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Rencontre avec Dominique Maestrati autour de son documentaire choc « Par la grâce du Diable »


Laurent Hérin le Vendredi 11 Septembre 2020 à 11:52

« Par la grâce du Diable » est le nouveau documentaire du réalisateur Dominique Maestrati. Le sujet : comment une famille de nains juifs originaires de Roumanie a survécu aux camps de la mort grâce à l’intérêt que leur portait le docteur Joseph Mengele. Ce documentaire, qui vient d’être sélectionné pour le prochain Festival Arte Mare, sera également diffusé ce week-end à Ajaccio, suivi d’une masterclass avec le réalisateur. CNI l’a rencontré pour l’occasion.



Dominique Maestrati : « Je suis un artisan, je travaille dans mon coin » © LH
Dominique Maestrati : « Je suis un artisan, je travaille dans mon coin » © LH
Dominique Maestrati commence dès 1982 en tant qu’assistant réalisateur sur des courts métrages de réalisateurs corses. Il rejoint rapidement l’associu Sinemasocci très engagée dans le 7e art et l’audiovisuel en Corse. En 1986, il réalise son premier court métrage U Catalorzu, qui apparaîtra dans les sélections du Festival Huesca à Bastia, et sera diffusé sur France 3 Corse. Suivront de nombreuses réalisations de courts métrages et documentaires à travers le monde – Guyane, Roumanie, Slovénie, Italie, Tchéquie, Autriche, Guadeloupe, Pologne, Israël, etc. – souvent diffusées sur France 3 Corse Via Stella.
 
- Comment avez-vous découvert ce sujet ?
- Dominique Maestrati : Un peu par hasard, j’avoue. Il y a 7 ans, j’étais en Roumanie et, en feuilletant une revue de médecine naturelle je tombe sur une double page qui raconte l’histoire de la famille Ovitz. Le sujet m’intrigue et je commence à me renseigner, persuadé que quelqu’un, quelque part l’a déjà traité. Mais non ! Pas sous forme de documentaire en tout cas.
 
- D’où votre intérêt ?
- Vous vous rendez compte ! L’histoire d’une famille toute entière, dont la plupart des membres sont des nains, qui échappe miraculeusement aux camps de la mort. Une foule de question m’est immédiatement venue à l'esprit. J’ai, alors, poursuivi mes recherches, fais des investigations, même si je n’avais pas encore l’idée d’en faire un documentaire…
 
- … Alors comment vous est venue l’idée du film ?
- En rassemblant des archives, dont le livre "Nous étions des Géants : L'incroyable survie d'une famille juive de lilliputiens" par Yehuda Koren et Eilat Negev, je suis tombé sur une photo incroyable. Elle date de 1943, de leur arrivée dans le camp d’Auswitch. Alors qu’ils viennent d’être déportés, qu’ils ont tout abandonné, leurs biens, leurs métiers, leurs amis, leur vie quoi ! Sans parler du fait qu’ils sont juifs, roumains et nains, on les voit marcher tranquillement dans le camp, presque le sourire au lèvre. Il y a comme un mépris du « gendarme », ils ne semblent pas avoir peur. C’est cette pulsion de vie, plus forte que la pulsion de mort symbolisée par les soldats nazis qui les encadrent, qui m’a donné envie de faire le film. Je ne pouvais pas laisser passer un tel sujet.
 
- Vous vous lancez alors dans la réalisation ?
- Difficile au départ ! Je propose le sujet mais personne n’en veut. Aucune télévision ne souhaite s’engager, je n’ai pas de soutien. Finalement, j’obtiens l’aide de la Collectivité de Corse et j’investis aussi mon argent personnel pour boucler le budget. Je crois tellement à ce projet ! Je commence à tourner en Roumanie, en Israël et à Auswitch. J’attaque aussi les entretiens. Au final, j’ai mis presque 7 ans à faire ce film. J’ai continué à chercher et à rassembler de la documentation : livres, revues, images, entretiens vidéo dont celui de Perla, la plus jeune sœur de la famille. Un entretien déterminant…
 
- Pourquoi ?
- Cette interview télé date de la fin de sa vie. Elle est la seule survivante de la famille. On sent que l’entretien n’est pas bien préparé, pas très bien filmé, mais elle dit une phrase importante à l’annonce du décès de Mengele : « J’ai pleuré toute une nuit en apprenant sa mort ». Son bourreau ! L’homme qui l’a torturée, qui a fait des expériences sur elle et sur sa famille, elle pleure sa mort ! C’est fou ! Je m’interroge… Comment un tel homme a pu exister ? Mengele était un monstre et, à la fois, un homme raffiné avec tous les codes de la bourgeoisie de l’époque. Un séducteur. Il avait créé une inquiétante intimité avec cette famille. Pour preuve, Shimshon, le plus jeune frère des Ovitz, a fini par l’appeler "papa". Ils étaient aliénés par le personnage qui faisait toute sorte d’expérience sur eux et qui, dans le même temps, leur a sauvé la vie.
                                                  
