce sur quoi se basait au départ la Brise de Mer. Désormais, on est plus dans de petits groupes de deux ou trois personnes qui, dans le nord de la Corse, vont vouloir mettre la main sur des marchés publics, des établissements de tourisme… Mais par contre, la technique reste la même : la porosité avec le monde économique, avec le monde politique, même parfois avec le monde policier, ou même judiciaire d'ailleurs – on a eu un exemple assez récent dans la région d'Ajaccio-. C'est un peu comme si la Brise de Mer avait joué un rôle de matrice : elle n'existe plus, mais ce fonctionnement de type mafieux existe toujours aujourd'hui partout en Corse.
- Justement, vous écrivez que l'emprise mafieuse en Corse est « plus forte que jamais ». Pourquoi ?
- Parce qu'il y a beau y avoir des interpellations et certaines condamnations - même si elles sont encore rares -, dès qu'il y a une nouvelle enquête un petit peu sérieuse qui est déclenchée, on se rend compte que les clans criminels fonctionnent toujours de la même façon, voire qu'ils ont presque acquis en technicité. Par exemple, avec l’enquête qui est en train de se terminer sur le clan du Petit Bar, on voit que ce clan criminel, qu'on peut même apparenter à un clan de type mafieux, ne s'est pas du tout contenté de rester dans la région d'Ajaccio et de se rendre coupable de racket et d'extorsion. Tout son processus de blanchiment d'argent va maintenant jusqu'à Singapour, Dubaï, passe par les blanchisseurs chinois du Centre d'Aubervilliers. On est vraiment dans un autre schéma. L'emprise mafieuse est vraie en Corse, mais les clans Corses bénéficient désormais dans le monde économique de l’appui de personnes qui les aident à devenir des « techniciens du crime », si l’on peut dire.
- Vous êtes désormais une habituée des enquêtes sur la grande criminalité en Corse. Qu'est-ce qui vous a poussé au départ à vous intéresser à ce milieu ?
- C'est un domaine qui m'a toujours intéressée. Déjà parce que je pense qu'il était assez peu couvert par la presse nationale, même si c'est moins vrai aujourd'hui. Et d'autre part, parce que je pense que c'est le seul phénomène de type mafieux qui existe sur le territoire français et qu’écrire sur celui-ci a aussi pour vertu de libérer la parole. C'était l’une de mes motivations. Par ailleurs, ce qui est aussi très intéressant est d'établir le lien de ces voyous avec la sphère économique, la sphère politique. Travailler sur cette criminalité, c'est vraiment travailler sur beaucoup de secteurs en même temps.
- Très simplement car depuis la parution de Vendetta, l'histoire a continué et je l'ai suivie de très près. Donc j'avais envie de raconter d'une part ce qui était devenu toutes les personnes qui avaient été mises en examen et détenues dans le cadre du double assassinat de Poretta, de comprendre comment elles le vivaient, comment leurs familles le vivaient, comment elles se défendaient. D’autre part, depuis cette affaire une série de meurtres non élucidés à ce jour se sont déroulés en Corse. Ces assassinats, autour desquels plane le doute de la vengeance – la vengeance de la vengeance -, touchent des gens qui sont complètement périphériques : l'oncle, le père, l’ami de la famille, ... Et donc je souhaitais raconter ce que j'ai surnommé « la malédiction de Poretta ».
- Selon vous, en quoi ce double assassinat de Poretta a-t-il été une affaire hors norme ?
- Le double assassinat de Poretta est hors normes à plus d'un titre. Déjà, de par la façon dont il est minutieusement préparé, de par la façon dont les fils de plusieurs figures du grand banditisme se sont alliés pour venger leurs pères alors que tout les opposait au départ, parce qu'ils avaient en commun d'avoir - en tout cas c'est ce qu'ils pensent - le même ennemi. Il y a aussi la façon dont il a été préparé avec la complicité d'une gardienne de prison. Tout en fait un projet hors normes. Et puis avec le décryptage des téléphones PGP (ndlr :téléphones hyper sécurisés), l’enquête va permettre pour la première fois de rentrer dans l'intimité d'une vendetta. Jusqu'à aujourd'hui, quand des personnes soupçonnées d'assassinat sont interpellés, elles affirment que la vendetta ou la Brise de Mer sont des histoires de journalistes et minimisent totalement la réalité de la violence et de ces vengeances qui sont en cours. Là, pour la première fois, on a eu accès à la vérité de ce qu’est une vendetta. Et ce qui est encore plus étonnant, c'est que ce qu'on voit est encore plus dingue et encore plus romanesque que ce que les journalistes pouvaient bien écrire.
- Dans Le Crépuscule de la Brise de Mer vous vous intéressez donc à ce que vous avez surnommé « la malédiction de Poretta ». Pour vous, ces répercussions sont parties pour durer dans le temps ?
- Oui, j'en suis assez convaincue, car pourquoi s'arrêteraient-elles ? Le but est d'atteindre des personnes qui sont actuellement incarcérées. On a vu le verdict qui est tombé fin juin à la cour d’assises d’Aix-en-Provence : les condamnations des protagonistes vont de 20 à 30 ans. On sait très bien que ce sont ces personnes qui sont visées, mais tant que leurs ennemis ne pourront pas les atteindre, ils s’attaqueront à leurs proches.
