Pendant des siècles, la châtaigneraie a été une ressource essentielle du peuple corse, limitant famines et disettes. La filière castanéicole corse, bien plus récente, n’en a pas moins déjà une longue histoire. Elle est née en 1991, au moment où se crée le Groupement Professionnel des Producteurs et Transformateurs de Châtaignes et de Marrons de Corse…« L’INRAE a participé à ce grand moment initié par les professionnels du secteur, se souvient Marie-Noëlle Ottavi, docteur en anthropologie et ingénieur de recherche à l’INRAE de Corti. Nous leur avons alors apporté un petit appui sociotechnique. » Le processus est lancé : « Le groupement avait été créé à Corti, dans les locaux de l’INRA, sous la dynamique du sociologue François de Casabianca, complèteCarine Franchi. En 2006, nous obtenons l’AOC [NdlR : Appellation d’Origine Contrôlée] qui est transformée en AOP en 2010 [NdlR : Appellation d’Origine Protégée] »
Quand le cynips vient casser la dynamique…
Aujourd’hui animatrice à la fois du groupement et du Syndicat AOP Farine de Châtaigne Corse, Carine Franchi a encore en mémoire ces premières années intenses : « C’était une période très joyeuse, très concrète. La production explosait : 110 tonnes de farine de châtaigne sous AOP ! On était en train de récolter les fruits de tout notre travail : qualité, innovation, transfert de savoir-faire... » Les professionnels viennent alors de créer le premier marron glacé corse sous l’appellation dolci corsi pour mieux valoriser les gros calibres de châtaigne. C’est aussi l’époque où, locataires du Centre Régional d’Innovation et de Transfert de Technologie à l’Università di Corsica, ils rencontrent Monsieur et Madame Sialelli qui vont créer la Pietra, et travaillent avec eux sur un granulat de châtaigne, parce que la farine colmate les filtres. « On était en pleine période de modernisation, avec l’acquisition de nouveaux équipements… Au summum de tout ce qu’on avait pu générer par le travail, la recherche. Et puis, on apprend qu’en Italie, un parasite s’attaque aux châtaigneraies. » L’Italie, c’est tout près. Mais c’est aussi très loin. Que la Corse soit touchée ? Personne n’y croit. « On est allé voir sur place. Et là, on a compris qu’on allait vivre un drame ! »
La production de farine s’effondre, passant à seulement seize tonnes en 2018. Les chercheurs s’attellent au problème : « L’INRAE de Sophia-Antipolis a travaillé dessus. D’autres organismes de recherche également », précise Marie-Noëlle Ottavi. Un comité de pilotage est constitué très rapidement, autour notamment de l’INRAE, du réseau FREDON, des Chambres d’agriculture de toutes les régions castanéicoles de France. Et de 2010 à 2020, la profession « essaie de se sauver en organisant des lâchers de torymus, avec l’ensemble des partenaires scientifiques et techniques, à la fois au niveau régional et au niveau national », rapporte Carine.
Une reprise timide…
L’utilisation du torymus de Chine, une micro-guêpe prédatrice naturelle du cynips, se révèle un succès. En 2020, la production reprend quelque peu. Pour autant, la filière a fortement pâti au cours des dix années qui se sont écoulées et les producteurs sont éprouvés. « C’est à cette date que l’INRAE est revenu auprès des castanéiculteurs, grâce à un projet européen baptisé MOVING et qui s’intéresse aux “filières chaînes de valeurs de montagne”. » Il regroupe, en fait, 23 projets conduits dans toute l’Europe. « En Corse, nous avons choisi la filière AOP Farine de Châtaigne, explique Marie-Noëlle. C’était un programme de recherche de quatre ans. Il se termine en août, cette année. »
Le travail a débuté par un état des lieux, pour apprécier la vulnérabilité et la résilience de la filière. « On a repris ces trente années de travail, avec le passage du cynips, qui sont très révélateurs des forces de cette filière mais aussi de ses vulnérabilités, rapporte Marie-Noëlle. Les châtaigneraies sont âgées, parfois dépérissantes ». Maladies, ravageurs, changement climatique, développement des voyages internationaux – le cynips vient de Chine : « Ce sont les conséquences de la modernité qui s’entrechoquent sur notre territoire corse et sur la châtaigneraie. »
A l’occasion de ce travail, les chercheurs constatent les limites de la concurrence avec les pratiques d’élevage. Le système agropastoral qui pendant des siècles a été bien régulé, avec des pratiques codées, des rituels pastoraux villageois n’autorisant, par exemple, le lâcher des cochons qu’une fois la récolte de châtaignes effectuée, a volé en éclat après les deux guerres mondiales et l’exode rural qui a suivi. Un constat qui oblige à « repenser l’agropastoralisme et les modèles de coopération/compétitions de plusieurs filières sur une même ressource. Dans les années quatre-vingt, on comptait 35000 hectares de châtaigneraie. Mais la châtaigneraie, c’est un verger ! Elle a besoin d’être entretenue par la main de l’homme pour continuer à produire. Or tout décline, parce que la main de l’homme n’est plus là ! » Ces difficultés se conjuguent avec les contraintes qu’imposent les zones de montagne : manque de personnel, difficultés d’accès aux commodités industrielles… « Le territoire de montagne exprime les mêmes difficultés partout en Europe, comme l’étude l’a montré, complète Carine. Produire en montagne, ce n’est pas comme produire en plaine. Tout prend plus de temps. Il faudrait des programmes de politique de montagne pour soutenir ces activités… »
