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La Commission Violence a débattu avec les lycéens de Ghisonaccia


Nicole Mari le Mercredi 2 Janvier 2013 à 23:44

La Commission Violence de l’Assemblée de Corse (CTC) et son président et instigateur, Dominique Bucchini, ont commencé une tournée des lycées insulaires pour expliquer et débattre de la problématique de la violence avec les jeunes. Les membres de la Commission, à l’exception des élus de droite, se sont rendus, en décembre dernier, à l’initiative de Saveriu Luciani, élu territorial de Femu a Corsica, au lycée de la Plaine, dit du Fiumorbu, à Ghisonaccia où ce dernier est professeur de corse. L’élu nationaliste revient, pour Corse Net Infos, sur une journée de rencontres, non seulement avec les élèves, mais aussi avec le recteur et les inspecteurs d’académie, journée qu’il estime riche en enseignements.



La Commission Violence a débattu avec les lycéens de Ghisonaccia
- Quel était le programme de cette journée de rencontre ?
- Après une visite de l’établissement scolaire, les membres de la Commission Violence ont rencontré, pendant près de 2 heures, les élèves des classes de 1ère et Terminale qui avaient été, au préalable, préparés, briefés, par leurs professeurs de français et de philosophie. En tant que professeur de corse, j’avais aussi discuté avec mes élèves de la situation insulaire. Dix jours auparavant, le jour de la Festa di a Nazione, j’avais fait venir Maria Guidicelli, conseillère exécutive en charge du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) pour qu’elle explique les grandes lignes de ce plan à mes élèves.
 
- Comment s’est passé le débat ?
- Le président de la CTC a, d’abord, exposé les grandes pistes de travail de la Commission Violence. C’est un enseignant, il a été très pédagogue, il sait parler aux jeunes. Ensuite, les élèves, âgés de 17 et 18 ans, ont entamé le débat sur leur ressenti de la situation. Je m’attendais à un certain blocage de leur part. Mais nous avons parlé du Sporting, ce qui a libéré la parole. De nombreux élèves ont participé à la discussion. Ils ont dit ce qu’ils pensaient. En les écoutant, honnêtement, j’ai été surpris par la qualité de leur analyse.
 
- C’est-à-dire ?
- Les jeunes perçoivent parfaitement les mécanismes de pression qui régissent, aujourd’hui, la société corse. C’est assez impressionnant. Ils ont abordé tous les sujets. D’abord, ils ont expliqué que la violence était comme tabou au lycée, ils n’en parlaient jamais dans l’enceinte de l’établissement. Par contre, à l’extérieur, ils en parlaient beaucoup. Ils regrettent que leurs professeurs soient réticents à engager ce débat délicat, alors qu’ils sont à un âge où ils ont besoin de parler. « On a l’impression que le lycée est un monde préservé », notent-ils. Le lycée du Fiumorbu est situé en milieu rural et est relativement épargné et dans une situation saine dans une région qui a connu, en 18 mois, 7 assassinats. Il y a un décalage entre le monde de l’école et le monde extérieur. Finalement, la visite de la Commission et des élus a fait rentrer la discussion sur la violence de plein pied dans l’établissement.
 
- Quels sont les propos des élèves qui vous ont le plus surpris ?
- La plupart des propos tenus par les élèves ont été intéressants et instructifs. Un jeune a dit : « Moi, j’ai compris que, dans la vie, il faut rester dans son coin ! ». Beaucoup ont interpellé les élus : « Nous sommes conscients de la gravité de la situation avec tous ces assassinats, mais, nous, à 18 ans, que pouvons-nous faire ? C’est vous, les politiques, qui devez nous sortir de là ! ». D’autres ont ajouté : « Nous voulons vivre ici. Même, si nous envisageons de partir faire certaines études à l’extérieur, notre rêve est de rentrer en Corse ».
 
- Vos élèves, sont-ils conscients des problèmes d’alcool et de drogue qui touchent leurs générations ?
- Oui. Ils sont très lucides. Ils ont abordé le problème du culte de l’argent, de « ceux qui ont besoin de mettre des bouteilles au comptoir ! ». Ils ont témoigné. En même temps, ils ont, tous, fustigé cette image de la Corse que renvoient les médias parisiens. Tous ont évoqué comment était traité médiatiquement le Sporting, comment ce qui se passait en Corse était démesurément grossi sur le continent, comment était ternie l’image de la Corse et des Corses… Ils ont, à ce sujet, les mêmes réactions que les adultes face au racisme anti-corse.
 
