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Bucarest : Un Sommet de crise et une déclaration pour refonder l’Union européenne


Nicole Mari le Samedi 16 Mars 2019 à 21:00

Plus de 700 dirigeants nationaux, régionaux et locaux des 27 États membres de l’Union européenne (UE) se sont réunis les 14 et 15 mars à Bucarest en Roumanie dans le cadre du 8ème Sommet européen des régions et des villes, un événement co-organisé par le CdR (Comité des régions) et la présidence roumaine de l'UE. Parmi les élus, deux conseillères exécutives corses, Nanette Maupertuis, membre du CdR et Lauda Guidicelli qui faisait partie des 150 jeunes responsables politiques locaux invités pour contribuer au débat sur l’avenir de l’Europe. Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, qui devait intervenir lors du Sommet, a du annuler sa visite. Cette réunion de crise sur fond de Brexit imminent, à 10 semaines de l’élection européenne, a abouti sur une déclaration solennelle pour refonder l’Union européenne et la rapprocher des citoyens.



La déclaration de Bucarest remise par le président du Comité européen au président de la Roumanie qui préside l'Europe jusqu'en juin.
La déclaration de Bucarest remise par le président du Comité européen au président de la Roumanie qui préside l'Europe jusqu'en juin.
C’est dans l’immense palais du Parlement de Bucarest, le second plus grand édifice administratif du monde après le Pentagone, que s’est tenu le 8ème Sommet européen des régions et des villes, organisé par le Comité européen des régions qui fête, cette année, ses 25 ans d’existence. Un anniversaire d’une teneur et d’une gravité inhabituelles dans un contexte de crise et à un moment crucial de l’avenir de l’UE. Le Royaume-Uni s’est, de nouveau, prononcé contre l’accord final négocié par son Premier ministre sur le Brexit. A 15 jours de l’échéance, l’espoir résiste, personne, ici, ne veut d’une sortie sans accord. « Nous avons commis des erreurs. Il faut tirer les leçons du Brexit », a martelé le négociateur en chef, Michel Barnier. L’incertitude continue de peser sur les négociations concernant le budget de l’UE post-2020. Dans le même temps, les populismes eurosceptiques prospèrent partout, sapant les bases même du projet européen. Les élections de mai ne peuvent pas tomber plus mal, tout le monde à Bucarest en est conscient. L’atmosphère est fébrile, l’inquiétude forte, la crainte sourd dans les discours officiels comme dans les discussions de couloir.
 
Désamour et méfiance
Pourtant dans ce colossal temple du peuple érigé par l’ancien dictateur Ceausescu, les participants peuvent mesurer le chemin parcouru. « L’Europe est une réussite. Les gens, à tort ou à raison, ne sont pas convaincus de ce que l’Europe fait pour eux. C’est à nous de le leur dire », estime avec conviction Karl-Heinz Lambertz, président du Comité européen des régions. Vasilica Viorica Dàncilà, le premier ministre de la Roumanie, qui préside l’UE jusqu’en juin, lance un message d’alerte : « Il faut reconstruire une Europe qui ne laisse personne de côté, aucun citoyen, aucune région, même la plus reculée. Il faut à tous prix éviter la fragmentation, et pour cela, construire des ponts entre toutes les communautés ». Refonder l’Union européenne est d’ailleurs le thème central de cette session. Et il y a urgence. Une étude, réalisée auprès de 40 000 citoyens dans 110 régions et 156 villes, met en lumière le désamour des populations. Trop distante, trop bureaucratique, trop peu réactive face aux nouveaux défis, l’Europe ne fait plus rêver, le fossé se creuse avec les citoyens. « Ces dernières années, le soutien à l’UE a faibli. La lassitude générale et le sentiment de malaise vis-à-vis des politiques menées au niveau national se traduisent par une méfiance accrue qui, par association, discrédite l’Union », conclut l’étude.

Nanette Maupertuis et Lauda Guidicelli.
Nanette Maupertuis et Lauda Guidicelli.
Reconnecter la jeunesse
C’est pourquoi près de 150 jeunes responsables politiques locaux et régionaux ont été invités à Bucarest pour contribuer au débat sur l’avenir de l’Europe, apporter leurs idées sur la façon dont l’Union doit nouer le dialogue avec la jeunesse, et sur les mesures à prendre pour renforcer la participation à la politique européenne. « Nous avons décidé en Saxe de nous concentrer sur la jeune génération en créant des forums dans les lycées et universités et en invitant des élus européens sympas à y venir dialoguer. Le but est de faire comprendre à la jeunesse que nous avons parcouru un long chemin et qu’il est important d’être dans une Europe sans frontières et de travailler tous ensemble. Nous leur demandons d’imaginer ce qui se passerait si l’Europe s’effondrait, s’il n’y avait pas, par exemple, de programme Galilée qui est essentiel pour la circulation européenne, de législation sur la propriété intellectuelle, d’une stratégie commune de lutte contre le changement climatique… Dans l’optique des élections, nous essayons de motiver les jeunes en leur montrant tout ce que fait l’UE au niveau de la formation, de l’accès au marché du travail… », explique l’Allemand Heinz Lehman, membre du parlement de Saxe et du CdR.

