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Nanette Maupertuis : « La session consacrée aux dérives mafieuses est aussi nécessaire que difficile »


Nicole Mari le Vendredi 18 Novembre 2022 à 16:12

La session extraordinaire, consacrée aux dérives mafieuses, qui se tient toute la journée de vendredi à l’Assemblée de Corse, s’est ouverte par une allocution solennelle de la présidente Nanette Maupertuis qui a, d’emblée, rappelé la difficulté, mais aussi la nécessité de l’exercice. Déplorant l’absence des services de l’Etat, elle explique l’obligation de bien nommer les choses pour ne pas se tromper de réalité. Et espère que cette session initiera un travail commun qui portera ses fruits.



Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
« La session d’aujourd’hui est difficile », reconnaît d’emblée la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, avant d’ajouter immédiatement « mais elle est nécessaire ». En une phrase est posée toute la complexité de la session extraordinaire consacrée aux dérives mafieuses qui se tient toute la journée de vendredi 18 novembre à l’Assemblée de Corse et à laquelle ont été conviés l’ancien président Dominique Bucchini, qui avait créé en son temps la Commission Violences, la présidente du CESEC, le vice-président de l’Assemblea di a Ghjuventù, les parlementaires et les représentants des collectifs. Difficile parce que « le sujet principal a trait à la violence criminelle, trop souvent à la mort et toujours à la peur. Et qu’il est difficile pour des élus et à fortiori des citoyens de parler de ce qui est douloureux ou de ce qui impressionne. Difficile aussi parce que cette criminalité s’exerce sous de multiples formes et que ses modalités opératoires, comme son emprise, sont parfois insondables et - quoi qu’on en dise - y compris pour des élus », précise Nanette Maupertuis.
 
Des attentes fortes
Nécessaire parce que « les attentes sont très fortes … attentes des collectifs, des associations, des Corses en général et de la jeunesse en particulier. Nécessaire parce qu’il ne peut y avoir de développement individuel ou collectif équilibré que dans un cadre démocratique, serein, apaisé. Nécessaire parce nos enfants méritent mieux que les dépendances, les addictions, les déflagrations mortifères et la peur des représailles ». Mais, poursuit la présidente de l’Assemblée de Corse, « il est de notre responsabilité collective de débattre aujourd’hui de dérives qui portent atteinte à la vie humaine, au fonctionnement de la vie sociale et surtout qui sapent toute idée de liberté et de progrès ». S’appuyant sur l’article 1er du règlement intérieur de l’Assemblée, elle affirme : « nous devons défendre les intérêts matériels et moraux du peuple corse… et ce, y compris lorsqu’une de ses marges met en péril l’ensemble du corps social. Et ce travail doit être mené avec tous ceux qui défendent l’idée qu’au sein d’une société, le respect de l’intégrité physique, de la probité morale, de la liberté d’entreprendre comme de penser sont des valeurs cardinales ».
 
L’Etat, grand absent
La tenue de cette session extraordinaire avait été décidée par l’Assemblée de Corse et le Conseil exécutif de la Collectivité de Corse en 2019, à la suite de l’assassinat de Massimu Susini. Malgré des retards en série générés par le contexte sanitaire ou local, la présidente Maupertuis rappelle que des auditions ont été menées par la Conférence des Présidents, lors de la précédente mandature. « Nous avons souhaité - avec les présidents de groupe et le Président du Conseil exécutif - réécouter les associations anti-mafia : les collectifs Massimu Susini, A maffia nò a vita iè, la plateforme citoyenne. Mais également la Ligue des droits de l’Homme. C’est ce qui fut fait au cours des 15 derniers jours ». Si elle se réjouit de présence des collectifs dans cet hémicycle, elle déplore que « comme lors de l’ouverture de ce cycle en 2019, les services de l’Etat en Corse n’aient pas souhaité se soumettre à l’exercice de ces auditions qui n’avaient pourtant comme objectif que de faire état de la situation. Il me semble questionnable que des responsables de la justice et de l’investigation refusent d’être auditionnés par des représentants du peuple élus au suffrage universel ». Tout en les invitant « vivement » à se joindre « à notre travail parce que leurs services ont la charge de l’exercice des pouvoirs régaliens, bien-entendu, mais aussi parce qu’ils disposent d’informations, de données et d’expertises qui seront indispensables dans la mise en place de solutions efficaces d’observation et de lutte contre la violence et la criminalité ».
 
Bien ou mal nommer
Les auditions, dont la présidente de l’Assemblée de Corse a rendu ensuite compte dans une longue synthèse, ont permis, estime-t-elle, « de recueillir des signaux d’alerte très forts, de compléter notre connaissance du phénomène, d’identifier des pistes de solutions. Elles sont une première étape, indispensable à la conscientisation de la difficulté à laquelle nous nous sommes soumis, mais aussi à la confrontation de différentes perceptions du phénomène ». Notamment la question de vocabulaire qui fait débat, en l’occurrence le mot « mafia », utilisé par les collectifs citoyens, mais récusés tout à la fois par le monde politique, le monde judiciaire et le gouvernement. Le mot suggérant une réalité qui, pour ces derniers, ne reflète pas la situation de l’île. Aussi Nanette Maupertuis prône-t-elle à la prudence. « Pour avancer nous n’avons pas voulu nous arcbouter sur des questions de sémantiques. Certes, les choses, qui ne sont pas nommées, n’existent pas. Mais mal les nommer, c’est ajouter au malheur du monde pour reprendre Camus », prévient-elle. « La focalisation sur la question de sémantique est peut-être aussi une façon, consciente ou inconsciente, d’éviter d’aller traiter le problème au fond ». Aussi propose-t-elle de d’abord « nous concentrer sur les faits avant de proposer une dénomination, qu’il s’agisse d’utiliser un terme existant comme « mafia » ou de créer, peut-être un concept nouveau qui corresponde davantage à la réalité observée en Corse ».
 
Pas de solutions miracles
Ceci posé, la présidente de l’Assemblée de Corse appelle à un débat « sans tabou » et à un travail de fond, « vital à la résolution de la crise que traverse la Corse. Car il existe aujourd’hui en Corse une frange de la population qui fait passer ses intérêts avant ceux de la Corse et des Corses, intérêts qu’elle défend en utilisant une réserve de violence et qui empêche les uns d’entreprendre, les autres de développer, parfois certains de respirer. Et cela est suffisamment grave pour que nous élus, nous en débattions ». Après la restitution des propos tenus en Commission, le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, s’est longuement exprimé dans un discours très ferme où chaque question a été soulevé, puis chaque groupe est intervenu pendant quinze minutes, chacun. L’après-midi s’est poursuivie par des échanges avec les différents collectifs et la définition de thématiques clés « qui méritent d’être approfondies collectivement, de co-construire une méthode et de définir un calendrier de travail ». Les élus reviendront, ensuite en séance plénière pour le vote d’une résolution solennelle. « Autant le dire tout de suite : cette session n’est pas un point d’aboutissement ! C’est une étape importante dans le processus débuté en 2019 », indique Nanette Maupertuis, avant de mettre en garde : « Il n’y aura pas de solutions miracles qui sera produite d’ici la fin de la journée mais, durant ce moment démocratique fort, nous aurons posé, je l’espère, les bases d’un travail conjoint qui procède de notre ferme volonté de laisser à nos enfants, une terre, un pays émancipé, apaisé et où ils seront heureux ».
 
N.M.