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Assises de Haute-Corse : L'impossible pardon


Nicole Mari le Mardi 15 Octobre 2013 à 20:46

Au deuxième jour du procès d'assises du drame étudiant qui, le 5 février 2010 à 2h30 du matin à Corte, se solde par la mort d'Antoine Casanova, l'audition des témoins directs n'a pas plus permis que l'enquête de trancher les rôles et les actes de chacun. La responsabilité, individuelle ou collective, est au cœur des débats. L'audience a été marquée par les témoignages bouleversants des parents et de la sœur de la victime qui refusent tout pardon et toutes circonstances atténuantes.



Assises de Haute-Corse : L'impossible pardon
Ghjambattista Villanova peut-il assumer, seul, la responsabilité de la mort d’Antoine Casanova ? Cette question, à laquelle les jurés de la Cour d’Assises de Bastia devront répondre, est le fil rouge de cette deuxième journée d'audience. Elle déclenche, dès l’ouverture, un violent incident entre les avocats des deux groupes de jeunes qui se sont affrontés à Corte, dans la nuit du 5 février 2010. L'enjeu pour la défense du groupe Villanova est de démontrer que la violence n'était pas du seul côté des armes, mais largement partagée par tous les protagonistes. Ses tentatives pour faire avouer à Julien Melgrani, ami de la victime, que son propre groupe était turbulent, provoquent une brutale réaction de Me Mariaggi. Le ton s'envenime, le président Herald menace les parties de suspendre la séance, si celles-ci ne se calment pas.
 
Une mêlée générale 
L'audition des témoins directs du drame ne permet pas de trancher le rôle et la responsabilité de chacun dans la dispute et la rixe. Tous les témoins décrivent une bagarre « très forte », de « gros bruits de coups de poing », une « masse » indistincte dans une obscurité qui ne permet pas de distinguer grand chose. Il en résulte une impression de mêlée et de confusion générales. Un témoin explique : « Je n'avais jamais vu une telle violence. Nous sommes partis des Scontri parce qu'il y avait trop de tirs dehors, plus que d'habitude. C'était une ambiance différente de celle des autres soirs ». Elle décrit la confusion de la scène du crime, le choc et le chaos.
Rien de probant non plus du côté de l'expert chargé de décrypter les images de la vidéosurveillance. Il confirme l’impossibilité d'identifier quoi que ce soit ou qui que ce soit.
Même constat du directeur d'enquête de la Brigade de recherche de Corte : « Nous avions très peu d'éléments. Les lieux étaient très sombres. Les gens ont vu des mouvements. Personne n'est capable de dire qui commence à frapper, qui se bat avec qui, qui fait quoi, qui tire ».
 
La douleur d'une mère
Pour la famille de la victime qui n’a pas, un instant, déserté les bancs de la partie civile, la question ne se pose pas. Il n’y a qu’un responsable.
Son audition ouvre une longue séquence d'émotion.
La mère d’Antoine Casanova livre un témoignage bref, mais poignant. D'une voix hachée, avec des mots décousus, elle exhale sa douleur : « On a tué Antoine. Je ne l'entendrais plus m'appeler : Mamoune. Notre vie s'est arrêtée Il y a deux familles brisées, mais s'il y en a une qui voit son fils, moi, je vois un tombeau ! A 21 ans, on l'a tué comme un chien ! Le tueur sortira de prison. Moi, je ne verrais plus mon fils... » Elle conclut d'une voix plus ferme, avant de quitter la salle, hébétée : « Le 5 février, c'était Antoine. Demain, ça peut être n'importe qui. On envoie notre enfant en fac et on le redescend dans une bière ».
 
