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Chambres consulaires : Le délicat et long chemin du rattachement à la Collectivité de Corse.


Nicole Mari le Vendredi 27 Septembre 2024 à 19:30

L’assemblée de Corse a pris acte du rapport d’étape concernant le rattachement des chambres consulaires à la Collectivité de Corse à travers la création de Syndicats mixtes ouverts (SMO) aéroportuaire et portuaire. L’Exécutif a décliné les principes et les raisons qui ont guidé le choix stratégique des SMO. L’opposition fustige les retards et les incertitudes, la droite et Avanzemu s’inquiètent de l’omnipotence de la Collectivité territoriale. Le projet finalisé sera examiné à la session d’octobre pour une mise en œuvre au 1er janvier 2025.



La Chambre de commerce et d'in dustrie de Corse.
La Chambre de commerce et d'in dustrie de Corse.
C’est un dossier difficile, complexe et épineux, que celui du rattachement des chambres consulaires – Chambres de commerce et d’industrie (CCI) et Chambres des métiers et de l’artisanat - à la Collectivité de Corse (CDC), prévu par l’article 46 de la loi Pacte, qui a été examiné en session, vendredi matin, à l’Assemblée de Corse. « Un dossier important, attendu, extrêmement lourd », souligne d’emblée le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, et qui ressemble à un parcours du combattant. « Un long chemin qui a commencé en 2019 et qui n’est pas terminé et où nous avons eu le souci de comprendre les attentes de chacune des institutions. Un travail de fond considérable avec des enjeux politiques, stratégiques, économiques et sociaux déterminants ». Le président Simeoni pose l’enjeu de ce transfert en quelques chiffres : plus de 6 millions de passagers transitent par les ports et aéroports de Corse, 1123 salariés pour la CCI et 960 dans les concessions, sans oublier les milliers d’emplois directs et indirects générés dans tous les domaines par les activités portuaires et aéroportuaires de l’île. « Pour un territoire insulaire comme le nôtre, notamment, à travers la dimension touristique de notre économie, mais également à travers les fortes dépendances qui nous conduisent à importer principalement près de 95 % de ce que nous consommons, la maîtrise stratégique des ports et des aéroports est un enjeu de premier rang ». La CDC, qui est propriétaire des infrastructures, entend bien le rester, tout comme elle entend conserver la maîtrise publique de leur gestion.
 
Un risque mortel
Le rattachement a été rendu nécessaire par la réforme du modèle juridique et économique des chambres consulaires, imposée par l’Etat et qui, par des lois successives, réduisait drastiquement leurs prérogatives et leurs ressources financières. « Le choix de l’Etat de prélever la quasi-totalité des fonds de roulement des CCI les conduisait à leur disparition en Corse avec les conséquences économiques et sociales qui en résulteraient. Nous avons considéré que la Corse n’avait pas intérêt à cette disparition », justifie Gilles Simeoni. D’autant qu’en découlait un problème sur les concessions. « Nous nous sommes rendus compte que partout où il y avait des appels d’offres, c’étaient des grands groupes capitalistes, qui ont une stratégie offensive d’acquisition des infrastructures portuaires et aéroportuaires, qui les remportaient. Le risque était sérieux ». L’Exécutif corse ne voulait surtout pas se retrouver dans le scénario qui a prévalu à Beauvais, Lille, dans le Var ou même en Polynésie où les CCI ont été écartées de la gestion des aéroports au profit de grands groupes privés. « Il est inenvisageable pour la Corse de ne pas maîtriser ses points d’accès que constituent les infrastructures aéroportuaires, dans une perspective de maîtrise de son développement économique et social. Il fallait imaginer une construction juridique, économique et financière différente qui nous permettrait de respecter notre vision fondamentale, à la fois de maîtrise publique des infrastructures et de sauvegarde des emplois ». L’Exécutif a donc arraché une dérogation du droit commun, actée par la loi - « c’est une première victoire » - qui permet le transfert de la tutelle de l’Etat vers la CDC avec un calendrier fixé au 31 décembre 2024, date d’expiration des concessions des quatre aéroports de Corse et du port de commerce de Bastia.

