Corse Net Infos - Pure player corse

Canicule sous-marine : l'herbier de posidonie menacé par la hausse des températures


Pierre-Manuel Pescetti le Samedi 6 Août 2022 à 19:46

La hausse des températures touche également le milieu marin. Sous l’eau, le mercure grimpe aussi fortement que sur la terre ferme. Non sans conséquences pour tout le monde : la faune, la flore et l’humain.



Les fonds marins insulaires hébergent une grande quantité d'herbiers de posidonie. Crédits Photo Stephan le Gallais
Les fonds marins insulaires hébergent une grande quantité d'herbiers de posidonie. Crédits Photo Stephan le Gallais

Cette phrase revient en boucle dans la bouche des baigneurs insulaires : “ L’eau est chaude, ça ne rafraîchit pas tant que ça”. Oui, le constat populaire est exact. Sur les côtes corses, l’eau de mer a pris un coup de chaud en 2022. Comme l’ensemble de la Méditerranée occidentale sur laquelle s’abat une canicule sous-marine. Depuis le mois de mai, la température de l’eau en surface est supérieure de 3 à 4 degrés aux normales de saison. Elle a atteint les 30,7 degrés à Alistro le 22 juillet dernier.   
 

Comme sur terre, l’augmentation de la température ambiante a des conséquences sur la vie dans la grande bleue. Et elles sont non négligeables. Mortalité en hausse des espèces coralligènes, migration des poissons vers les profondeurs, apparition d’espèces dites “exotiques”.

 

Le littoral corse en pleine évolution

Ça bouge sous la surface et ce n’est pas forcément bon signe. Dans la base scientifique de la Station de recherche sous-marine et océanographique de Calvi (Stareso), l’océanographe Lovina Fullgrabe surveille et analyse au quotidien les changements à l'œuvre dans les profondeurs : “ L'environnement change. La faune aussi au profit d’espèces thermophiles. La girelle paon par exemple qui vient concurrencer l’espèce courante. Ou encore le barracuda qui devient une espèce commune autour de l’île alors qu’il était très rare il y a trente ans”.  
 

Lire aussi : Réchauffement climatique : les lourdes conséquences de la canicule marine sur la pêche corse 
 

Mais autre chose préoccupe l’océanographe : “La flore sous-marine ne peut pas migrer en fonction des températures. Soit elle s’adapte, soit elle meurt”. C’est notamment le cas de l’herbier de posidonie, très présent sur le littoral corse qui tient un rôle primordial dans l’équilibre naturel sous-marin. 
 

“Cette plante offre un habitat aux poissons, une nurserie, un garde-manger, un puits carbone plus efficace qu’une forêt tropicale et elle protège même les plages de l’érosion quand elle s’amasse sur les côtes une fois morte. Mais surtout, elle produit de l’oxygène”, souligne Lovina Fullgrabe. Problème, l’espèce est menacée par la hausse des températures sous-marines. 
 

Lire aussi : Calvi : Stareso, la base scientifique dédiée à la recherche marine, a un nouveau directeur 
 

Elle vit généralement entre 0 et 40 mètres de profondeur. Là où l’eau est la plus chaude. “À partir de 28 degrés, les faisceaux de l’herbier de posidonie meurent", explique l’océanographe. Et sans faisceaux, pas de photosynthèse, donc pas de vie. 
 

Sans avoir à atteindre ce seuil critique à quelques mètres de profondeur, le réchauffement de l’eau a des conséquences indirectes et néfastes sur l’herbier de posidonie. 


L’herbier de posidonie stresse aussi

Favorisée par la hausse des températures, la prolifération d’épiphytes est un risque supplémentaire. On les reconnaît à la forme de mousse qu'ils prennent une fois agglutinés sur les plantes sous-marines. Ces petits organismes, souvent des algues, s’amassent sur les herbiers de posidonie et recouvrent leurs faisceaux, empêchant la photosynthèse. “On le constate souvent à la fin de l’été. Cette année, début août, les herbiers sont plus recouverts que d’habitude”, constate Lovina Fullgrabe. 
 

La chaleur sous l’eau est également une source de stress importante pour les herbiers de posidonie. Il modifie leurs habitudes, allant même jusqu’à causer leur mort. “Pour moi, ce stress est ce qu’il y a de plus dangereux. Il engendre une floraison plus importante, une diminution de la croissance et une hausse de la mortalité. Même sur terre, quand un arbre donne beaucoup de fruits, il le fait souvent dans un dernier effort avant de mourir. C’est un signal”, détaille l’océanographe. 
 

Pour l’heure, seule la température à la surface subit une forte hausse. Mais si le phénomène persiste et s’intensifie, il pourrait concerner les couches inférieures. “Dans la baie de Calvi, la température à 100 mètres de profondeur reste stable depuis des années à 14 degrés. Le jour où il commence à faire chaud dans les grandes profondeurs, à partir de 1 000 mètres, ça va devenir extrêmement compliqué”, confie Lovina Fullgrabe.