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Comment baisser le prix du carburant en Corse ?


Nicole Mari le Lundi 31 Décembre 2012 à 00:32

Malgré la réfaction de TVA, le prix des carburants à la pompe reste plus élevé en Corse que sur le continent. Ce surcoût pose un tel problème économique qu’il revient, de façon récurrente, sous une forme ou sous une autre, aux sessions de l’Assemblée de Corse (CTC). Lors de la dernière session, deux motions, finalement fondues en une seule, ont été déposées, l’une au nom de la Commission des finances par son président et élu du groupe « Corse Social Démocrate », Antoine Orsini, et l’autre par le groupe Femu a Corsica. Le but était d’interpeller l’Etat sur la situation insulaire et de trouver les voies et moyens pour réduire cet écart de prix. Ceux-ci sont divers, mais surtout politiques. Explications, pour Corse Net Infos, d’Antoine Orsini.



Comment baisser le prix du carburant en Corse ?
- Quel est l'objet de cette motion ?
- Elle demande le lancement d'études et de concertations nécessaires à la mise en œuvre de mesures destinées à réduire l'écart de prix des carburants entre la Corse et le continent. Elle fait suite à la présentation, par l'ADEC (Association de développement économique de la Corse), des résultats d'une étude qui effectue, non seulement une comparaison spatiale des prix des carburants, mais surtout retrace toute la chaîne de formation des prix insulaires, du transport depuis le site de Fos-sur-Mer jusqu'à la livraison dans les dépôts pétroliers, les stations services et aux consommateurs. L'étude décortique la formation des prix, l'analyse et dégage un certain nombre de pistes de solution qui peuvent déboucher sur des actions et des décisions de nature à réduire, voire à supprimer, l'écart de prix entre la Corse et le continent.
 
- Quelle est la spécificité de la situation corse ?
- La Corse est dans une situation paradoxale puisqu'elle bénéficie d'une réfaction de TVA. Ce qui pourrait conduire à penser qu'avec une TVA plus basse, le prix de l'essence serait plus bas ou, en tous cas, équivalent à celui du continent. Or, au final, le prix des carburants à la pompe est plus élevé en Corse. D'où cette investigation, dont nous souhaitons tirer les enseignements en termes d'actions à mener.
 
- Cet écart de prix est-il important ?
- Il est relativement important. Il varie, selon les microrégions corses, de 5 à 7 centimes par litre de diesel ou de sans plomb. Ce qui est loin d'être négligeable ! Il varie aussi selon qu’on le compare au prix pratiqué par les grandes surfaces, qui effectuent la distribution sur le continent, mais pas en Corse, ou au prix affiché par les stations services.
 
- Qu'est-ce qui explique cet écart de prix ?
- Il y a plusieurs raisons économiques et techniques, c'est pour cela qu'il y a plusieurs pistes d'actions possibles. La 1ère est le coût du déchargement du carburant des tankers, qui font le transport de Fos-sur-Mer jusque dans les dépôts pétroliers de Lucciana et d'Ajaccio. Il faut travailler à optimiser les conditions de déchargement qui, à Ajaccio, s'effectue directement sur un port pétrolier à terre. A Lucciana, c’est plus compliqué puisque le déchargement se fait par une sealine, une canalisation en mer. Lorsqu'il y a des tempêtes, les tankers ne peuvent pas décharger et doivent attendre des heures, voire des jours et des nuits. Les groupes pétroliers répercutent, le surcoût engendré, à la pompe.
 
- Quel est le problème sur Ajaccio ?
- Il semblerait, et c'est pour cela que l'Etat doit être mis autour de la table de négociations, que le système de déchargement du port pétrolier, près d'Aspretto, pourrait à terme être remis en cause. Ce qui serait encore de nature à accroître les coûts.
 
- Quelles sont les autres raisons ?
- La 2ème raison est la réduction du coût d'exploitation des dépôts de carburant par le traitement de problèmes liés à leur vétusté qui engendre plus de maintenance, donc un surcoût d'exploitation. Le dépôt de Lucciana, le plus important des deux, souffre d'une inadéquation entre sa capacité de stockage et la demande. Le stockage, tel qu'il est calibré aujourd'hui, est de trop faible ampleur pour répondre à la demande, ce qui fait travailler à flux tendus et crée des surcouts d'exploitation. Le projet d'agrandir cette capacité nécessite des investissements.
 
