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A Settimana di a Lingua : « Re-corsophoniser le territoire ajaccien et normaliser l'usage »


le Vendredi 24 Mai 2013 à 10:24

Dans le cadre di A Settimana di a Lingua Corsa qui se déroulera du 1er au 10 juin à Ajaccio, nous avons donné la parole à Tumasgiu D’Orazio, Conseiller municipal délégué à la langue et à la culture corses, qui a volontiers accepté de présenter toutes les facettes de cet évènement culturel et d’en décrypter les enjeux. Avec en filigrane, l'adoption du statut de co-officialité de la langue par l'Assemblée de Corse la semaine dernière.



A Settimana di A Lingua Corsa se déroulera du 1er au 10 juin à Ajaccio. (Doc : DR)
A Settimana di A Lingua Corsa se déroulera du 1er au 10 juin à Ajaccio. (Doc : DR)
L’INTERVIEW GRAND ANGLE
Tumasgiu D’ORAZIO : conseiller municipal délégué à la langue et à la culture corses

Corse Net Infos : du 1er au 10 juin se déroulera  à Ajaccio A Settimana di A Lingua Corsa. Pouvez-vous nous parler un peu de cette manifestation ?
Tumasgiu D’Orazio : Pour la deuxième année consécutive, la ville d'Ajaccio a souhaité répondre à l'appel à projet de la collectivité territoriale de Corse concernant l'organisation de "A settimana di a lingua". Pour nous, il était important de répondre à ce projet car il nous permet de mettre en lumière une partie du travail effectué tout au long de l'année. En effet, la ville d'Ajaccio sous l'impulsion de notre maire Simon Renucci, a permis la création d'un service dédié à la langue et culture corses (il n'en existe que deux, l'autre service se situe à l'assemblée de Corse) et celui-ci fournit un travail remarquable en faveur du corse. 
Ainsi, il sera possible de voir les actions menées dans les crèches, les centres de loisirs,  le Net... Mais aussi les actions spécialement créées pour l'occasion, comme la dictée de Pivot ou le jeu du mot le plus long. Cette semaine se clôturera place du Diamant en compagnie d'exposants et en chanson avec le groupe Diana di l'Alba.

CNI : Dans quelles circonstances ce projet a-t-il vu le jour ?
T.D : Très simplement, il est apparu évident pour la ville d'Ajaccio d'être présente sur tous les projets concernant la langue et la culture corses. La politique est une question de dynamique et nous avons souhaité en impulser une. Nous menons au quotidien une politique linguistique et culturelle afin de normaliser son usage et re-corsophoniser le territoire Ajaccien. En ce qui concerne, les opérations qui nous sont proposées, nous estimons avec mes collègues élus ainsi qu'avec le service langue et culture corses, que lorsqu'un projet est utile et réalisable, nous nous engageons à le mettre en œuvre. Ce fut le cas pour "A settimana di a lingua"

CNI : Dans les grandes lignes, pouvez-vous nous parler de la forme concrète que prendra cette semaine dédiée à la langue Corse à Ajaccio ?
T.D : "Concret" est un mot qui nous est cher, car c'est dans ce sens que se dirige notre politique. La langue et la culture corses souffrent d'un manque d'actions concrètes pour permettre sa vitalité. La mairie s'engage à rendre naturel et effective son incorporation dans l'action publique. A settimana sera l'occasion d'utiliser tous les modes d'expression, l'oral, l'écrit, ou la forme artistique. Et grâce à la diversité des activités il sera possible d'appréhender la langue corse à travers les cinq sens.
Ce sera une fois de plus l'occasion de s'ouvrir à tous les publics, des plus jeunes aux anciens. Ce sera aussi l'occasion de sensibiliser tous les quartiers de la ville. La langue et la culture corses ne sont pas l'affaire d'un petit groupe mais l'affaire de tous. 

A Settimana di A Lingua Corsa : la langue et la culture corses à l'honneur ! (Photos et docs : DR)

« Ce statut ne doit pas être un cache-misère, sans une mobilisation et adhésion particulièrement forte des corses eux-mêmes la langue ne sera pas sauvée. » Tumasgiu d’Orazio

CNI : Le statut de co-officialité de la langue Corse a finalement été adopté vendredi par l’Assemblée de Corse, au terme, il faut bien le dire, d’un parcours du combattant parsemé de dissensions, qui aura duré plus de 48h. Votre opinion sur le vote de ce statut ?
T.D : Comme l'est le maire d'Ajaccio, rappelons le, j'y suis clairement favorable et ce depuis le début de mon engagement politique. 2008 a été l'année de mon élection au conseil municipal et l'année de l'attribution de la délégation langue et culture corses. Très vite, et au delà de mes propres idées, mon expérience d'élu m'a démontré à quel point le cadre juridique pour la langue corse était étriqué et inopérant. En revanche, ce statut ne doit pas être un cache-misère, sans une mobilisation et adhésion particulièrement forte des corses eux-mêmes la langue ne sera pas sauvée. Je suis en revanche très heureux que celui-ci ait été approuvé aussi majoritairement et qu'il n'y ait eu aucun vote contre.

