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Transports : L’Assemblée de Corse valide la révision de la desserte aérienne, malgré l’incertitude financière


Nicole Mari le Jeudi 27 Avril 2023 à 20:44

L’Assemblée de Corse a validé, jeudi après-midi, à l’unanimité des votants, le cahier des charges de la Délégation de service public (DSP) aérienne pour la période 2024-2027 sur la desserte des aéroports de Paris Orly, Marseille et Nice au départ d'Aiacciu, Bastia, Calvi et Figari. Le maintien du périmètre du service public et du tarif résident, l’augmentation de l’offre en sièges et la garantie d’un aller-retour dans la journée sur les quatre aéroports ont été accueillis favorablement. L’opposition a néanmoins pointé l’incertitude financière, le risque d’un crash et la nécessité d’inventer un nouveau modèle de transports.



Photo CNI.
Photo CNI.
C’est un regard « bienveillant » que l’Assemblée de Corse a posé, dans son ensemble, jeudi après-midi, sur le dossier compliqué de la desserte aérienne de l’île. Au programme, la révision des Obligations de service public (OSP) sur les liaisons entre, d'une part, les aéroports de Paris Orly, Marseille et Nice, et d'autre part, les aéroports d'Aiacciu, Bastia, Calvi et Figari, et l’approbation du principe de Délégation de service public (DSP) sur la période du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2027. Il faut dire que l’Exécutif avait pris soin de bien construire en amont avec les élus et les acteurs économiques des territoires, un cahier des charges qui prenne en compte, selon ses propres termes, « un périmètre de service public correspondant aux besoins de la Corse et des Corses, un service efficace et de qualité, un coût maîtrisé, un système économiquement et socialement vertueux, et l’intégration des enjeux de transition écologique et de développement durable pour la Corse ». Et le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, avait pris son bâton de pèlerin pour expliquer, en Balagne et dans l’Extrême-Sud - les deux régions touristiques dont les demandes en la matière sont les plus fortes – les problématiques et la voilure retenue. « Bien que le système de transport aérien de la Corse ait subi de nombreuses contraintes ces dernières années - remise en cause du principe même d'un service public à l’année et du modèle aéroportuaire, crise Covid, réforme des Chambre de commerce, hausse drastique du coût des carburants, instauration d’une lourde fiscalité écologique… - la Corse et son système de transport ont su se montrer particulièrement résilients. Et ont réussi à procéder à des investissements dans les infrastructures qui ont vocation à être poursuivis dans les prochaines années, en harmonie avec le développement politique de l’île », pose d’emblée la Présidente de l’Office des Transports de la Corse (OTC), Flora Mattei.

Flora Mattei. Photo Michel Luccioni.
Flora Mattei. Photo Michel Luccioni.
Un service public garanti
La nouvelle DSP s’articule autour de quatre principes  : le quasi-maintien du tarif « résident » avec une augmentation limitée de 5 € sur le bord à bord et de 10 € sur Paris. « Des tarifs sans équivalent en Europe », assure Flora Mattei. Elle se félicite du maintien du périmètre du service public sur Orly -  « Nous devons nous battre pour maintenir ce que les Corses considèrent comme acquis » - et de l’augmentation de l’offre de 91 040 sièges « répartis équitablement en fonction des besoins des aéroports. Une offre renforcée en week-end et en hiver, depuis les quatre aéroports et vers les trois destinations, pour tenir compte à titre principal des besoins des résidents. Une garantie en termes d’amplitude permet aux résidents de faire un aller-retour dans la journée à partir des quatre aéroports vers les trois aéroports du continent, et ce à toute période de l’année. Une offre renforcée dans les aéroports de Calvi-Santa Catalina et de Figari Sud Corse et des possibilités d’ajustement de l’offre par anticipation des périodes de saturation ». Les futurs délégataires sont invités à « développer une politique commerciale audacieuse et agile, adaptée aux besoins et attentes de la Corse », notamment des tarifs préférentiels pour la diaspora. « En Sardaigne, ils sont 1,6 million habitants, nous sommes 350 000, et ils n’ont que 10% de plus d’offre d’OSP dans l’aérien. C’est dire la qualité du périmètre du service public que nous proposons à des tarifications que nous garantissons sur quatre ans dans le contexte inflationniste que nous connaissons ! », se réjouit Flora Mattei. Une voilure au final bien plus importante que celle que laissait espérer la flambée des coûts, notamment du carburant, mais l’équilibre budgétaire, qui en découle, exige de négocier une augmentation de la dotation de continuité territoriale.
 

