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Paul Giacobbi : « Qu'on arrête de nous prendre pour des imbéciles ! »


Nicole Mari le Samedi 19 Juillet 2014 à 19:38

Le discours de la ministre de la fonction publique et de la décentralisation, Marylise Lebranchu devant l’Assemblée de Corse (CTC), vendredi matin, a été diversement et fraichement accueilli par les élus insulaires. Le président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, qui, ces derniers temps, ne cesse de tacler la gestion gouvernementale de la question insulaire, revient, pour Corse Net Infos, sur les propos tenus et les mesures proposées. Sans langue de bois et en éreintant la démonstration ministérielle.



Paul Giacobbi, président du Conseil Exécutif de l’Assemblée de Corse et député de Haute-Corse.
Paul Giacobbi, président du Conseil Exécutif de l’Assemblée de Corse et député de Haute-Corse.
- Que retenez-vous du discours ministériel ?
- De l’ensemble des conversations que nous avons eu en deux jours et que j’avais eu auparavant, ressort une impression de confiance retrouvée, de dialogue renoué, de qualité dans l’expression et de sincérité dans la volonté d’aboutir. La ministre ne peut pas tout, mais elle a fait ce qu’il fallait pour donner un calendrier, ouvrir des perspectives et travailler sérieusement, sans dire que tout est impossible. Elle a admis qu’effectivement, il fallait réviser la Constitution pour la Corse, il est difficile de faire autrement parce que c’est l’évidence. Elle a indiqué les conditions dans lesquelles cela pourrait se faire puisqu’il y aura vraisemblablement une majorité parlementaire en faveur de cette révision.
 
- La porte reste fermée sur les votes majeurs de la CTC. Que pensez-vous des arguments que la ministre a avancés ?
- Ce sont des raisonnements qui ne tiennent pas ! Comment peut-on dire qu’il existe un bloc de constitutionnalité sacralisant le droit de propriété en France ! C’est idiot ! Il faudrait renoncer, alors, au droit d’expropriation. Le droit d’expropriation existe. Il est ouvert aux collectivités en vertu de l’intérêt public. Où est, alors, le caractère sacré du droit de propriété en France ? Tout cela ne tient pas la route un instant et fait rire les poules !
 
- Quid de ses propos sur le droit européen ?
- La référence au droit européen est grotesque. D’autant qu’il existe nombre d’exemples en Europe de statuts de cette nature et pas pour des raisons transitoires comme cela été écrit stupidement. Qu’on nous dise qu’on n’est pas d’accord parce que cela pose problème, je peux le comprendre ! Mais qu’on nous fasse des notes juridiques qui n’ont ni queue, ni tête, c’est idiot !
 
- Le gouvernement se cache-t-il derrière l’alibi juridique et constitutionnel pour masquer son manque de volonté politique ?
- Il y a un problème constitutionnel, mais, précisément, le gouvernement est en train de nous dire qu’il va réviser la Constitution. Il n’y a pas de véritable problème européen. Le droit de propriété en France est si peu sacré qu’il existe toutes sortes d’atteintes à ce droit : l’expropriation est constitutionnelle ! Donc, je ne comprends pas du tout ce raisonnement. Qu’on arrête de nous prendre pour des imbéciles !
 
- Peut-on raisonnablement attendre quelque chose de ce dialogue avec la ministre ?
- Oui ! Tout à fait ! De manière très forte et intelligente, le dialogue est relancé. Pour la première fois depuis longtemps, ce qui est dit, ici, n’est pas fait pour amuser la galerie, selon l’expression du 18ème siècle, ce qui veut dire le reste du pays. Il est fait pour régler des problèmes concrets de la Corse.
 
- La ministre a plusieurs fois prononcé le mot d’insularité. Est-ce bon signe ?
- Au début du 20ème siècle, un ancien député de la Corse, Emmanuel Arène, qui était en même temps un remarquable chroniqueur du Figaro, ami de Marcel Proust, avait dit à la Chambre des députés : « Messieurs, la Corse est une île et, de plus, elle est entourée d’eau de toutes parts ». Il est heureux qu’on s’en rende compte, aujourd’hui, au plan national. Mais, enfin, il a fallu du temps pour qu’on le reconnaisse !
 
