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Assassinat d’Yvan Colonna : La gestion politique du détenu nationaliste corse sur la sellette


Nicole Mari le Jeudi 9 Février 2023 à 21:27

Poursuite des auditions de la Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé, Frank Elong Abe, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles. Ont été entendus mardi et mercredi l’ancien Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, la vice-présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), Cécile Delazzari, et à huis-clos, la coordinatrice du service d’application des peines anti-terroriste, Françoise Jeanjaquet. Ont été abordés la question du statut particulier d’Yvan Colonna, les critères de DPS et la gestion de la détention de l’agresseur.



Le président de la Commission d’enquête parlementaire parlementaire concernant l’assassinat d’Yvan Colonna, le député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute-Corse et membre du groupe LIOT, Jean-Félix Acquaviva,(à droite), et le rapporteur, le député Horizons de la 1ère circonscription de Corse du Sud, Laurent Marcangeli.
Le président de la Commission d’enquête parlementaire parlementaire concernant l’assassinat d’Yvan Colonna, le député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute-Corse et membre du groupe LIOT, Jean-Félix Acquaviva,(à droite), et le rapporteur, le député Horizons de la 1ère circonscription de Corse du Sud, Laurent Marcangeli.
Les semaines d’audition de la Commission d’enquête parlementaire concernant l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radical Frank Elong Abe s’enchainent dans un vrai travail de bénédictin pour déterminer les dysfonctionnements, creuser les responsabilités, fouiller les zones d’ombre et tenter d’y voir un peu plus clair sur les circonstances qui ont conduit, le 2 mars, au matin à un drame qui reste encore peu compréhensible. Trois nouvelles auditions : celles de l’ancien Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, en fonction de janvier 2016 à mai 2017, de la vice-présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), Cécile Delazzari, et à huis-clos, de la première vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris, coordinatrice du service d’application des peines anti-terroriste, Françoise Jeanjaquet. Sans grande révélation. La seule vraie annonce de la semaine a été faite par le ministre de l’Intérieur, après sa visite éclair, lundi, à Aiacciu. Gérald Darmanin a accepté de déclassifier vingt notes de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) allant du 11 septembre 2012 au 2 mars 2022 concernant le rôle exact de Frank Elong Abe en Afghanistan. Il a, ainsi, accédé partiellement à la demande de la Commission d’enquête parlementaire, notamment de son président, le député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, et de son rapporteur, le député Horizons de la 1ère circonscription de Corse du Sud, Laurent Marcangeli, qui ont réclamé la levée du Secret Défense que leur ont opposé certains auditionnés. « Nous entendons faire valoir les droits de la Commission d’enquête parlementaire pour savoir qui était vraiment l’agresseur d’Yvan Colonna et son rôle exact parce que s’il est vraiment source de renseignements, cela donne une lumière différente au parcours de gestion clémente dont il a bénéficié, que ce soit en remise de peine ou en accès à l’emploi », justifiait, alors, Jean-Félix Acquaviva.

Jean-Jacques Urvoas.
Jean-Jacques Urvoas.
Pas de statut particulier
Le 7 février, Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux des gouvernements Valls et Cazeneuve sous la présidence de François Hollande, est, donc, le premier politique à affronter les fourches caudines de la Commission d’enquête. L’idée était d’éclairer la gestion politique du détenu Yvan Colonna et, à travers de lui, du commando Erignac, l’obstination de l’Etat de les maintenir sous statut de Détenu particulièrement signalé (DPS) et donc, le refus de leur appliquer, en dépit de la loi, le rapprochement familial à Borgu. Le président, Jean-Félix Acquaviva, entendait se faire confirmer ce qui apparait nettement depuis le début des auditions comme deux poids, deux mesures entre la gestion très stricte du nationaliste corse Yvan Colonna « d’une sévérité et d'une continuité dans cette sévérité pour ne pas rapprocher ou pour ne pas sembler faiblir en accédant au rapprochement » et la gestion particulièrement « laxiste » du terroriste islamiste Frank Elong Abe. Malgré la pugnacité du député nationaliste, qui a tenté de le pousser dans ses retranchements, Jean-Jacques Urvoas a largement botté en touche et n’a, sans surprise, guère apporté d’éléments nouveaux. « Si la question est de savoir si Yvan Colonna a bénéficié d'un statut particulier en raison des faits qu'il a commis, la réponse est non ! », répond-il. « Il n’y a pas d’éléments pour dire qu’Yvan Colonna n’a pas eu un statut classique en détention… Je n’ai connu qu’un statut particulier en détention, c’était Salah Abdeslam », une allusion au terroriste islamiste condamné à la perpétuité incompressible pour sa participation aux attentats du 13-novembre 2015. Le ministre ne se souvient même pas « avoir été saisi d’une demande d’Yvan Colonna du retrait du répertoire des DPS », n’évoque qu’une « réunion politique concernant les détenus corses », avant des déplacements ministériels dans l’île « mais pas sur Yvan Colonna, sur Nicolas Battini et Stéphane Tomasini » pour le rapprochement à Borgu. Riposte de Jean-Félix Acquaviva qui refait l’historique des contentieux judiciaires : « Depuis 2011 jusqu’en 2022, il n’a cessé de faire des demandes de levée de ce statut ! ». L’ancien ministre argue : « Quand j’ai posé la question sur le rapprochement de Colonna, on m’a répondu : période de sureté (levée en juillet 2021) et maison centrale ».
 
