Corse Net Infos - Pure player corse

La députée européenne ​Lydie Massard en Corse : "Il faut pousser la France à ratifier la charte des langues régionales"


Patrice Paquier Lorenzi le Lundi 6 Novembre 2023 à 21:12

Aux 3 x 8 à l’usine puis cuisinière dans un lycée de Pontivy, Lydie Massard, porte-parole de L’union démocratique bretonne (UDB) est devenue députée européenne le mois dernier. Elle était ce week-end en Corse afin de rencontrer des élus de tous bords, ainsi que pour visiter une installation agricole insulaire dans le cadre de la sortie de son livre « Nourrir nos territoires ». Rencontre avec une autonomiste bretonne convaincue et ardente défenseur de la langue bretonne.



Lydie Massard, député européenne, était en visite en Corse, ce week-end (crédit photo : Parlement Européen)
Lydie Massard, député européenne, était en visite en Corse, ce week-end (crédit photo : Parlement Européen)
- Quel est l’objet de votre visite aujourd’hui en Corse ?
- Je suis une élue de « Régions et Peuples solidaires », qui a un accord avec Europe Ecologie les Verts au niveau, et je souhaitais dès le début de mon mandat, faire le tour des territoires de notre parti RPS. J’ai logiquement commencé par chez moi en Bretagne, et je suis aujourd’hui là en Corse pour y rencontrer des élus et des agriculteurs. J’irais prochainement à la rencontre des autres régions de notre mouvement.
 
- En 2023, cela représente quoi d’être député européen ?

- Pour moi, c’est agir sur la vie quotidienne des gens. Souvent, on peut avoir l’impression que l’Europe c’est quelque chose de très technocratique, et en fait je m’aperçois que tout ce qui se passe au parlement européen est très méconnu des citoyens. L’UE agit énormément sur notre vie. Je travaille beaucoup sur l’Alimentation, mais il y a également des domaines comme la PAC (NDLR Politique Agricole Commune) et les marchés publics, savoir notamment comment on approvisionne les cantines scolaires. Tout cela, ce sont des règles gérées par l’Union européenne. Par exemple, dans mon lycée, il y a ce que l’on appelle une MLDS (NDRL : une mission de lutte contre le décrochage scolaire), afin de remettre sur les rails des jeunes en difficulté et c’est aussi financer par l’UE. Il y a un travail à faire pour les gens puissent vraiment réaliser l’emprise de l’Europe sur notre quotidien. Mon but, c’est d’améliorer la qualité de vie quotidienne des gens en améliorant la réglementation européenne.
 
- Votre cheval de bataille, c’est l’aide aux petits agriculteurs et aux circuits courts face aux grands groupes industriels. N’est-ce pas un combat perdu d’avance ?
- Je n’ai pas envie de dire cela sinon je ne ferais pas de politique ! Mon engagement sur cette question fondamentale part d’un mécontentement. Je viens du Centre-Bretagne, nous produisons chez moi pour l’équivalent de 4 ou 5 fois notre population. Nous avons de grandes entreprises de l’Agroalimentaire. C’est très prégnant sur notre territoire, cela maîtrise l’emploi, les relations sociales et cela a transformé notre paysage en Bretagne. Moi qui suis cuisinière dans un lycée, je me suis aperçu que malgré toute cette production, et bien les approvisionnements ne viennent pas forcément de chez nous. Pour des questions de prix et de libre marché, nous nous retrouvons avec des aliments qui viennent du bout du monde, au lieu de se fournir chez les petits agriculteurs à côté de chez nous qui produisent de la qualité. Je souhaite me battre contre tout cela.
 