CNI : Comment peut on, selon vous, expliquer les oppositions, notamment avec les amendements du front de gauche concernant la problématique de la discrimination et le point de friction avec les divers groupes nationalistes ?
T.D : La politique linguistique de la France n'est pas vraiment favorable aux langues régionales. La fameuse loi Deixonne posait deux principes qui aujourd'hui s'imposent encore. Le caractère facultatif et le fait que les langues régionales servent à améliorer la connaissance de la seule langue officielle soit le français. S'ajoute à cela une tradition politique qui voudrait démontrer qu'accorder des droits supplémentaires aux langues régionales serait donner un gage de consolidation à l'idée de communautarisme. Dans ces conditions, élaborer une coofficialité se révélait être un exercice difficile où il convenait de ne pas tomber dans certains pièges ou certaines dérives.   
La coofficialité entraînerait un changement profond sur l'usage du corse et du français, ce qui très naturellement peut nourrir des inquiétudes. La crainte qu'il puisse y avoir une discrimination pourrait être fondée, mais le principe reste celui de la parité et de la liberté de choix entre les deux langues, ce qui limite considérablement les risques d'abus.

CNI : Pourquoi a-t-il été, selon vous, aussi difficile de s’unir sur un sujet pourtant aussi rassembleur que la pérennisation de la langue Corse ? 
T.D : La langue corse a été longtemps minorée et étouffée. Celle-ci a toujours été en situation de diglossie et ces dernières années on a vu se mettre en place un mouvement contraire entre déclin et présence accrue dans des domaines où longtemps elle fut exclue. Aujourd'hui, si l'on ajoute l'impact de la mondialisation, il est parfois difficile de lui attribuer une place. Beaucoup de dimensions s'entremêlent et rendent le débat complexe. Il semble pour moi normal que cela impose la discussion.
Si la coofficialité s'applique ce que je souhaite, je peux vous assurer que les débats et les polémiques continueront car la langue est l'un des éléments constitutifs d'une identité. Mais l'important est d'avancer, chemin que semble emprunter la Corse. Reste quand même deux enseignements à tirer de cette année : les 90% de corses  favorables au bilinguisme et les 70% d'élus de l'assemblée de Corse approuvant la coofficialité. Cela est assez fédérateur.  

CNI : Enfin, il va falloir désormais plaider le dossier de la co-officialité auprès du gouvernement et des instances décisionnaires. Comment entrevoyez-vous l’avenir de la langue Corse dans les mois et années à venir ?
T.D : Il conviendrait de modifier la Constitution pour que cela puisse se mettre en œuvre et plus généralement, c'est la Constitution qui devrait régler la question des langues régionales comme cela est le cas en Espagne. Il existerait en France, 5 millions de locuteurs de langues régionales, la France devrait agir dans le sens d'une loi constitutionnelle ouvrant le droit aux régions d'organiser l'officialité des langues. Ce serait  un acte majeur et une façon de réconcilier régions et pouvoir central.
Si il n' y avait pas de modification, s'enclencherait alors une "bataille juridique" avec un risque important d'inconstitutionnalité, bien qu'au sein de la constitution il existe des pistes intéressantes pour permettre sa possible validation. L'article 75-1 faisant mention des langues régionales est souvent évoqué mais d'autres articles prévoyant qu'il puisse exister des mesures dérogatoires pourraient aussi constituer une piste. Quoiqu'il en soit, il serait préférable que la coofficialité puisse se mettre en œuvre sinon il sera plus que difficile de sauver et de promouvoir notre langue. 

Propos recueillis par Yannis-Christophe GARCIA

SAVOIR +
Pour davantage d’informations sur l’évènement, le programme complet ainsi que pour télécharger les bordereaux d’inscription, rendez-vous sur le site internet de la ville d’Ajaccio
http://www.ajaccio.fr/Sittimana-di-a-lingua-in-Aiacciu-da-u-1u-sin-a-u-10-di-ghjugnu-di-u-2013_a1893.html