Gilles Simeoni. Photo Paule Santoni.
Gilles Simeoni. Photo Paule Santoni.
Une solution transitoire
Mais ce transfert de tutelle se heurte à des difficultés, des contraintes juridiques et de calendrier, au silence et aux atermoiements de l’Etat qui est censé proposer une loi pour faire évoluer le statut de la CCI. L’Etat trainant les pieds, l’Exécutif a, donc, envisagé plusieurs scénarii dits de jonction « afin de disposer d’une solution juridique permettant d’assurer la continuité de gestion et la permanence du service public entre la fin des concessions au 31 décembre 2024 et l’entrée en vigueur de la nouvelle institution consulaire ». A été retenue la proposition de création à titre transitoire d’un SMO (Syndicat mixte ouvert) entre la CDC et les chambres consulaires, en deux temps, d’abord un SMO aéroportuaire, puis un SMO portuaire. Un modèle en vigueur dans une quarantaine d’aéroports français. « L’idée était d’aller vers une quasi-régie qui permet de passer des contrats de concession sans passer par des appels d’offres. La régie étant inenvisageable dans les délais du fait de sa complexité, il ne restait que l’option du syndicat mixte. Cette solution nous semble respecter l’ensemble des prérequis ». Quatre prérequis sont identifiés : « La maîtrise par la Collectivité de Corse des choix stratégiques en matière d’infrastructures de transport. L’efficience accrue en matière de gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires. Des enjeux sociaux attachés au maintien de l’emploi. La soutenabilité de la mise en œuvre du modèle choisi en l’état de l’ensemble des contraintes, y compris juridiques, opérationnelles et calendaires ». Autre critère : l’évolution des modes de gestion des infrastructures aéroportuaires doit intégrer les spécificités consacrées par le statut de la Corse.
 
Un choix stratégique
Le SMO aura pour objet d’aménager, d’entretenir et de gérer les aéroports d’Aiacciu, de Bastia-Poretta, de Calvi et de Figari. La CDC conservera sa compétence stratégique en matière d’organisation globale des transports et la CCI de Corse opèrera pour le compte du SMO l’exploitation des quatre aéroports. « Il n’y a pas à ce stade de transfert des personnels, on reste dans un schéma de concession, sauf que l’autorité concédante n’est plus la CDC, mais le SMO », précise le président Simeoni. La création d’un SMO impose des délibérations concordantes de chacun des membres. « Il y a eu une unanimité forte et enthousiaste des organisations syndicales consulaires sur l’évolution statutaire », affirme-t-il. Ce SMO est un système transitoire dans l’attente de la création par la loi d’un établissement public. « Nous n’avons pas la main. Vue la situation actuelle en France, je préfère rester prudent, c’est pourquoi nous nous sommes calés sur une durée de 7 ans qui nous semble raisonnable pour la programmation des investissements ». Gilles Simeoni explique que ce transfert s’inscrit dans une stratégie globale : « Nous nous sommes battus pour sauver le service public dans le domaine maritime, s’il est sanctuarisé comme on peut l’espérer à travers les décisions de la Commission européenne en novembre, nous continuerons à nous battre pour une compagnie régionale. Nous avons sécurisé le service public dans le domaine aérien avec la délégation de service public pour 4 ans. Nous avons cherché à renforcer l’attractivité avec une politique d’achat des flux, toujours dans la vision de protection des services publics. Cette vision se prolonge dans la gestion des ports et aéroports. Il ne s’agit pas seulement de gérer Bastia, Ajaccio, Calvi, Figari, mais de les gérer ensemble au service d’une vision globale de la Corse et de ses territoires. C’est un choix stratégique ».