La gestion de la détention
L’ex-ministre était aussi attendu sur la gestion des QER, ces Quartiers d'évaluation de la radicalisation qu’il a mis en place pendant son mandat et qu’il qualifie de « révolution copernicienne conduite à l’administration pénitentiaire ». Il va, comme d’autres avant lui, se contenter d’en faire la genèse, d’en expliquer longuement la politique pour mieux y noyer le cas d’Elong Abe et tenter de déminer les attaques. Laurent Marcangeli met précautionneusement les pieds dans le plat sur le non-placement de Franck Elong Abe en QER : « Le placement en QER aurait-il pu avoir une influence décisive, eu égard au drame qui s’est déroulé dans la maison centrale d’Arles ? ». Jean-Jacques Urvoas louvoie : « Les QER sont dédiés à la détection, on savait que Franck Elong Abe était radicalisé ». S’il reconnait que ce dernier « aurait dû faire l'objet d’une mesure d’isolement ou d'un placement dans un quartier pour détenus violents », il reste prudemment sur le terrain de « la philosophie des QER, pas de la mise en œuvre ». A Jean-Félix Acquaviva qui insiste sur « cet extraordinaire alignement de planètes. Le directeur de l’administration pénitentiaire parle d’une réalité qui dépasse la fiction  », sur « les manquements, les insuffisances, les failles au niveau de la prison et au sein de l’administration centrale », le ministre se contente de lâcher : « Les explications viendront des démarches engagées ». Avant d’ajouter : « Si tant est qu’il y a eu des dysfonctionnements. Je ne me prononce pas s’il y en a eu ou pas ». Pas vraiment à l’aise, il essaie, tant bien que mal, de dédouaner une administration « qui est compliquée, qui est en perpétuel besoin en reconnaissance. Et donc, on ne peut pas l’aborder à travers les tensions qu’il peut exister. Il y a toujours une dimension ressources humaines » et plaide pour que la Commission d’enquête le prenne en compte. Avant de conclure : « La pénitentiaire, c’est d’abord une question de ressources humaines. Encore une fois, le sujet dans le cas d’espèce qui vous occupe, c’est la gestion de la détention ».

Cécile Delazzari.
Cécile Delazzari.
Un échec
L’audition, le lendemain, de la vice-présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), Cécile Delazzari, avait pour objet d’appréhender la politique mise en place en termes d’application des peines. « Le JAP intervient sur les réductions de peine, les aménagements de peine, les permissions de sortir et sur le suivi des mesures de sûreté », explique longuement la magistrate. « La peine, pour nous, ce n’est pas un arrêt sur image, à l’instant T, c’est plutôt un point de départ pour tirer les leçons du passé et préparer l’avenir. Cette notion d’évolution du condamné est fondamentale à deux niveaux : qu’il s’agisse du milieu ouvert ou du milieu fermé, qui souvent interagissent l’un l’autre ». Elle martèle « la nécessité de l’évolution de la peine parce que les gens évoluent. C’est à ça aussi que sert l’exécution d’une peine, à constater l’évolution des gens, la provoquer, la développer ». Pour ensuite aborder par le biais de la dignité des conditions de détention, le drame du 2 mars. « On ne peut être que très touché par un décès dans des conditions aussi dramatiques d’une personne qui est sous la garde de l'administration pénitentiaire en exécution d'une décision judiciaire. Cela ne peut que susciter des interrogations de la société qui nous paraissent légitimes. D’une manière générale, n’importe quel décès d’un détenu, autre qu’une cause naturelle, est toujours ressenti par l’institution judiciaire comme un échec. Le but de placer des gens en détention, c’est plutôt l’espoir d’un réel amendement de leur part, de les ramener à la capacité de reprendre une vie libre et responsable. L’ensemble de ces éléments ne peut que nous amener à déplorer les conditions de ce décès » tient-t-elle à rappeler.
 
