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« Notre langue est notre droit ! A lingua hè u sale di a nostra vita ! »


Nicole Mari le Dimanche 31 Mai 2015 à 21:55

La réforme très décriée du collège, présentée en mars par la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, et applicable à la rentrée 2016, fait un sort « calamiteux » aux langues vivantes, régionales et anciennes. Lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse (CTC), les Nationalistes modérés de Femu A Corsica, inquiets des conséquences désastreuses en matière d’enseignement de la langue corse, sont montés au créneau. Ils ont interpelé l’Exécutif sur l’inadaptation de la réforme à la coofficialité, au plan Lingua 2020 et au transfert de la compétence éducative. Ils demandent un statut dérogatoire et transitoire en attendant la révision constitutionnelle. Explications, pour Corse Net Infos, de Saveriu Luciani, conseiller territorial et professeur de Langue et Culture corses à l’ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l'éducation).



Saveriu Luciani, conseiller territorial de Femu a Corsica, membre du PNC (Partitu di a nazione corsa), conseiller municipal de Ghisonaccia, Vice-président de la Communauté de communes, professeur de Langue et Culture corses à l’ESPE de Corse.
Saveriu Luciani, conseiller territorial de Femu a Corsica, membre du PNC (Partitu di a nazione corsa), conseiller municipal de Ghisonaccia, Vice-président de la Communauté de communes, professeur de Langue et Culture corses à l’ESPE de Corse.
- Pourquoi vous élevez-vous contre la réforme du collège présentée par la ministre Vallaut-Belkacem ?
- Si l’on en juge par ses principales dispositions, cette réforme du collège n’est pas du tout celle qu’attend la Corse. Elle ne répond pas à nos aspirations et à notre spécificité, notamment quant à l’objectif de bi-plurilinguisme. Femu A Corsica milite pour le transfert de la compétence « Education » qui permettra une gouvernance de l’ensemble du dispositif de formation des hommes. C’est la Corse elle-même qui doit répondre, sur l’idée d’avancer l’âge d’inscription dans des formations professionnelles, sur les moyens à mettre en œuvre pour palier le fameux décrochage scolaire de la jeunesse corse, sur les connaissances à acquérir et les méthodes de travail pour s’adapter au monde de demain.
 
- Une réforme globale du système éducatif ne s’avère-t-elle pas nécessaire ? 
- Oui ! Si tant est que l’on parle de la même chose, que l’on apporte des réponses spécifiques et adaptées à la situation corse. Oui ! Si l’on corrige fondamentalement les disparités, les inégalités et la sortie précoce des jeunes du système éducatif dans notre île où le taux de scolarisation se situe bien en dessous des moyennes françaises…
 
- Quelles sont les grandes lignes de la réforme proposée ?
- L’Etat entend s’attaquer au « collège unique » considéré comme le « maillon faible » du système scolaire, « inégalitaire », « suscitant l’ennui » et « aggravant la difficulté scolaire, particulièrement dans les disciplines fondamentales ». Elle ne fait que continuer l’œuvre entamée avec la loi du 8 juillet 2013 sur la refondation de l’école qui proposait de repenser le collège unique. Avec deux volets essentiels, à savoir une nouvelle organisation du collège (enseignements, grilles horaires, etc.) et la mise en place de nouveaux programmes de la maternelle à la fin du collège, par cycles de 3 ans.
 
- Pourquoi est-elle si décriée ?
- Pour la plupart des syndicats enseignants français, cette réforme ne sera pas pédagogique. L’interdisciplinarité proposée n’est pas celle attendue, tout comme l’autonomie n’est pas celle des équipes pédagogiques et éducatives, sans parler des notions d’autonomie des établissements, de la notion « d’accompagnement », des conditions de travail et de formation des personnels.
 
- Qu’en est-il en Corse ?
- En Corse, l’Associu di i Parenti Corsi a déjà pris position en parlant de « remise en cause de l’enseignement de la langue corse ». Il va sans dire que nous partageons totalement cette position ! Voilà une réforme qui introduit en classe de 5ème et non en plus en 4ème, la seconde langue vivante (LV2) ! On nous parle d’une augmentation de 54 heures d’enseignement sur l’ensemble de la scolarité au collège. Mais, de quelle langue ? Pas la nôtre ! 
 