Christelle Combette. Photo Paule Santoni.
Christelle Combette. Photo Paule Santoni.
La concentration des pouvoirs
Si l’opposition ne remet pas en cause le scénario choisi, le groupe U Soffiu Novu, par la voix de Christelle Combette, estime que « cette nouvelle absorption pose clairement un problème de concentration des pouvoirs ». Elle lance sur le ton de la boutade : « Il ne vous manque plus que les Chambres d’agriculture et l’évêché de Corse ! Les départements, la Chambre des territoires pour encadrer les intercos, maintenant le monde économique en privilégiant un scénario avec une représentation consulaire dépourvue de pouvoir, mais vous permettant de disposer d’un organe courroie ». L’élue de droite pointe aussi les retards, générateurs d’incertitudes : « La tutelle est censée changer de mains au 1er janvier prochain et on ne sait toujours pas ce qu’il va advenir. Il y a des enjeux économiques et sociaux colossaux. A 84 jours de la deadline, rien n’est acté ! ». Si elle adoube l’option du SMO « qui parait être la seule viable », elle juge la représentativité au sein du Conseil d’administration trop déséquilibrée. « Dans le rapport de forces actuel, la majorité aurait six sièges sur 11 (de la CDC), ce qui vous fait neuf sièges sur 17. Cela vous donne un pouvoir important sur des prérogatives qu’a toujours géré la CCI. Il semblerait, là aussi, que l’on ne peut pas faire autrement… Le seul droit de veto des CCI, c’est la majorité qualifiée des 5/6ème pour les investissements, la politique tarifaire, la révision des statuts et le règlement intérieur ». Christelle Combette s’interroge sur l’après : « Quelle solution ? Et surtout quand ? Nous avons besoin de savoir ce qu’il va advenir ». Elle tacle « l’impréparation, l’indécision qui nous met au pied de mur et qui nous contraint à une solution de jonction ». Et conclut : « Ce sera Oui au SMO, mais nous regrettons, encore une fois, votre procrastination ».
 
Clarifier les statuts
S’il reste sur le registre temporel, le président de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, ne tire pas du tout dans le même sens : « Vous saviez que l’échéance du contrat de concession de service public en 2020 poserait un problème. Vous avez eu de la chance d’obtenir une prolongation exceptionnelle de quatre ans. Vous avez écarté l’exploitation directe, qui est la seule solution valable, à cause de ce problème du temps requis. Je me demande si ça n’a pas été fait à dessin ». Il interroge sur la durée du provisoire. « Sept ans, c’est long ». Concernant la composition du SMO, il ne voit pas la nécessité d’y intégrer les agences et offices. Sur la question des statuts, il avertit la CCI, présente dans le public, que « ces statuts seront soumis à de probables modifications de l’assemblée de Corse ». Il estime, à l’inverse de la droite, que « 11 sièges pour la CDC, ce n’est pas assez pour des raisons de politique ». Pour lui, tous les groupes doivent pouvoir siéger dans un organe « qui est l’un des plus importants de la Corse. Cela veut dire qu’il en faut 15. C’est quelque chose de fondamental pour des groupes d’opposition et minoritaires comme le mien ». Il faut aussi, pour le leader indépendantiste, clarifier la gouvernance : « Dans beaucoup de SMO d’aéroports qui ont la charge des investissements délégués, il y a une notion de membres du conseil syndical et une notion de droit de vote par rapport aux parts sociales du syndicat. Un délégué ne veut pas dire un vote ». Idem pour la subdélégation des compétences : « Il faut un article qui interdit formellement la subdélégation. Dans les clauses du SMO de l’aéroport de Saint Etienne, qui est géré avec la CCI de Lyon, il y a une clause qui permet de subdéléguer. Et quand on peut, en général on fait. Cela fait partie des points forts à mettre dans les statuts parce qu’une fois qu’on a transféré la compétence, on ne maîtrise plus. Je sais que les personnels sont favorables au SMO, mais je crois qu’on doit garder à l’esprit qu’une régie directe peut être un bon outil et qu’on ne doit pas créer un syndicat mixte perpétuel ». Il aborde enfin le mode de gestion : « Quelle sera la part active donnée aux politiques par rapport à l’organe socio-économique ? ». Et de conclure : « Il faut un statut prévoyant, qui anticipe les conflits, que ce soit des conflits d’intérêt, d’usage ou de gouvernance ».

