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« Là où pousse le romarin » de Carla Galardelli


Philippe Jammes le Dimanche 16 Novembre 2025 à 11:43

Imaginée dans le cadre d'une bourse à la création avec le soutien de la Collectivité de Corse et le Festival de l'Olmu, cette pièce est publiée en édition bilingue. Carla Galardelli nous plonge dans l’intimité d’un village méditerranéen, une histoire insulaire entre silence et révélation, où trois sœurs se débattent avec un secret enfoui depuis dix ans. Paru aux Éditions des Immortelles, le texte alterne humour acéré et tension dramatique, tisse des dialogues lumineux, révélant des figures féminines puissantes, confrontées à l’omerta familiale et sociale. Ce livre est le second titre de la collection théâtre des Editions Immortelles, après « Prunu » de Forteleone Arrighi, en partenariat avec le Festival de l’Olmu. Le texte a été préfacé par Francesca Serra, prix Le Monde 2020 pour « Elle a menti pour les ailes ». Rencontre avec l’auteure, autrice et comédienne ( « A son image », « En apparences », « Andromaque », « Pluriel.le.s »…) originaire de Propriano.



« Là où pousse le romarin » de Carla Galardelli
« Là où pousse le romarin » de Carla Galardelli

- Un mot sur vos racines ?
- Originaire du Valincu, j’y ai passé mon enfance jusqu’à mon entrée à l’université de Corte, où j’ai vécu 3 ans. C'est là-bas que j'ai pu nourrir un regard plus politique sur le territoire alors que je n'y mettais jusqu'ici que de l'affect. J'ai grandi dans une famille sartenaise du côté de ma mère et proprianaise du côté de mon père. Les deux branches ont été sources d'inspiration, avec leurs lots d'histoires, mais c'est aussi l'enfance, les bancs de l'école, les événements à répétition dans le village, qui, on le comprend vite, sont les mêmes, enfants, amis, évènements… que partout autour de l'île, si l'on s'amuse à simplement changer les noms, les dates. C'est cette notion de fatalité et de prédestination qui m'a intéressée, contre laquelle je décide de me battre, dans le même temps qu'elle me passionne, puisqu'elle devient précieuse et confortable lorsqu'il s'agit de nos valeurs, de nos liens, de la chance de naître ici.


- Votre parcours ?
- Après un baccalauréat littéraire spécialité arts-plastiques au lycée de Sartène, j'ai été étudiante en licence de Lettres modernes à l'université de Corte pendant trois ans. Là-bas, j'ai suivi un cours de théâtre avec Jean-Pierre Giudicelli qui a été une révélation : mon goût pour l'art et pour la littérature n'ont fait qu'un  J'ai décidé de poursuivre dans cette voie en m'inscrivant aux Cours Raymond Acquaviva, une école de théâtre parisienne, où j'ai pu travailler ma pratique théâtrale pendant 3 ans. Lorsque j'en suis sortie, j'ai eu envie de poursuivre mes recherches universitaires pour avoir un bagage plus théorique, j'ai donc postulé au Master d'Etudes théâtrales de la Sorbonne Nouvelle. Je suis aujourd'hui en deuxième et dernière année de master, et j'écris un mémoire intitulé « La scène insulaire comme lieu de lutte symbolique : théâtre, identité et politique en Corse ». 


- Comment êtes-vous venue à la comédie, puis à l'écriture ?
- J'ai suivi quelques cours de théâtre pendant l'enfance mais j'ai surtout fait beaucoup de piano et de danse. L'univers de la scène m'a toujours attirée. Puis c'est à l'université que j'ai finalement eu un coup de cœur pour le théâtre qui est un art complet, qui réunit une forme d'expression, mon attrait pour le texte et pour le monde du spectacle.


L'idée de cette pièce ? 
- Le besoin d'écrire cette pièce est survenue lors de l'année 2022 qui fut difficile pour la région. De multiples meurtres et accidents ont plongé mon village dans le chagrin et la révolte. Dans le même temps, les événements autour de la mort d'Yvan Colonna ont secoué l'île. Je me suis demandée ce que j'avais à en dire et de quelle manière, puis je me suis demandée ce que toutes les femmes qui n'osent jamais prendre la parole sur ces thèmes, et qui bien souvent se retrouvent à avoir un rôle passif, pouvaient bien avoir à en dire. J'ai voulu les imaginer pour une fois au centre du propos. Les trois axes principaux de la pièce sont le temps, la mort, la parole des femmes.


- A-t-elle été jouée ?
- Elle a été mise en scène par Lucile Thiery pour être jouée en août 2024 pour 3 dates au festival de l'Olmu, à Olmeto ainsi que dans le village de Mela en Alta Rocca. Nous avions également eu l'opportunité de travailler et de présenter une sortie de résidence en avril 2024 au Théâtre de la Bastille à Paris. Pour ce qui est de l'avenir, la mise en scène est récupérée par Paul-Alexandre Fortini pour une adaptation bilingue qui verra le jour à l'été 2027. La pièce a été éditée aux éditions des Immortelles, traduite en langue corse par Marie-Dominique Predali. C'est grâce à cette opportunité que nous envisageons une version bilingue, qui nous tient à cœur et qui promet un bel avenir à ce texte.


- Vous avez aussi créé votre propre compagnie ?
- Ma compagnie, « Rose Granit », est née d’un désir de démocratisation culturelle. J’ai envie de proposer un théâtre accessible, qui s’adresse aussi à celles et ceux qui ne fréquentent pas forcément les salles. Le plein air et la pluridisciplinarité, notamment la musique dans mes prochaines créations, participent de cette volonté d’ouvrir le champ de la rencontre artistique. À travers mes textes, j’essaie de transmettre une vision du monde à la fois poétique et engagée, ancrée dans les réalités sociales et générationnelles. L’un des axes fondamentaux de la compagnie reste la place des femmes et la nécessité de créer un espace de parole et de liberté qui leur soit dédié. 


- Les projets ?
- Ma prochaine création, « A una lupa », raconte une traversée de l’émancipation, féminine, générationnelle et territoriale. J’y explore le passage de l’enfance corse à la vie urbaine, la confrontation entre héritage et liberté. Le texte mêle récits intimes, fragments de mémoire et prises de parole politiques, dans une forme chorale. La figure de la louve en est le symbole, entre instinct, révolte et transmission. C’est un chant collectif, à la fois poétique et politique, traversé par la musique et la fête comme espaces de résistance.