- La ministre propose un accès différencié à l’acquisition de résidences secondaires. N’est-ce pas une sorte de statut de résident déguisé ?
- Je ne sais pas. J’attends de voir dans le détail de quoi il s’agit exactement. Mon intelligence limitée et ma connaissance limitée des choses ne me permettent pas de comprendre immédiatement !! C’est peut-être une piste intelligente. J’en accepte l’augure sans à-priori négatif, bien au contraire.
 
- On n’a pas très bien compris la proposition sur les Arrêtés Miot. Qu’en est-il ?
- Moi non plus, je n’ai pas très bien compris ! Mais, j’en accepte, là aussi, l’augure. On regardera de près ce qu’il en sera. La position de principe du Conseil Constitutionnel obéit à des raisons qui ne tiennent pas du tout à la Constitution, mais qui tiennent à l’aigreur ou au ressentiment. Ce qui est quand même un concept constitutionnel particulier ! Le problème ne vient évidemment pas de la rédaction du texte puisqu’à partir du moment où le Conseil Constitutionnel s’exprime pour des raisons partisanes et d’histoire personnelle, cela n’a plus rien à voir avec le droit français. Peut-être peut-on trouver une solution différente ? On verra bien de quoi il s’agit.
 
- L’Etat ramène la situation corse à celle d’autres régions françaises et veut trouver des solutions applicables partout. Le dérogatoire fait-il peur ?
- Cela ne me gène absolument pas ! A partir du moment où nous avons un problème, qui se pose ailleurs, que l’on applique à deux situations semblables, une solution identique, me paraît légitime et naturel. Le problème de la cherté des terrains du à la spéculation foncière n’existe pas qu’en Corse. La différence est que, dans une île, il est plus compliqué de s’éloigner pour trouver un terrain à des prix appropriés. Des phénomènes très particuliers du prix du foncier sont propres aux milieux fermés qui excluent un éloignement du fait de la barrière de la mer. Ce qui me gène et me choque plus, c’est que l’on admet des différenciations pour telle ou telle région de France, par exemple pour l’Outremer ou pour l’Alsace à propos de la laïcité et du droit de propriété sous prétexte que ces droits ont un fondement historique ! Et, on n’admet pas la même chose pour la Corse où l’insularité et l’histoire justifient, à l’évidence, bien plus qu’ailleurs, ces solutions différenciées.
 
- Les ambiguïtés de la politique gouvernementale ont-elles été levées ?
- François Mitterrand avait inventé cette phrase qu’il prêtait au Cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépends ! ». Le Cardinal de Retz n’a jamais écrit cela, j’ai vérifié. L’ambiguïté porte sur la mise en avant de théories juridiques fumeuses qui sont contrebattues par des exemples français et étrangers permanents. On reste un peu dans l’ambiguïté… Mais, enfin, il en faut toujours un peu !
 
- N’y-a-t-il pas à Paris plusieurs visions de la question corse ?
- Oh ! Je crois qu’à Paris, il y a plusieurs visions de beaucoup de choses ! Mr Montebourg est pour une politique étatique forcenée tout en étant pour une politique libérale forcenée tandis qu’il s’oppose complètement à ce que dit le 1er ministre sur un certain nombre de sujets essentiels ! Il existe, dans le gouvernement, au moins deux ou trois versions de la place de la France dans le monde et des divergences profondes sur la décentralisation. C’est, donc, assez naturel qu’il existe des divergences sur la situation de la Corse. Cela n’a rien d’étonnant, c’est le cas dans tous les gouvernements. Celui-là particulièrement, c’est vrai !
 
- Comment la Corse peut-elle avancer dans son processus de décentralisation face à une telle diversité de vision ?
- Les visions sont successives. Sur l’affaire de la SNCM, tel jour, le 1er ministre a dit qu’il ne fallait pas appliquer le principe de libre circulation sur le port de Marseille. Le lendemain, devant l’Assemblée nationale, il a dit qu’il fallait utiliser la force publique pour rétablir l’ordre sur le port de Marseille. Deux visions différentes à 24 heures d’écart ! Que voulez-vous, la contradiction est un principe général de gouvernement !
 
Propos recueillis par Nicole MARI