Jean-Christophe Angelini. Photo CNI.
Jean-Christophe Angelini. Photo CNI.
Une gestion en question
L’exploitation directe, le président d’Avanzemu, Jean-Christophe Angelini, n’y est guère favorable. Pour lui, les choses doivent découler de deux principes politiques « qui peuvent sembler antagonistes, mais qui nous paraissent en tout point complémentaires. Le premier, conserver la gestion des ports et aéroports dans la sphère publique. Nous n’avons clairement pas envie que demain, un opérateur chinois, un grand groupe français ou une multinationale s’intéresse à tout ou partie des plates-formes portuaires ou aéroportuaires de Corse. Nous ne pouvons pas confier la gestion des infrastructures dont nous sommes propriétaires à des opérateurs guidés par d’autres intérêts que ceux de la Corse. Le deuxième principe est que la CDC n’a pas vocation, en tant qu’autorité concédante et propriétaire des infrastructures, à gérer cette question-là de manière directe. Elle a depuis des décennies, un partenariat fécond avec les CCI. Nous considérons que ce partenariat doit demeurer. C’est important, pas simplement au sens d’un contre-pouvoir, mais d’une architecture institutionnelle un peu plus respirante et de lieux publics qui soient en capacité de générer leur propre stratégie, sans être inféodés au politique ». Pour le leader du PNC, la question est de savoir : « Est-ce que ça marche ou pas ? ça marche bien. Il n’y a pas de grève, pas de conflit, pas de remontées négatives. Les chiffres sont éloquents. Donc le résultat de la gestion des ports et aéroports est largement positif ». Pas question, donc, pour lui, « de déconstruire, dans un pays qui a déjà assez de fragilité comme ça, les choses qui fonctionnent très bien ». Il fustige, lui aussi, le calendrier et « un scénario idyllique » qui « ne correspond pas du tout à notre vision de la réalité et peut nous conduire vers des déconvenues ». Il demande à ce que les EPCI soient associées aux Conseils d’exploitation, territoire par territoire. « C’est le cas partout, et c’est normal qu’un territoire, qui pense sa stratégie économique et touristique et de gestion des flux, soit associé à la vision opérationnelle développée à l’échelle d’une plate-forme ».
 
Un système global
Répondant aux critiques sur les retards engrangés, le président de l’Exécutif « ne voit pas comment on aurait pu tordre le bras du gouvernement sur cette affaire et être plus insistant que nous l’avons été. Cela passe par la loi et par la possibilité de discuter avec un gouvernement sur la possibilité d’un établissement public. On ne nous a jamais ouvert cette fenêtre de discussion. Quand on s’en est rendu compte fin 2023, on a essayé de chercher une solution alternative avec la CCI. Et ce n’est que le 24 mai 2024 qu’on a eu le feu vert du gouvernement pour aller sur un syndicat mixte ouvert. À partir de là, on a travaillé en respectant les délais ». Sur le risque d’une collectivité surpuissante, il affirme que le projet de rattachement, tel qu’il a été conçu, vise justement à l’empêcher. « Vous ne pouvez pas, à la fois, invoquer ce risque et me reprocher de venir avec une solution qui, au contraire, le tien totalement à distance puisque c’est un système de concession au bénéfice de la CCI ». Sur la question des EPCI, il oppose une fin de non-recevoir : « Ce n’est pas prévu dans les statuts et ce n’est pas prévu dans ma vision. Nous allons faire émerger un système aéroportuaire global pensé à l’échelle de la Corse, qui ne met pas en concurrence les différentes structures aéroportuaires, mais, au contraire, travaille à leur complémentarité, y compris dans leur équilibre financier. Ailleurs, les EPCI sont présentes quand elles sont propriétaires des infrastructures. Or, ici, c’est la CDC qui est propriétaire. Si on rentre dans cette logique, on ne s’en sortira pas ! ». Quant à la représentativité de la majorité territoriale, il est très clair : « On ne peut pas avoir un scénario de gouvernance dans laquelle la CCI a les moyens de décider seule. Et on ne peut pas non plus avoir un scénario de gouvernance dans laquelle la CCI, alliée à toute ou partie de l’opposition, décide, au sein du SMO, en place de la majorité qui a été désignée par les urnes ». La CCI de Corse statuera sur le principe de la création du SMO lors d’une Assemblée générale extraordinaire, le 3 octobre prochain. L’Assemblée de Corse se prononcera, lors de la session d’octobre, avant une validation par la loi.
 
N.M.