Corse Net Infos - Pure player corse

Loger les saisonniers à Bonifacio : le serpent de mer refait surface


le Lundi 4 Décembre 2023 à 19:48

De par son isolement, son déficit de foncier, sa forte fréquentation touristique et son accès rendu toujours compliqué l'été, Bonifacio peine, peut-être plus qu'ailleurs en Corse, à loger les saisonniers dont ses socioprofessionnels ont besoin. Le constat ne date pas d'aujourd'hui, pour autant aucune structure d'hébergement à destination des saisonniers n'a vu le jour. Un projet vient toutefois d'être amorcé par la municipalité : celui d'une maison des saisonniers.



A Bonifacio, beaucoup de commerces ont baissé le rideau en ce mois de novembre. Tous rouvriront au printemps, mais combien d'entre eux parviendront-ils à trouver les saisonniers dont ils auront besoin ?
A Bonifacio, beaucoup de commerces ont baissé le rideau en ce mois de novembre. Tous rouvriront au printemps, mais combien d'entre eux parviendront-ils à trouver les saisonniers dont ils auront besoin ?
Il y a quelques semaines, la municipalité bonifacienne a rédigé deux questionnaires sur la problématique récurrente de l'hébergement des travailleurs saisonniers. L'un à destination des employeurs, l'autre des saisonniers "dans le but d’établir un panorama des conditions d’hébergement et d’emploi des travailleurs saisonniers", précise la municipalité sur ses réseaux sociaux. Elle note que "l’analyse qui est menée doit permettre d’obtenir des données objectives, pour construire des dispositifs réalistes et répondant aux exigences et contraintes des acteurs de la saisonnalité.

Une initiative saluée par tous les socioprofessionnels bonifaciens que nous avons pu interroger, tant les difficultés d'hébergement sont importantes, à l'amorce de chaque saison touristique. "J'ai payé 700 euros par mois sur 12 mois pour louer un logement à l'année. C'était la seule solution pour loger mon employé qui était là six mois de l'année seulement", confie Anthony Faby, le gérant du restaurant Casarella, dans la citadelle. "Et là, je vais devoir recruter deux personnes pour quatre mois. J'aurai besoin d'un autre appartement...

"Une idée formidable"

"J'avais deux appartements à Bonifacio que je louais pour mon personnel, et mon frère en a trois", renchérit Henri Poggi, qui a définitivement laissé la gérance du restaurant Le Saint-Do à son frère. Alors oui, une Maison des saisonniers, "c'est une idée formidable, car on est toujours obligés de chercher des logements en ville".

En l'absence d'un tel équipement, la solution "c'est de fidéliser localement, pense Marie Lopez, la directrice de l'hôtel Santa Teresa. Chez nous, les postes se transmettent de mère en fille. Et à 97 %, on emploie du personnel local." Mais tous n'ont pas la même implantation historique que le Santa Teresa, et trouver du personnel saisonnier local se révèle de plus en plus compliqué, reconnaissent les socioprofessionnels bonifaciens. Il suffit d'ailleurs de voir le nombre importants d'offres qui transitent par Pôle Emploi à l'orée de chaque saison.

Un projet d'école hôtelière qui n'est pas allé à son terme

A travers son questionnaire, la municipalité interpelle les professionnels du tourisme bonifacien en posant quelques questions dont on devine aisément les réponses, telles que celles-ci : "Seriez-vous intéressé par la création d'une maison des saisonniers par la commune de Bonifacio, qui proposerait des logements saisonniers aux employeurs et employés pour les prochaines saisons estivales ?

Rien de nouveau confirme Patrick Bernard, le patron de L'Aria Nova, qui résume la pensée collective : "Oui, tout le monde a besoin d'un tel équipement, et ça fait des années qu'on en parle. Il y avait eu un projet de faire une école hôtelière mais ça n'était pas allé au bout." Le restaurateur fait référence à ce projet d'école hôtelière que la municipalité avait tenté d'initier, mais qui avait fini par être abandonné "puisque ce type d’établissement nécessite un tissu urbain important afin de parfaire son attractivité", était-il consigné, en guise de justificatif à l'abandon du projet, dans le diagnostic relatif à la convention Ville d'art et d'histoire passée en 2019 entre la ville, la Collectivité de Corse et l'Etat.

Le maire de Bonifacio, Jean-Charles Orsucci, n'a pas donné suite à nos sollicitations. Mais en octobre, à nos confrères de France 3 Via Stella, il disait regretter que ce projet d'école hôtelière n'ait pas pu se réaliser : "A une époque, il était quasiment acté qu'elle soit dans la caserne Montlaur qui appartient à la Collectivité de Corse, mais d'autres se sont évertués à faire échouer le projet pour l'implanter dans leurs territoires. Ce campanilisme-là, nous le subissons en Corse depuis longtemps et ce que j'observe aujourd'hui, c'est que dix ans plus tard, cette école hôtelière, elle est nulle part." Or pour beaucoup de Bonifaciens, une école hôtelière qui formerait la future main d'oeuvre employée durant les saisons en Corse, couplée à une structure d'hébergement pour ceux qu'il conviendra d'aller chercher sur le Continent, apparaît comme la solution idéale.