- Il y a surtout un problème économique de rentabilité et de coût difficilement maîtrisable…
- C’est pour cela que je propose deux axes de travail. D’abord sur la PAC : il faut arrêter de donner des subventions par rapport à l’hectare ou à la bête. Plus on a des grosses fermes, plus on touche, ce n’est pas un système équitable. Les conditionnements des subventions devront être la qualité et l’actif. Ensuite, il faut régionaliser la PAC.  Elle devrait être gérée non pas par l’État, mais par les régions avec la mise en place de vrais projets de territoires. Cela permettrait de travailler sur les bâtiments, la formation, etc… Ensuite, j’aimerais travailler sur l’approvisionnement et les marchés publics. Aujourd’hui, on dit qu’on met tout le monde sur un pied d’égalité, mais c’est faux. Ce sont toujours les plus gros qui remportent la mise parce qu’ils ont de la logistique, de la trésorerie, des juristes. Les petits agriculteurs ne répondent même pas à ces marchés publics. L’alimentation c’est quelque chose d’essentiel, intimement lié à un territoire. Ce n’est pas un marché comme les autres, il doit être géré différemment.
 

- Vous avez visité une installation agricole près d’Ajaccio, vous avez rencontré des agriculteurs insulaires, quel regard avez-vous sur l’agriculture corse ?
- Pour avoir discuté avec pas mal de personnes sur le sujet, j’ai l’impression qu’en Corse, c’est une agriculture à taille humaine, surtout quand on voit ce qui se passe en Bretagne. Mais, visiblement il y a une problématique de structuration et de financements. Le fait d’avoir une régionalisation de la PAC permettrait de mettre en place des projets de territoires sur l’agriculture et d’organiser, structurer les productions pour arriver à ce que j’appellerais l’autonomie ou la souveraineté alimentaire.
 
- Vous militez également pour une autonomie de la Bretagne, les Bretons sont-ils vraiment disposés à passer ce cap ?

- Nous ne sommes pas aussi avancés qu’en Corse, ça c’est certain ! En Corse, vous avez la majorité électorale à la Collectivité et de très loin. Pas nous. Mais, vous savez il y a dix ans, quand on parlait d’autonomie en Bretagne, cela faisait presque peur aux gens. Aujourd’hui, en tant qu’autonomiste, je ne choque plus personne. Ils comprennent que l’on ne peut plus continuer dans ce système parce que nous n’avons aucune prise sur ce qu’il se passe sur notre territoire. Les politiques qu’on nous propose ne sont pas adaptées à ce que l’on vit. Il y a un changement de mentalité. Cette idée d’autonomie progresse et c’est une très bonne nouvelle.
 
- La Corse, c’est un exemple pour vous en matière institutionnelle ?
Nous suivons de très près ce qu’il se passe dans les négociations avec l’État. Les partis autonomistes corses, le PNC et Femu a Corsica, sont membres de « Régions et Peuples solidaires », nous sommes donc dans la même fédération au niveau européen avec également François Alfonsi. Nos députés sont également dans le même groupe parlementaire à l’Assemblée. Nous, ce qu’on dit aujourd’hui aux Bretons, c’est que quand il y a des autonomistes au pouvoir il y a forcément un rapport de force avec l’État, et que ce rapport de force, il paye ! Aujourd’hui, il est acquis que la Corse va accéder à une plus grande autonomie.
 
- Vous êtes également une militante de la langue bretonne, comment évitez la disparition de ces langues régionales ?

- La langue bretonne est en grand danger, elle ne se transmet plus. Le seul moyen d’en sortir, c’est l’école. Aujourd’hui, il y a une convention ambitieuse entre la Région et l’État, mais nous n’avons jamais eu aussi peu de professeurs de la langue bretonne. Un seul poste ouvert en CAPES alors que nous devions avoir 30 000 élèves en filière bilingue. Il faut que la Bretagne puisse bénéficier de la compétence en matière de langue pour résoudre ce problème. Au niveau de l’Europe, il y a tout ce qu’il faut pour faire vivre les langues. La France fait matière d’exception. Il faut que nous poussions la France à ratifier la charte des langues régionales et minoritaires. Aujourd’hui, la France, membre fondateur, ne pourrait pas intégrer l’Union européenne, car elle n’a pas ratifié cette charte ! C’est une situation assez incroyable.