Des dialogues citoyens
Plus globalement, l’idée est d’organiser des cycles de dialogues citoyens dans les régions pour lutter contre l’eurospecticisme. « L’Autriche délirait d’enthousiasme lors de son adhésion à l’UE. Les relations se sont refroidies depuis. Pour que les gens continuent de se sentir concernés par l’UE, il faut que l’Europe s’intéresse à leur quotidien, qu’elle s’adapte à la réalité d’aujourd’hui. Il faut les intégrer dans la définition des stratégies de développement », plaide l’Autrichienne Bettina Vollath, présidente du Conseil régional de Styria. L’étude montre que les trois principales inquiétudes des citoyens européens sont dans l’ordre : la santé, l’emploi et le changement climatique. « Nous allons, dans ma région, consulter les citoyens pour savoir comment ils voient l’avenir de la Pologne au sein de l’UE. Les entrepreneurs, par exemple, sont très critiques envers les politiques et les procédures européennes qu’ils jugent trop compliquées. Il faut créer la confiance, mais la confiance nait quand on est entendu. Dans un monde globalisé, qui vit aujourd’hui une fracture numérique et climatique proche de la révolution industrielle, les citoyens n’ont plus de vision de l’Europe, ils ne voient pas comment l’Europe peut les aider à régler leurs problèmes. Pour que l’Europe reste viable, elle doit donner de l’espoir, ce n’est qu’à ce prix-là que les Européens retrouveront l’enthousiasme », déclare la Polonaise Elzbita Anna Polak, maire de Lubuskie.

La déclaration de Bucarest
C’est pourquoi à 73 jours du scrutin européen, le Sommet des régions et villes s’est conclu sur l’adoption solennelle d’une déclaration des dirigeants locaux et régionaux intitulée « Construire l’Union européenne à partir du terrain avec nos régions et nos villes ». Ce plaidoyer en dix points promeut le renforcement de la démocratie locale et régionale, une plus grande décentralisation et répartition des compétences, la création de canaux de participation démocratique, le lancement d’un système permanent de consultations des citoyens ainsi qu’une subsidiarité plus active, indispensable pour que les décisions soient prises au plus près possible des citoyens et refléter la valeur ajoutée européenne. Il appelle, également, à ancrer l’action au niveau local pour faire, du développement durable, le modèle économique à long terme, et à œuvrer à la résolution des disparités économiques, sociales et territoriales persistantes qui reste un défi majeur pour l’avenir de l’Union. « Dans cette perspective, la coordination des initiatives locales par la coopération interrégionale apparaît comme une absolue nécessité. J’ai rappelé, lors de ce Sommet, la forte valeur ajoutée européenne des programmes de type INTERREG et salué, par ailleurs, l’initiative RegHub, un réseau de pôles régionaux coordonné par le Comité des Régions pour relayer plus efficacement l’expérience des collectivités locales et régionales en matière de mise en œuvre de la politique de l’UE », commente Nanette Maupertuis, membre du Conseil exécutif de Corse et du Comité des régions.
 
Le Sommet du renouveau
La déclaration a été officiellement remise en mains propres au président de la Roumanie, Klaus Iohannis, présent à cette session de clôture, afin qu’il la transmette aux dirigeants des institutions européennes et des chefs d’État et de gouvernement qui se réuniront le 9 mai à Sibiu, en Roumanie, pour discuter de l’avenir de l’UE. Ce Sommet du renouveau a été voulu par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour repenser l’avenir de l’UE, définir l’agenda politique et la direction à emprunter. « L’UE a un déficit de crédibilité qui ne peut être comblé que par les citoyens. Les institutions sont vues comme des structures abstraites avec des règles très compliquées. Nous devons nous concentrer sur un souci : la participation des citoyens dans le  processus de décision, combler le fossé entre les citoyens et Bruxelles avec des objectifs concrets, notamment réduire les inégalités de niveau de vie… Nous voulons adopter à Sibiu un nouveau pacte pour l’avenir qui doit être un pacte d’unité. Notre avenir commun doit se déployer sur une UE forte et reposer sur la cohésion et un socle stable de valeurs communes », affirme le président roumain qui lance un appel pour renforcer la cohésion. Si le Sommet de Bucarest est loin d’avoir lever les incertitudes, il a permis, néanmoins, de tracer un chemin, de rappeler à Bruxelles un postulat essentiel : l’UE a été créée pour écouter les citoyens et les aider, non l’inverse ! A Sibiu, les dirigeants européens sauront-ils, enfin, en tenir compte ?
 
N.M.