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Dérives mafieuses : quel bilan pour les collectifs et la LDH après la session de l'Assemblée de Corse ?


Naël Makhzoum le Vendredi 18 Novembre 2022 à 17:27

Les collectifs anti-mafia, qui avaient réclamé cette session extraordinaire de l'Assemblée de Corse consacrée aux dérives mafieuses, ont pu assister au débat matinal et participer à un temps d'échange et de travail avec les élus et invités. La Ligue des Droits de l'Homme aussi, et les ressentis sont partagés au sortir de cette journée charnière.



Les associations ont assisté aux débats
Les associations ont assisté aux débats
"Le sentiment est contrasté". Après des heures d'échange et d'écoute, Léo Battesti, cofondateur du collectif "Maffia No', A Vita iè" résume ainsi une journée marquée par deux gros temps forts. "Autant ce matin, on était un peu frustrés car on ne pouvait pas intervenir et clarifier certaines prises de position, mais c'étaient les règles du jeu, rappelle-t-il à propos du "débat" général de la matinée - qui s'est plutôt traduit par des prises de paroles successives des différents groupe. Autant ce soir, on a eu la possibilité de longuement nous expliquer, d'aller au fond des choses. On a la satisfaction de voir une forme d'intelligence collective qui a fonctionné et qui va produire. Je crois qu'il y a un large consensus sur le fait qu'il y a une dérive mafieuse dans l'île - ce qui n'était pas gagné - et surtout, qu'il faut organiser des moyens pour la contrer."

De ces trois heures de discussion de ce vendredi après-midi, Léo Battesti est certain d'avoir avancé, au moins dans les têtes de chacun. "Nous pensons avoir progressé sur le fait d'aller vers des modifications de lois pénales, même s'il y a des réticences, assure-t-il. En expliquant mieux les choses, on se retrouve de plus en plus avec des gens qui disent être prêts à évoluer."

Mais toujours aussi contrasté dans son bilan, le membre du collectif "Maffia No', A Vita iè" ne déroge pas à ses principes, notamment concernant les propositions de son association. "Si l'arsenal législatif actuel avait fonctionné, ça se saurait, clame-t-il. Il est inadapté à ce type de criminalité très sophistiqué. On est dans un domaine où il y a vraiment une grande expertise juridique, avec une grande information, donc il faut se hisser à leur niveau."

"Une faille dans la muraille du déni"

Frustré aussi de sa matinée cours Grandval, Jean-Toussaint Plasenzotti, qui l'a trouvé "tronquée car les élus ont fait des discours parallèles, sans contradictions entre eux et ont rejeté la faute sur l'Etat, sans donner d'analyse du phénomène mafieux." L'oncle de Massimu Susini, qui fait partie du collectif portant son nom, trouve lui aussi de légers motifs de satisfaction dans les échanges qui ont suivi. "On a ensuite pu se confronter aux élus avec un vrai débat dans lequel on a pu s'exprimer, déclare-il. Nous avons donné un document pour marquer cette journée, avec l'analyse et la demande forte que nous faisons aux élus : une proposition de résolution que nous aurions aimé voir votée, à savoir la reconnaissance par l'Assemblée de la présence d'une mafia en Corse, sa définition et la volonté de lutter contre ce phénomène. Le président de l'exécutif nous a dit "qu'on en tiendrait compte" pour bâtir la résolution et le terme de "dérives mafieuses" nous convient tout à fait, car les gens ne font pas de différence." 

Il faut dire qu'il en fallait peu pour satisfaire ces deux collectifs insulaires ignorés depuis des mois. "Le fait même que cette session ait eu lieu est déjà un point car maintenant, le déni est émoussé. Il y a une faille dans la muraille du déni et c'est une bonne chose, caricature Jean-Toussaint Plasenzotti. Nous sommes patients mais on va être vigilants et déterminés, en conservant notre liberté de parole."

Cinq groupes de travail créés

Désormais, cinq groupes de travail vont se pencher sur des thématiques spécifiques qui avaient été définies par la conférence des Présidents : éthique et politiques publiques, secteurs économiques particulièrement exposés, drogues, outils et procédures spécifiques, enjeux culturels et sociétaux.

Ce qui, contrairement aux collectifs insulaires, convient parfaitement à la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), qui trouve davantage de points de satisfaction à cette session. "Le débat qui a eu lieu ce matin était riche et l'intérêt est qu'il va se prolonger et qu'il y a une volonté partagée de trouver des consensus", se réjouit André Paccou, président de la LDH en Corse.

Lui aussi a apprécié l'après-midi de discussions : "Je suis intervenu pour dire que la terminologie de "dérives mafieuses" ne nous effrayait pas, contrairement à ce qu'on peut croire, mais avec cette exigence que celle-ci soit définie. On ne peut pas se contenter de parler d'expériences, de témoignages pour formuler une partie de notre projet de société. C'est important d'avoir ce temps d'analyse car s'il signifie une justice d'exception, la LDH ne s'y retrouvera pas, et parce que ça nous amène à réfléchir sur notre modèle de développement et ce qui laisse des espaces criminogènes."

Reste à voir quelle forme prendra la suite de ce travail.