Isolement géographique et difficultés d'accès

Le service communication de la ville de Bonifacio temporise en insistant sur l'état embryonnaire du projet, qui n'existe qu'à travers cette consultation publique que la ville a initiée et qui "a permis de recueillir une cinquantaine de réponses pour chacun des questionnaires".  Aucun lieu d'accueil d'accueil potentiel n'est pour l'heure arrêté, précise-t-on au service communication, alors que les commerçants regardent avec insistance du côté de la caserne Montlaur, actuellement en rénovation, mais propriété de la Collectivité de Corse. Et toute nouvelle construction apparaît pour l'heure compliquée à engager depuis l'abrogation en 2022 du Plan local d'urbanisme de Bonifacio. Les règles d'urbanisme en vigueur depuis cette abrogation n'autorisent que des constructions dans des aires déjà urbanisées, et celles-ci ne sont pas légion à Bonifacio...

Or, la ville souffre de son isolement géographique, située à 25 km de Porto-Vecchio. En haute saison, elle est prise d'assaut par les touristes, ce qui rend son accès difficile, sans parler du stationnement. "Ne pas habiter à Bonifacio quand on est saisonnier, c'est impossible, confirme Patrick Bernard. Le personnel travaille généralement en coupure. Il doit donc faire deux allers-retours dans la journée."

La Maison de la Saisonnalité est prise d'assaut par les socioprofessionnels de la Costa Verde, qui y logent leurs employés venus du Continent.
La Maison de la Saisonnalité est prise d'assaut par les socioprofessionnels de la Costa Verde, qui y logent leurs employés venus du Continent.
L'exemple de la Costa Verde ?

Dans un passé relativement récent, des tentatives d'implantation de maisons de la saisonnalité ont tourné court. "Il y a deux ans, ça n'a pas pu fonctionner en Balagne à cause d'un manque de foncier", se souvient Karina Goffi, la présidente de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) en Corse. Selon elle, il faut une volonté politique derrière un tel projet et "les maires n'ont pas envie de donner du foncier pour le tourisme", pense-t-elle aujourd'hui.

Autre expérience avortée, au début des années 2010, à Porto-Vecchio : "C'était porté par des privés avec l'appui de la CCI qui gérait le 1% logement", se souvient Laurence Giraschi, la directrice générale des services de la communauté de communes du Sud Corse (CCSC). Ce projet, "ils n'ont pas réussi à le mettre en oeuvre et ils ont arrêté le financement." Si l'intercommunalité dispose de la compétence tourisme, il n'est pas illégitime pour Bonifacio de porter un tel projet, oppose Laurence Giraschi, "au titre du logement". De son côté, la CCSC explique aussi travailler à l'échelle de son territoire "sur du diagnostic concernant les besoins en termes de logements". Et d'annoncer "un rendu en début d'année auprès de la population".

S'il y a eu des échecs d'implantation, une maison des saisonniers a réussi à s'inscrire sur la durée, puisqu'elle a soufflé ses vingt bougies cette année. Elle se situe à Santa Maria Poghju, et est gérée par la communauté de communes de la Costa Verde. "C'était une ancienne friche industrielle que nous avons rachetée", se remémore Maryline Frati-Renosi, la directrice de l'office de tourisme.

Ces problématiques de logement des saisonniers, elles existaient déjà il y a vingt ans sur la Plaine orientale, "car nous sommes un territoire purement touristique". Et si elles se sont accentuées, ce n'est pas tant dû à l'augmentation des flux touristiques, mais au fait "que les jeunes aujourd'hui en Corse ne veulent pas travailler l'été dans les campings ou dans les restaurants tenus par leurs parents", constate Maryline Frati-Renosi.

La structure dispose de neuf chambres de deux couchages chacune, soit dix-huit lits. "On est complets tous les ans. On écrit à tous nos socioprofessionnels et les premiers qui répondent sont les premiers servis."  L'hiver, elle sert d'hébergement d'urgence ou bien de lieu d'accueil pour des délégations sportives. C'est donc d'avril à octobre que la collectivité de la Plaine orientale parvient à maintenir "un coût d'équilibre", avec l'encaissement d'un loyer de 350 euros par mois par chambre louée.

Ces chambres sont louées directement par les socioprofessionnels de la Costa Verde : "Le loyer est très correct, apprécie Erika Nanni, la gérante du restaurant Chez Thérésa, basé à San Giuliano qui prend à sa charge le loyer de ses futurs employés : "Car si on leur dit de payer leur loyer, personne ne vient travailler..."

Romain Aine, du restaurant A Pota Marina de Moriani-Plage, confirme : "Il faut savoir qu'un saisonnier, pour venir travailler en Corse, va avoir une vingtaine d'employeurs qui vont lui faire une proposition. Plusieurs de ceux qui ont choisi de travailler pour moi m'ont dit qu'ils l'ont fait parce qu'ils avaient pu être logés dans la Maison de la saisonnalité, sans loyer à payer."

350 euros par mois, c'est donc moitié moins que ce que doit verser un restaurateur comme Anthony Faby pour loger son employé à Bonifacio. "Et sur douze mois...", rappelle-t-il.