- Concrètement, quelles seront les conséquences ?
- On sait que, dans le choix d’une LV2 obligatoire, les élèves ne prennent pratiquement jamais une langue « régionale », et préfèrent poursuivre, quand ils poursuivent, l’étude de cette langue sous la forme optionnelle. En clair, les effectifs déjà maigres vont encore se réduire. La plus belle preuve, actuellement, reste la chute vertigineuse des effectifs scolaires en LCC (Langue et culture corse) à partir de la classe de 4ème.
 
- Cette réforme présente-t-elle d’autres dangers pour la langue corse ? 
- Oui ! On nous dit, aussi, que les Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) vont renforcer la pratique de la langue. Or l’élève doit, dans ce scénario du pire, pouvoir suivre un enseignement de langue corse, sans être privé de l’accès à d’autres enseignements. Pour revenir à l’essentiel, au-delà de ce danger majeur de recul du corse dès la 5ème, sans parler de l’effet domino occasionné dès le primaire, que vont devenir les heures d’enseignements optionnels ? Que va, surtout, devenir le dispositif des filières bilingues ? 
 
- Cette question préoccupe au-delà de l’île. Vous faites état de nombreuses réactions allant dans le même sens. Lesquelles ?
- Les députés du groupe d’études « Langues régionales » ont manifesté leur profonde inquiétude sur plusieurs articles du décret. Une motion du Conseil national des universités (CNU 73ème section) rejoint nos critiques quant à l’ambiguïté du choix d’une LV2 en classe de 5ème. Si elle est appliquée en l’état, cette réforme supprime toute possibilité d’étudier une LR (Langue régionale) en 6ème, y compris pour des élèves issus de filières bilingues. Le résultat ? Un recul dramatique de l’espace du corse dans l’éducation qui impactera inévitablement la formation initiale des futurs enseignants.
 
- Pourquoi Femu a Corsica a-t-il présenté une motion de soutien à David Grosclaude ?
- Comment ne pas soutenir un conseiller régional d’Aquitaine en grève de la faim, quand l’Etat nie politiquement, depuis juin 2014, le vote favorable des deux Conseils régionaux de d'Aquitaine et de Midi-Pyrénées sur la création d’un office public de la langue occitane ? Une fois de plus, Paris oppose son monolinguisme d’Etat aux diverses demandes de démocratie linguistique.
 
- Là aussi, vous fustigez une nouvelle contradiction de l’Etat. Pourquoi ?
- Parce que l’Etat va fondamentalement à l’encontre des choix de notre Assemblée. Nous soutenons un processus politique engagé depuis 2010 par l’Assemblée de Corse, notamment la demande de coofficialité de la langue corse, l’agrégation de « Langue et culture corses », un concours des PRCE (Professeurs certifiés) unique pour 2019, le tout dans le plan « Lingua 2020 » voté en avril 2015. Nous demandons à l’Exécutif territorial de se placer à la hauteur de l’enjeu, comme nous le demanderons rapidement au Recteur d’académie. Nous le répétons : si la réforme du collège est appliquée en l’état, elle condamne tout ce que nous avons entrepris depuis des décennies. Et cela, nous ne l’accepterons pas ! 
 
- Quel est votre objectif ?
- Notre langue est notre droit ! A lingua hè u sale di a nostra vita ! Pour Femu A Corsica, l’objectif reste constant : placer la langue au cœur du dispositif éducatif, et, au-delà, en faire le pivot d’une société bi-plurilingue. Si une réforme s’avère nécessaire, celle de Mme Vallaud-Belkacem n’est en aucun cas la réforme qu’attendait la Corse ! La véritable réponse passe par la définition d’un système éducatif propre à notre île, dans le cadre d’un nouveau statut politique. C’est à l’aune de cet objectif majeur, pour une Nation corse moderne, que nous appellerons, dans les prochaines semaines, les Corses à se mobiliser.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.