- N’y-a-t-il pas également des raisons fiscales ?
- Oui. La 3ème piste est fiscale. La TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) est une des raisons majeures du différentiel de prix. Une loi récente stipule que les groupes pétroliers incorporent dans leurs carburants, distribués par les stations services, 7% de biocarburant. S'ils ne le font pas, ils sont taxés par cette fameuse TGAP. En Corse, du fait de l'insularité, les groupes pétroliers ne peuvent techniquement pas incorporer ces biocarburants.
 
- Pourquoi ? Où faut-il incorporer ces biocarburants ?
-  Au niveau des dépôts pétroliers. A Lucciana, comme à Ajaccio, un seul tuyau alimente les dépôts pétroliers et les relie aux tankers. Par ce tuyau, passe aussi le kérosène. Or, il n'est pas possible, pour des raisons de sécurité, de faire passer dans un même tuyau, du kérosène et du biocarburant. La réglementation ne le permet pas.  Comme les biocarburants ne peuvent pas être incorporés en Corse, les groupes pétroliers doivent payer la TGAP. Leur prix de revient se trouve, donc, surtaxé et est répercuté sur le prix à la pompe. La TGAP annule, ainsi, la baisse due à la réfaction de TVA.
 
- Comment réduire ou annuler l'impact de cette fameuse TGAP ?
- Il y a plusieurs pistes. La 1ère est de rendre possible l'incorporation de biocarburants au sein des dépôts corses, sous réserve de sa faisabilité technique et surtout économique, mais supposerait des investissements très importants. La 2ème est de demander aux groupes pétroliers, qui payent la TGAP au plan national, de mutualiser leurs volumes de carburants afin de compenser les déficits d'obligation en Corse par d'éventuels excédents sur le continent. La 3ème piste est de demander à l'Etat d'abaisser les pénalités du montant de la différence constatée au nom du principe de continuité territoriale. La 4ème est, comme le proposait la motion de Femu a Corsica, de demander à l'Etat l'exonération de la TGAP en raison des difficultés socioéconomiques à recevoir des biocarburants dans l'île.
 
- Votre motion ne propose-t-elle pas une autre idée plus politique, qui a déjà fait ses preuves ailleurs ?
- Oui. Cette idée s'inspire de ce qui est pratiqué sur l'île de la Réunion où les prix des carburants sont encadrés par l'Etat. Au terme de consultations régulières faites entre les acteurs publics et privés de l'île, le Préfet détermine un prix maximum à la pompe pour une période donnée. Pourquoi ne pas demander à l'Etat, du fait de l'insularité, un plafonnement et un encadrement des prix des carburants en Corse ? Ce serait une façon plus politique de dire aux groupes pétroliers qu'il faut maîtriser les coûts, mais qu'il y a un maximum à ne pas dépasser. Ce maximum doit être concerté de manière régulière. Cette idée est, à mon avis, une façon plus efficace d'aborder la maîtrise du prix des carburants en Corse.
 
- Pensez-vous que le gouvernement puisse accéder à une telle demande ?
- Le carburant est une énergie parmi d’autres. Les tarifs du gaz et de l’électricité sont bien fixés par l’Etat. Le prix des carburants peut très bien bénéficier d’un traitement similaire. De plus, l'Etat a baissé, de manière autoritaire, de 6 centimes le prix à la pompe, suite à une négociation avec les groupes pétroliers. Dès lors qu'existe une volonté politique et qu'elle s'appuie sur une situation particulière qui, pour nous, tient aux contraintes de l'insularité dans le transport, le déchargement et le stockage de carburants, ce type de mesures peut s'appliquer indistinctement en Corse comme sur le continent. Le problème du prix des carburants est très ancien et très lié à l'insularité, il n'y a donc aucune raison que le gouvernement ne puisse accéder à cette demande.
 
- Pensez-vous que ces actions seront suffisantes pour supprimer l’écart de prix ?
- Peut-être toutes ces pistes ne déboucheront-elles pas, mais plus on étudie de pistes, plus on a des chances que certaines permettent de diminuer de quelques centimes le prix du carburant à la pompe. Nous souhaitons, par cette motion, que la CTC les fasse siennes et demande au Conseil Exécutif et à l'ADEC d'engager des négociations avec l'ensemble des acteurs concernés, c'est-à-dire les groupes pétroliers, l'Etat qui a une responsabilité importante en la matière et les chambres consulaires qui interviennent dans la gestion du stockage du carburant.
 
Propos recueillis par Nicole MARI