La colère d'un père
C'est, ensuite, au père de la victime, raidi dans sa souffrance, de clamer sa colère, il refuse le pardon et réclame une sanction pour le tireur. « Vous avez une famille touchée moralement, psychologiquement, meurtrie dans sa chair, révoltée par cette barbarie, par ces coups de crosse, par une victime achevée d'une balle dans la nuque. C'est un Catenacciu que l'on porte tous les jours. Je ne donnerai pas mon pardon ! ».
Il dresse, à la demande du président Herald, le portrait de son fils, d’un jeune homme « sain, sportif, à cheval sur les valeurs un modèle dans la société, respectueux des valeurs traditionnelles, d'autrui ». Il loue son « sens de l'amitié, de la solidarité, son courage ». Il évoque une vie heureuse, sans histoire : « Les armes d'Antoine étaient un ballon de foot et une raquette de tennis ». Et conclut, âpre : « Nous attendons une sanction à la hauteur du drame et nous ne pouvons, en aucun cas, accepter des excuses ».
 
Le récit d'un calvaire
A sa suite, sa fille, la sœur de la victime, lit un véritable témoignage à charge contre les principaux prévenus et raconte le calvaire de sa famille. Elle trace un parallèle entre le parcours de son frère et celui de Ghjambattista Villanova dans un souci de démontrer que, dans des situations paressant identiques, ils ont fait des choix différents. Elle lit, également, un extrait de la dernière dissertation écrite par Antoine Casanova, prônant le respect des valeurs et lue par son professeur d'italien lors de la marche blanche de protestation qui, après le drame, a réuni près de 5000 personnes.
Les témoins de moralité, qui lui succèdent, confortent l'image d'une victime bien sous tous rapports, très appréciée par un large entourage, « calme, posé, gentil, réservé ».
 
Une double catastrophe
Pour le patron cortenais du café du Trésor, cité comme témoin, la responsabilité ne saurait s’arrêter aux seuls jeunes. Il exprime, d’abord, la consternation et l'incompréhension générale qui a saisi la ville à l’annonce du drame : « A Corte, ça été une double catastrophe. Il y a la perte d'un jeune et puis, un autre impliqué, un jeune de Corte qu'on a vu grandir. Personne ne comprend ». Il pointe, ensuite, du doigt le laxisme des services de l'Etat face aux armes qui circulent. « Il y a eu une catastrophe et on continue tous les soirs comme si de rien n’était. L'année après le drame, les Scontri ont eu lieu comme d'habitude, on a encore beaucoup tiré, 200 douilles couvraient le sol. Il faudrait interdire ce genre de soirée ».
Avec lui, certains avocats de la défense s’interrogent sur l’acceptation générale, voire la passivité de tous, devant ce déluge de tirs et d’armes qui ne semble, hors du drame du 5 février 2010, n’émouvoir personne à Corte, comme ailleurs dans l’île !
 
Un fait de groupe
Et c’est bien le fait saillant majeur que révèlent les expertises psychologiques des trois prévenus principaux. Les experts s’accordent sur une certaine immaturité et un manque de prise de conscience de la dangerosité de l'arme et de ce type de comportement au moment des faits. « On a affaire à quelqu'un de normal qui se comporte de manière anormale dans un temps transitoire, dans un contexte très marqué culturellement. Le problème de son comportement réside dans la banalisation du port d'arme » analyse l'expert psychologue à propos de Ghjambattista Villanova. Comme l'expert psychiatre, il insiste sur le fait de groupe : « A partir du moment où porter une arme est la norme, il y a la pression de groupe à laquelle on ne peut pas échapper ». Il n’émet aucun doute sur le sentiment de culpabilité du prévenu : « Il a été se rendre. Il m'a dit : j'aurais préféré prendre, moi, cette balle. Il a, donc, intégré qu'au niveau de son comportement, il y a un problème majeur ».
 