- Ont-ils apprécié la visite des élus ?
- Oui. Un élève a dit combien il était important, pour eux, de rencontrer, en chair et en os, les élus qu’ils voyaient à la télévision ou en photo dans le journal. C’est la première fois qu’ils rencontraient et qu’ils parlaient avec des élus. Je leur ai fait remarquer qu’un élu était un homme comme un autre, que j’étais, à la fois, leur professeur et un élu et que les gens m’abordaient très souvent en tant qu’élu. Un autre élève m’a dit, à l’issue du débat : « Nous manquons d’éléments dans la discussion. Mais, c’est un bon début ! ». Une façon de dire que, maintenant, la discussion ne devait pas s’arrêter à cette visite, mais devait continuer.
 
- Justement, ce débat avec les élus aura-t-il un prolongement dans le cadre scolaire ?
- Le lycée du Fiumorbu avait entamé, parallèlement au débat, une action avec l’association Umani de Jean François Bernardini, que l’on avait auditionné à la Commission Violence. Nous avions, donc, une exposition, au CDI, sur la problématique de la violence. Un travail est effectué par les professeurs des classes de 1ère en direction des élèves qui vont passer le BAC Français. Des professeurs ont suivi des formations et il va y avoir, pour les élèves, différents séminaires sur ce thème de la violence. Ce débat n’est pas un fait ponctuel, mais s’inscrit dans la stratégie de l’établissement.

- Cette rencontre est-elle, pour vous, au final, une réussite ?
- Oui. A la fin de la réunion, j’ai fait remarquer quelque chose de très significatif à Dominique Bucchini. Nous avions demandé, au préalable, aux parents de signer une autorisation de présence au débat pour tous les élèves qui étaient susceptibles d’y participer. Parmi les élèves présents, il y avait la fille d’un homme qui a été assassiné l’an dernier, sa mère a signé l’autorisation parentale. D’autres élèves, qui ne faisaient pas partie des classes choisies, voulaient, aussi, à tous prix participer au débat et m’ont fait part de leur frustration de n’avoir pu le faire. La jeunesse a besoin de parler.

- La Commission Violence parlait beaucoup d’une action sur la jeunesse sans, néanmoins, agir. Est ce un premier pas ?
- Oui. L’action sur la jeunesse est un des trois piliers centraux de notre démarche et de nos propositions. La Commission en a parlé pendant des mois, mais n’avait jamais discuté avec les jeunes. Je suis content que ma proposition d’aller rencontrer des lycéens ait été retenue. C’est la 1ère fois, que les élus vont, grâce à cette Commission Violence, sur un terrain, celui de la jeunesse et que l’on met, enfin, la jeunesse au centre du débat sur la violence et au cœur de nos préoccupations d’élus.
 
- Qu’est-ce que les élus ont, pour leur part, retenu de cette rencontre et qu’en attendent-ils ?
- Cette rencontre a permis, d’une part, de voir comment les jeunes percevaient la violence, la situation de la Corse, leur avenir et comment ils nous percevaient nous, élus. Cette journée a également permis de rencontrer le recteur et les inspecteurs d’académie pour parler de la violence scolaire, quand elle existe, et des perspectives au niveau, notamment de la formation des personnels de l’enseignement, l’échec scolaire, tous les processus de remédiation, la ruralité, l’apprentissage du corse à l’école… tous les problèmes éducatifs qui se posent, aujourd’hui, dans notre île.
 
- Quels furent les résultats de cet entretien ?
- Cet entretien a permis de regarder comment on pouvait coordonner l’action entre la CTC, qui est le principal bailleur de fonds en termes de travaux dans les lycées et collèges, et le rectorat qui est le grand détenteur du pouvoir éducatif en Corse, qui décide et programme les moyens humains et la carte de la formation.
 
- Peut-on parler de violence scolaire en Corse ?
- Non. Comme l’a dit, le recteur, il n’y a pas objectivement, en Corse, de cas lourds de violence scolaire. Il y a, par contre, de plus en plus d’agressions verbales ou autres vis-à-vis des enseignants de la part des parents d’élèves.
 
- Des visites dans d’autres lycées sont-elles prévues ?
- Nous irons au lycée de Sartène en février ou mars pour rencontrer, de nouveau, des élèves. Mais, il faut poursuivre l’action au-delà de l’aspect spectaculaire de la visite d’élus dans un établissement scolaire. Ne serait-ce que parce que les jeunes ont, par presse interposée, une perception inquiétante du règlement d’un conflit. Un conflit ne peut, pour eux, que se régler de manière violente. Du style : « Tu me gênes, je te tue ! ». Il faut faire acte de pédagogie.
 
Propos recueillis par Nicole MARI