Imaginer le futur…
En 2022, les chercheurs attaquent la seconde phase du travail : la prospective. L’objectif est d’établir des scenarios d’évolution de la filière à 2030, 2050 et même 2080, en tenant compte des réalités de l’expérience et des conséquences du changement climatique. « Pour que cette prospective ait du sens, précise Marie-Noëlle, il fallait bien sûr la centrer sur les acteurs de la filière, mais aussi sur les autres... » Autrement dit, sur tous ceux qui, de près ou de loin, interfèrent avec la châtaigneraie : les forestiers, les propriétaires de châtaigneraies non exploitées, qu’elles relèvent de propriétés privées ou du domaine public… « C’est un écosystème et un socio système ! »
Résoudre les problèmes actuels faute de quoi les producteurs disparaîtront
Sur les 20000 hectares de châtaigneraie actuels, seuls 1500 sont en production, dont 800 en AOP, pour de l’ordre de 55 tonnes annuelles de farine. Un résultat qui traduit bien les difficultés de la filière à s’adapter aux enjeux. « Il faut retrouver nos capacités de production, d’innovation, de développement ! Adresser les problèmes actuels… sinon on ne sera plus là demain ! », analyse Carine. C’est pourquoi, dès 2023, les acteurs ont réfléchi parallèlement à un projet d’accompagnement à l’innovation. Concernant le sud de la France, la Corse et l’Italie, il s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets européen : INTERREG Maritime. Y collabore également une équipe de Toscane, avec l’université de Pise,qui travaillait déjà sur la châtaigne dans le cadre du projet MOVING. Côté Corse, y contribuent l’AOP, l’INRAE, le groupement et l’ODARC. Les Chambres d’agriculture y sont également associées par l’intermédiaire de Patricia Soulard. Et les exploitants donnent beaucoup de leur temps. La dimension collective est en effet essentielle.
Ce projet d’innovation s’articule en quatre volets : le niveau du produit ; celui du procédé de transformation et de la production pour une recherche d’efficacité à moindre coût ; le niveau de l’organisation avec l’objectif d’impulser des démarches collectives, voire coopératives ; enfin la création d’un centre de transfert de l’innovation. Car les défis à relever aujourd’hui sont devenus énormes : un tel organisme pourrait ainsi appuyer la filière, et dans le cadre d’une structuration plus élaborée, lui permettre de renforcer sa compétitivité pour la rendre économiquement viable. L’INRAE y voit également la possibilité de transposer les innovations à d’autres domaines agricoles.
Présenté en 2023, ce projet n’a pas été retenu : « à presque rien ! ». Les partenaires ont donc remis leur proposition sur le métier pour l’améliorer encore : le dossier a été déposé le 30 mai pour une décision en octobre. « On a beaucoup travaillé et on tient à remercier tous ceux qui ont participé. »
Un enjeu essentiel pour la Corse
L’enjeu est important : la filière contribue en effet à maintenir une économie de montagne, sans compter le fait que la châtaigne est la base de l’alimentation des élevages et contribue pour un tiers à la filière apicole. « Le châtaignier, c’est la clé de voute ! S’il s’effondre, c’est tout un éco et socio système qui s’effondre. Et puis, c’est notre histoire... C’est la châtaigne qui nous a permis, vers la fin du XIXe siècle, d’avoir en Castagniccia l’une des densités de population les plus fortes d’Europe ! »
Les conditions sont favorables : déjà parce que la castanéiculture française qui rencontre des problématiques similaires a lancé une démarche, et que le ministère de l’Agriculture, qui semble avoir pris conscience du problème, a débloqué une enveloppe d’urgence. Ensuite parce que la châtaigne est en plein boom, au niveau mondial, dans le cadre d’une géographie de la production totalement redessinée, où l’Asie, grosse consommatrice, devient prépondérante. « On peut en tirer parti assez rapidement, d’autant que nous disposons de signes de qualité qui mériteraient d’être plus reconnu au niveau mondial. »
« On arrive à une période où il va falloir rebondir à différents niveaux, conclut Carine. Repenser notre façon de communiquer, de promouvoir la farine de châtaigne », pour l’adapter aux nouveaux modes de consommation, avec des produits déjà transformés, faciles à utiliser. La farine de châtaigne répond déjà à une attente actuelle, puisqu’elle est… sans gluten ! « Nous mettons beaucoup d’espoir dans ce partenariat avec l’INRAE et nos autres partenaires. L’objectif est de permettre aux exploitants de la châtaigneraie de continuer à en vivre... »
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