Une question de vérité
La question de la responsabilité pénale clôture l’audience, comme elle a commencé, par un nouvel incident entre avocats de la défense. Celui-ci nait d’une demande un peu tendancieuse du président Herald qui veut connaître « le sentiment » du Directeur d'enquête de la gendarmerie sur la qualification du chef d'inculpation de Ghjambattista Villanova, à savoir homicide volontaire. Le gendarme, en répondant qu'il s'agit, pour lui, d'un acte volontaire, s'attire les foudres de Me Dupont-Moretti. « On croit Ghjambattista Villanova sur tout, on vérifie tout ce qu'il dit et ça se révèle exact. Et, on refuse de le croire sur une seule chose : quand il affirme qu'il n'a pas tiré volontairement sur la victime qu'il ne connaissait pas ! Ce drame a eu une récurrence très forte dans la société corse. Ma peur est que ce garçon paye pour tous les questionnements qui ont suivi. Je souhaite quil soit jugé pour ce quil a fait, pas quil paye pour ce que lopinion publique peut générer ! »
 
Mercredi, les expertises ADN et balistiques tenteront d’y voir plus clair. Les plaidoiries de la partie civile pourraient débuter dans la foulée.
 
N.M.

Me Eric Dupont-Moretti, un des avocats de Ghjambattista Villanova.
Me Eric Dupont-Moretti, un des avocats de Ghjambattista Villanova.
Me Eric Dupont-Moretti : « Si Ghjambattista Villanova ne s’était pas constitué prisonnier, il n’y aurait pas de procès » 
 
- Ce procès n’est-il pas d’abord celui du reflet d’une société ?
- La Cour d’Assises n’est pas un lieu où l’on parle de sociologie. C’est, d’abord, un lieu où l’on juge des hommes, en l’occurrence des gamins portés par un certain nombre de mauvaises habitudes. Dans cette histoire, s’il n’y a pas d’arme, il n’y a pas de crime ! C’est stupide de le dire, mais c’est aussi stupide de l’oublier.
 
- N’y-a-t-il pas, quand même, une grande confusion ?
- Vous avez raison ! Le petit Villanova, que j’ai l’honneur de défendre, n’est reconnu par personne. Mais, sa culpabilité est signée par ses propres déclarations et par la volonté, qu’il a eue, de venir tout raconter au Procureur de la République, le lendemain des faits. Il est même venu avec l’arme. S’il ne s’était pas constitué prisonnier et avait jeté son arme, je peux vous assurer qu’il n’y aurait pas de procès !
 
- Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
- Cela veut dire deux choses. Il a une véritable culpabilité à l’égard de la victime et de sa famille. Il est dans un regret absolument sincère qui le dévore. Ce sont, d’ailleurs, les premiers mots qu’il a adressés à la Cour d’Assises.
 
- Quel est, pour vous, l’enjeu du procès ? Est-il de démontrer qu’il n’y a pas eu de tir volontaire ?
- L’enjeu du procès, c’est d’abord, de replacer cette affaire dans son véritable contexte. C’est, ensuite, de considérer que le port de cette arme ne tient pas à l’envie d’aller commettre une quelconque infraction. C’est une stupidité de gosse dans un environnement particulier. Dans ces fameux Scontri, il y a énormément de gens qui tirent. C’est à prendre en considération ! S’ils ont une arme sur eux, ce n’est pas pour aller commettre un braquage ! Enfin, comme l’a dit l’un des protagonistes de ce dossier qui appartient à l’autre groupe, « c’est une dispute de cons », de gosses. Tout cela, une Cour d’Assises, qui se respecte, doit le prendre en considération avant de rendre son verdict.
 
- Pourquoi vous êtes-vous opposés à la disjonction des procédures des 5 autres prévenus qui relèvent du tribunal correctionnel ou du tribunal de police ?
- Six prévenus, ça alourdit incontestablement l’audience d’Assises, mais, en même temps, c’est indispensable. Avec un seul accusé, tous les regards se concentrent sur lui. Là, on se rend compte que l’on est dans un contexte : une bagarre qui tourne mal, un coup de feu qui part au bénéfice de la confusion, du stress, de l’alcool… D’ailleurs, l’un des psychologues, qui a été entendu, dit : « S’il manque l’un de ces facteurs, il n’y a pas de crimes ! ». Evidemment, c’est plus long, plus difficile, plus complexe, mais, en même temps, c’est plus complet et c’est, sans doute, plus équitable.
 
Propos recueillis par Nicole MARI

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