- C’est ce qui vous a intéressé ?
- Mais toute l’histoire est incroyable ! Il ne faut pas oublier qu’au départ, les Ovitz sont des amuseurs. Leur père, également nain, est rabin. Ils montent leur troupe de spectacle, "les Lilliput", et ils tournent en Roumanie et dans les pays de l’Est. Une vie qu’ils reprendront d’ailleurs à Haïfa, en Israël, après la guerre. C’est une des seules familles déportées à Auswitch sans avoir perdu un seul des siens. Mengele surnommé « l’ange de la mort » les a protégés jusqu’à leur départ. Ils ont essayé de revenir dans leur village, en Roumanie, mais tous leurs biens avaient été confisqués, et l’antisémitisme était encore très présent.
 
- Vous êtes-vous rendu sur place ?
- Oui, en Roumanie, mais aussi en Pologne. Ce n’est pas dans le film, mais il y a cette anecdote incroyable. Un jour que je faisais des repérages à Auschwitz, je vois une femme, dans une voiturette, qui guide des touristes américains. J’apprends qu’elle est une rescapée et qu’elle vient de la même région que les Ovitz. Je demande donc à son fils si je peux l’interroger. Ma première question porte sur la famille des nains, je reçois une fin de non-recevoir ! Elle ne veut pas en parler. Quelques minutes plus tôt, elle expliquait aux Américains, qu’elle accompagnait, qu’il était important « de pardonner à ses bourreaux. » Voilà une femme qui est prête à pardonner à ses bourreaux, mais pas à une famille rescapée comme elle des camps de la mort ! C’est l’affect qui se joue là, pas la raison. On comprend la jalousie et le mépris que devaient subir les Ovitz à cause des privilèges que leur accordait Mengele. Mais ils n’avaient rien demandé…
 
- Des privilèges et…des gens pas comme les autres ?
- « Les gens jouissent de l’anormal » explique un des protagonistes du documentaire pour expliquer l’attraction malsaine que peuvent représenter les nains. Il y a tout un fantasme autour des gens de petite taille. Surtout à cette époque ! Un mélange à la fois de fascination et de malaise. Le nain est un personnage de la nuit, pas loin des « monstres ». Alors, imaginez : ils arrivent à Auswitch, ils sont sept comme dans le conte de Grimm, juifs et roumains. Et c’est finalement cette « infirmité » qui leur permet de survivre. Ils ont réussi à faire de leur faiblesse une force.
 
Alternant les face caméra avec l’avis de spécialistes et les images d’archive, Dominique Maestrati excelle à dresser le destin si particulier de cette famille Ovitz. Parmi ces documents, l’entretien avec Perla, la survivante (lire plus haut), dont le réalisateur retient une phrase qui résume parfaitement cette incroyable histoire : « Je regrettais que Mengele ne soit pas présent à son procès. Je voulais le voir assis là jour et nuit […] Mais si les juges m’avaient demandé s’il fallait le pendre… je l’aurais laissé partir. J’ai été sauvée par la grâce du Diable. Dieu le jugera à sa mesure… »


Partage d’expérience avec Dominique Maestrati​

Les Nuits Med propose une master class « PARTAGE D’EXPÉRIENCE » avec Dominique Maestrati autour de son film « Par la grâce du diable »  
vendredi 11 et samedi 12 septembre à partir de 14h30 au Musée Marc Petit d'Ajaccio (port du masque obligatoire)

KVA diffusion, responsable du dispositif Talents en court* pour le territoire corse, ses partenaires et les acteurs concernés par le 7e art de Corse et du Mare Nostrum proposent une session « Partage d’expérience » les vendredi 11 et samedi 12 septembre à Ajaccio. Elle aura lieu au Musée MARC PETIT sous forme d’une Master classe ouverte dans le cadre du salon international Corsica Art Fair organisé par Stéphanie Girard. Le réalisateur Dominique Maestrati contribuera par son témoignage au partage de son expérience à la suite de la projection de son documentaire Par la grâce du diable.
 
En collaboration avec la Cullettività di Corsica et le CNCle dispositif Talents en Court favorise en Corse la création, et l’émergence de nouveaux talents par l’accompagnement de jeunes cinéastes insulaires dans le processus d’élaboration d’un court-métrage. Ce dispositif tend à se développer grâce à la création d’un pôle itinérant méditerranéen.