Le DPS, un non-critère
Le président Acquaviva l’interroge sur les critères de DPS : « Pensez-vous que l’acte commis, l’assassinat d’un préfet, a pu prendre le pas sur l’évolution du parcours carcéral d’Yvan Colonna dans l’analyse des demandes de levée de DPS ? ». Difficile de répondre, déclare Cécile Delazzari qui invoque une décision du Garde des Sceaux, mais reconnaît que « c’est possible. Les circonstances de son interpellation ont pu jouer aussi dans l’attribution ou le maintien du DPS. L’un des critères est le risque d’évasion ». Avant d’affirmer que le DPS doit être complètement déconnecté de l’aménagement de peine. « A aucun moment, la qualité de DPS n’intervient dans le fait que la peine soit aménageable ou pas. Le fait d’être un DPS n’est pas en soi un critère pour dire qu’on ne peut pas avoir un aménagement de peine. Je ne sais pas si on peut dire qu’il y a un droit à l’aménagement de peine, mais il y a un droit à regarder l’évolution des personnes qui sont incarcérées pour les amener autant que possible à sortir dans des conditions encadrées plutôt qu’en sortie sèche. De nombreux études montrent que la sortie sèche est la pire ennemie de la récidive ». Avant de préciser que la qualité de DPS a surtout « comme impact, les conditions de détention et d’escorte ». Prenant soin de bien répéter qu’elle n’a aucune connaissance des dossiers individuels des deux détenus et « donc aucun avis à donner », elle comprend que « la question retenue est celle du transfèrement qui, en soi, n’a pas de lien avec un éventuel aménagement de peine. Tous les jours, des gens ont des aménagements de peine dans d’autres départements que ceux dans lesquels ils sont incarcérés. Le fait que le statut de DPS a été conservé pour Yvan Colonna ou Frank Elong Abe n'est pas en soi un obstacle à un quelconque aménagement de peine ».

Une décision pénitentiaire
Le député Marcangeli revient sur « les défaillances de circulation de l’information pour un évènement d’une exceptionnelle gravité ». La magistrate explique longuement que tout incident grave doit être porté par l’administration pénitentiaire à la connaissance du JAP territorialement compétent et du JAP antiterroriste en charge de ces dossiers. « De manière générale, la communication est plutôt bonne et cette information intervient de manière habituelle. L’information urgente va aussi en direction du procureur de la République ». Le député Acquaviva intervient en demandant « si le PNAT (Parquet national anti-terroriste) n’est pas trop interventionniste », faisant allusion aux appels systématiques que le PNAT a opposé à chaque jugement de première instance accordant au commando Erignac une liberté conditionnelle. « On n’a quasi aucun contact avec le PNAT. Ça ne s’y prête pas ! On a parfois des contacts avec le JAP anti-terroriste », réplique-t-elle. Concernant les QER, « Il n’y a jamais aucun JAP, ni aucun Parquetier, dans aucun contexte qui va, tout seul, émettre un avis sur une affectation quelle qu’elle soit, en quartiers ou en isolement. C’est une décision qui nous échappe complètement. Ce n’est pas une décision judiciaire, mais une décision pénitentiaire qui appartient à l’administration pénitentiaire avec un certain nombre de contingences, à la fois des logiques de flux et de gestion des flux, de rapprochement familial et de détenus difficiles ».
 
Des textes peu précis
Cécile Delazzari justifie le transfert de Frank Elong Abe à Arles par le fait qu’il est « un détenu qu’on a du mal à gérer avec une vingtaine d’incidents. De manière habituelle, pour ne pas épuiser les personnels, quand ça devient trop compliqué pour un détenu dans un endroit, on le transfère en se disant que le transfert permettra d’apaiser les tensions qui sont devenues trop prégnantes ». Puis apporte une précision qui fait réagir le député Acquaviva : « Si le JAP donne son avis, c’est qu’on lui a demandé, sans quoi il n’est même pas au courant. Le seul cadre juridique dans lequel on a sollicité l’avis du JAP et du Parquet est dans le cadre d’un transfert d’Elong Abe ». Elle revient sur le flou, à l’époque, des textes juridiques sur le transfert en QER et sur le secret des informations concernant les détenus radicalisés : « Quand on a ces informations de manière informelle dans des échanges en Commission d’application des peines, on nous demande de ne pas en faire état. Le problème, c’est qu’on a une fonction juridictionnelle, on ne peut pas prendre des décisions sur des éléments qu’on ne peut pas motivés ». Les auditions se poursuivront la semaine prochaine. Le 15 février avec deux tables rondes réunissant, la première, les organisations syndicales des personnels de direction de l’administration pénitentiaire, et la seconde, les organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire. Le 16 février, seront auditionnés, à leur demande, les anciens députés, François Pupponi et Bruno Questel, suivie de l’ancienne garde des Sceaux, Nicole Belloubet.
 
N.M.