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Assassinat d'Yvan Colonna : Jean Castex affirme qu'il "n’y a jamais eu de vengeance d’État"


le Jeudi 9 Mars 2023 à 10:02

L'ex Premier ministre était auditionné mercredi soir par la commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur l'assassinat d'Yvan Colonna. L'occasion pour ce dernier d'assurer qu'il n'y a "jamais eu de complot" contre les prisonniers du commando Erignac.



Jean Castex, capture d'écran
Jean Castex, capture d'écran
Audition sous tension à la commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’Yvan Colonna le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles. Ce mercredi soir, les députés ont entendu l’ancien Premier ministre, Jean Castex, donnant lieu à quelques échanges houleux.

En propos liminaire Jean-Félix Acquaviva, député de la 2èmecirconscription de Haute-Corse et président de la commission d’enquête, a souhaité rappeler, devant celui qui exerçait des responsabilités au plus haut niveau de l’État au moment de l’agression mortelle d’Yvan Colonna, que le statut de Détenu Particulièrement Signalé (DPS) auquel ce dernier était toujours soumis a « empêché son rapprochement pratique en Corse, au sein de l’établissement de Borgo ». « En raison de l’obligation de déport à laquelle était et reste astreint le Garde des Sceaux, vous êtes à la fois le dernier responsable à avoir maintenu le statut de DPS d’Yvan Colonna, et le seul à l’avoir levé, par la force des choses, il y a un an jour pour jour dans les circonstances que l’on sait désormais. Le statut de DPS de messieurs Alessandri et Ferrandi sera levé quelques jours plus tard », a-t-il argué en pointant des décisions qui « interrogent ». « Soit, première hypothèse les membres du commando Erignac satisfaisaient objectivement aux critères DPS, au niveau de leur dangerosité notamment, et dans ce cas ils auraient dû rester sous ce statut, même en dépit de l’agression. Soit, seconde hypothèse, ils ne satisfaisaient pas totalement aux critères, ou ils n’y satisfaisaient plus et dans ce cas on peut s’interroger depuis combien de temps ils étaient maintenus sous ce statut pour des raisons, non pas objectives, mais politiques, étrangères à la stricte application du droit, ce que j’ai appelé la vengeance d’État, lors de la question que j’ai adressé au Gouvernement concernant leur rapprochement en Corse le 19 octobre 2021, soit 5 mois avant les faits. Il n’y a pour nous à ce stade de troisième voie », a-t-il déroulé.

" Des motifs de fait "

En écho, Jean Castex indique qu’il a eu à statuer le 6 août 2021 pour répondre à la demande de levée du statut de DPS d’Yvan Colonna et concède y avoir opposé une décision de refus en soulignant que celle-ci n’est « certainement » pas intervenue « pour des raisons politiques ». « Je l’ai fait dans un dossier extrêmement difficile au vu des avis rendus », explique-t-il en précisant : « J’ai constaté qu’une commission compétente instituée au sein de l’administration pénitentiaire avait été réunie, et avait émis un avis. Comme celui du Parquet National Anti-Terroriste, il était défavorable à la demande exprimée par Yvan Colonna, notamment parce que la période de sureté qui entourait la sanction pénale qui l’avait frappée n’était que très récemment échue, parce qu’il y avait eu avant son arrestation des phénomènes de fuite, et enfin parce qu’il y avait eu différents incidents disciplinaires qui s’étaient produits pendant la période récente d’incarcération. J’ai donc suivi la recommandation de la commission ». 
 
Il affirme dans ce droit fil que c’est pour « des motifs de fait qu’il (lui) est apparu nécessaire de maintenir ce statut » et souffle : « J’ai entendu la notion de vengeance d’État. Je le dis très clairement dans cette commission et dans le cadre des prérogatives qui étaient les miennes pendant ce dossier, il n’y a jamais eu en aucun cas la recherche de vengeance d’État mais l’application de texte ». Il ajoute en outre qu’après l’agression d’Yvan Colonna c’est pour « des raisons humanitaires » qu’il a levé son statut de DPS et, qu’une fois cette décision prise, il lui semblait « extrêmement difficile compte tenu de la hiérarchie des responsabilités dans les condamnations, de maintenir celui d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri », en notant également des raisons tenant au maintien de l’ordre public face aux troubles nés suite à l’agression d’Yvan Colonna sur l’île.

" Je n’ai jamais été, ni de près ni de loin, l’instrument d’un moindre complot "

Un raisonnement qui ne tient pas pour Jean-Félix Acquaviva qui lui oppose que Pierre Alessandri avait reçu « pour la troisième fois consécutive » un avis favorable de la commission locale de Poissy sur la levée de son statut de DPS, et qui malgré tout a vu cette demande encore rejetée par le Premier ministre en 2020. Jean Castex dit pour sa part se souvenir « d’un avis défavorable du Parquet National Anti-Terroriste » et assure avoir pris cette décision « en conscience ». Une différence de mémoire qui n'est pas sans cristalliser certaines tensions entre les deux hommes. 
 
Quelques minutes plus tard, le rapporteur de la commission et député de la 1ère circonscription de Corse-du-Sud, Laurent Marcangeli tente de reposer les choses. « Suite à l’agression d’Yvan Colonna, des personnes de tous bords politiques ont émis un certain nombre d’hypothèses qui relevaient de la théorie du complot. Pourquoi cette question est posée, parce que les rapports entre la Corse et l’État étaient parfois conflictuels, et qu’il a été démontré par la Justice que parfois des agents de l’État étaient susceptibles d’y commettre des fautes lourdes et que cela a laissé beaucoup de meurtrissures dans le cœur des Corses », soulève-t-il en évoquant avoir lui-même pu constater « un traitement particulier » des prisonniers du commando Erignac, notamment par le maintien de leur statut de DPS. « Pouvez-vous affirmer au regard des responsabilités éminentes que vous avez exercé au service de l’État qu’il n’y a pas eu à votre connaissance d’intervention politique, administrative, ce que certains peuvent qualifier parfois d’État profond, en vue de permettre la survenance de cet évènement dramatique qui a causé de graves troubles à l’ordre public ? », demande-t-il à l’ex Premier Ministre qui lui répondra sans ciller : « Non seulement je n’ai jamais été, ni de près ni de loin, l’instrument d’un moindre complot, je me demande bien d’ailleurs à quelle finalité, mais je n’en ai eu jamais eu, ni de près ni de loin, connaissance. Si tel avait été le cas, jamais je n’aurais pu le tolérer, car c’eut été un grave abaissement de l’État ».
 
Pas de quoi convaincre Jean-Félix Acquaviva. « Nous sommes dans un moment important où il faut se dire toutes les choses », siffle-t-il. « On aurait pu prendre, malgré les critères DPS, la décision de les lever ou de transférer ces personnes. On ne le faisait pas, parce qu’il y avait une promesse de ne pas le faire, en raison du traumatisme de l’assassinat du préfet Erignac », tonne-t-il en déplorant encore : « Le lendemain du drame, nous avons été en possession de messages de préfets en exercice, qui disent qu’il fallait décorer Elong Abé, qu’il avait fait ce qui aurait dû être fait il y a longtemps. Vous entendez ce que je dis ? Cette haine a existé. Le dire c’est rendre la dignité à la famille d’Yvan Colonna ».