- Ce procès du double assassinat de Poretta, qui s’est donc terminé il y a quelques jours, a été marqué par le refus de comparaitre d'une grande majorité des accusés qui, malgré ce qu’ils avaient laissé entendre, se sont finalement de facto peu exprimés. Malgré tout, qu’en retenez-vous ?
- Ce procès était exceptionnel. On peut dire aussi qu’il a été un immense gâchis pour toutes les parties. Je pense que personne ne sort satisfait et serein de ce procès. Il avait pourtant bien commencé, puisque tous les accusés avaient décidé de parler. Ils avaient d’ailleurs commencé à se livrer sur l'histoire de leurs familles, l'histoire de leurs pères, sur ce que c'est d'être un héritier d'un clan tel que la Brise de Mer. Il y avait une parole qui s'ouvrait et puis tout s'est arrêté d'un coup. Les accusés et leurs avocats avaient misé sur un renvoi du procès, mais celui-ci s'est quand même tenu. Un procès de cet acabit sans accusés et sans avocats, je pense que c'est du jamais vu.
- Vous l’évoquiez précédemment, Cathy Chatelain, l’ex-gardienne de prison, a joué un rôle central dans cette affaire. Dans votre livre, vous faites part d’échanges que vous avez eus avec elle. Comment analysez-vous ce personnage ?
- Forcément, sur le papier, c'est l’un des personnages qui intrigue le plus. Pour Vendetta, nous l'avions déjà sollicité par la voix de son avocat, et elle nous avait adressé un courrier à Marion Galland et à moi-même. J'ai repris cette correspondance déjà parce que j'avais envie de savoir comment elle vivait la détention, comment, quand on a été matonne de prison, on vit de se retrouver de l'autre côté des barreaux. J’avais aussi envie de savoir si elle regrettait, si avec le recul elle jugeait sa propre participation à ce double meurtre. J'ai pu échanger avec elle et constater qu'elle n’avait pas dévié, qu'elle était assez droite dans ses bottes et qu'elle se considérait comme membre du clan et qu'elle ne reniait pas du tout cette participation, voire qu'elle continuait à la revendiquer. Les experts ont cherché à comprendre comment une femme, mère de cinq enfants, peut du jour au lendemain dévier au point de devenir complice d'un double meurtre. Ils ont comparé son espèce d'embrigadement dans une machination pensée par des héritiers d'un clan criminel corse, à un embrigadement dans le terrorisme de Daesh. Et à l’instar de l'islamisation, ils parlent de corsicalisation.
- Le titre de votre livre, Le Crépuscule de la Brise de Mer, fait référence à la fin de ce clan. Pour autant la place qu’il occupait a-t-elle été laissée vacante ?
- Cela n'a plus la forme d'un clan assez homogène, avec un groupe d'amis, comme ce sur quoi se basait au départ la Brise de Mer. Désormais, on est plus dans de petits groupes de deux ou trois personnes qui, dans le nord de la Corse, vont vouloir mettre la main sur des marchés publics, des établissements de tourisme… Mais par contre, la technique reste la même : la porosité avec le monde économique, avec le monde politique, même parfois avec le monde policier, ou même judiciaire d'ailleurs – on a eu un exemple assez récent dans la région d'Ajaccio-. C'est un peu comme si la Brise de Mer avait joué un rôle de matrice : elle n'existe plus, mais ce fonctionnement de type mafieux existe toujours aujourd'hui partout en Corse.
- Justement, vous écrivez que l'emprise mafieuse en Corse est « plus forte que jamais ». Pourquoi ?
- Parce qu'il y a beau y avoir des interpellations et certaines condamnations - même si elles sont encore rares -, dès qu'il y a une nouvelle enquête un petit peu sérieuse qui est déclenchée, on se rend compte que les clans criminels fonctionnent toujours de la même façon, voire qu'ils ont presque acquis en technicité. Par exemple, avec l’enquête qui est en train de se terminer sur le clan du Petit Bar, on voit que ce clan criminel, qu'on peut même apparenter à un clan de type mafieux, ne s'est pas du tout contenté de rester dans la région d'Ajaccio et de se rendre coupable de racket et d'extorsion. Tout son processus de blanchiment d'argent va maintenant jusqu'à Singapour, Dubaï, passe par les blanchisseurs chinois du Centre d'Aubervilliers. On est vraiment dans un autre schéma. L'emprise mafieuse est vraie en Corse, mais les clans Corses bénéficient désormais dans le monde économique de l’appui de personnes qui les aident à devenir des « techniciens du crime », si l’on peut dire.
- Vous êtes désormais une habituée des enquêtes sur la grande criminalité en Corse. Qu'est-ce qui vous a poussé au départ à vous intéresser à ce milieu ?
- C'est un domaine qui m'a toujours intéressée. Déjà parce que je pense qu'il était assez peu couvert par la presse nationale, même si c'est moins vrai aujourd'hui. Et d'autre part, parce que je pense que c'est le seul phénomène de type mafieux qui existe sur le territoire français et qu’écrire sur celui-ci a aussi pour vertu de libérer la parole. C'était l’une de mes motivations. Par ailleurs, ce qui est aussi très intéressant est d'établir le lien de ces voyous avec la sphère économique, la sphère politique. Travailler sur cette criminalité, c'est vraiment travailler sur beaucoup de secteurs en même temps.