Paul Quastana. Photo Michel Luccioni.
Paul Quastana. Photo Michel Luccioni.
Une impasse financière
Et c’est là que le bât blesse pour l’opposition ! Sa bienveillance n’exclut ni les critiques, ni les inquiétudes. C’est Paul Quastana, élu de Core In Fronte qui ouvre le débat sur cette délicate équation financière. « L’enveloppe budgétaire de 187 millions € pour le service public aérien et maritime est toujours figée depuis 14 ans. Si on l’abondait sur le coût de la vie, hors inflation, elle augmenterait de 40 millions € par an. Si on rajoute le coût du carburant et les contraintes environnementales, la rallonge exceptionnelle de l’Etat de 33 millions € va péniblement compenser ces augmentations. On ne va pas tenir longtemps ! Si on n’obtient pas cette rallonge par indexation, on va se retrouver en défaut de paiement. Comment fait-on pour sortir de cette impasse financière ? ». S’il reconnait que le canevas de la DSP est « en progrès et dans la continuité de l’existant », Paul-Félix Benedetti s’inquiète, dans le même ordre d’idées, de l’augmentation des sièges. « Va-t-on les remplir ? Cette offre nouvelle induit des coûts nouveaux. Le cahier des charges n’impose pas une flotte, mais un quota annuel, donc un surcoût inéluctable. Quel est son impact ? ». Et interroge « Quand va-t-on avoir un débat stratégique sur l’avion et la Corse pour avoir des liaisons établies, fermes pour aller en Italie, en Espagne ? Pas des vols charters de temps en temps pour faire du tourisme, mais des vols économiques stabilisés ! Problème aussi de la dualité des offres, Air Corsica – Air France, on ne peut pas continuer ainsi ». Avant de demander à l’Exécutif de prendre l’engagement de ne plus augmenter les tarifs. « L’étalement de la saison dépend exclusivement du prix de la desserte. On ne peut pas faire confiance aux transporteurs aériens opportunistes pour nous donner une stabilité de flux en termes de tourisme ».
 
Des voyants au rouge
La droite, par la voix de Jean-Michel Savelli, emboîte le pas sur le volet financier. S’il commence, lui aussi, par saluer les points positifs, les efforts faits pour l’aéroport de Figari, il interroge : « Peut-on assurer ces nouvelles rotations à flotte constante ? Quel sera l’impact pour notre compagnie ? La Collectivité aura-t-elle les moyens de ses ambitions ? Pourra-t-elle mener deux DSP aérienne et maritime de front au regard des coûts ? Depuis 2021, on a crevé le plafond qui nous était alloué. On ne fait plus de reliquat. On prévoit 7 millions € de coûts supplémentaires et 22 millions € en 2027. La situation budgétaire est préoccupante et va continuer à se dégrader ». Il cherche des pistes de rentabilité « C’est compliqué ! Sur Paris, on est sur des œufs ! Sur cinq mois de l’année, la desserte d’Easy Jet pose problème avec un risque de distorsion de concurrence. Les low costs bouffent la DSP. La part de marché d’Air Corsica a diminué de 72% à 48 % ». Pour lui, « les voyants sont au rouge sur un dossier stratégique. Les 30 millions € de l’Etat ne seront pas suffisants. C’est un véritable dérapage ! Notre système de desserte aérienne, figé depuis sa création, est à bout de souffle, voir déficitaire. Il appartient d’inventer un nouveau modèle à moyen terme ». Et de lancer à l’Exécutif « Avez-vous imaginé un plan B si ces 30 millions € ne sont pas accordés ? ». Sa collègue, Christelle Combette, estime que la nouvelle DSP « ne fait que reproduire le modèle en place » et tacle le rééquilibrage de l’offre entre les territoires : « Je préfère le terme équité. La vraie nouveauté est d’effectuer un aller-retour dans la journée dans les aéroports : c’est très favorable, mais il faut en évaluer le coût ». Concernant l’augmentation du tarif résident, elle propose de « la neutraliser par voie d’amendement ».

Josepha Giacometti et Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Josepha Giacometti et Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Le choix de la réalité
Si elle se fait également l’écho de l’inquiétude générale sur le financement, Vanina Borromei, pour le groupe PNC - Avanzemu, salue « la continuité avec la mandature précédente dans la volonté - c’est heureux ! - de défendre le périmètre du service public. Nous savons à quel point c’est un combat vis-à-vis de l’Europe. Rien n’est acquis ! C’est un enjeu de chaque instant pour les usagers ». Elle se félicite également d’une « certaine continuité en faveur des usagers au niveau des choix sur les aéroports secondaires. Vous avez entendu la réelle attente des usagers sur des allers-retours quotidiens. Tout cela dans une enveloppe figée et contrainte avec à notre charge et à celle des compagnies délégataires la fiscalité de la loi Résilience et le coût du carburant ». Elle prend bonne note des investissements sur les infrastructures, notamment pour l’aéroport de Figari ou pour les vols de nuit à Calvi. C’est au final un vrai satisfecit que l’ex-présidente de l’OTC adresse à l’Exécutif : « Une desserte préservée, une offre capacitaire augmentée, vous faites le choix de la réalité du service public et du tarif résident. Il était difficile de maintenir la baisse historique. Il y a un travail à faire et une négociation à avoir sur l’augmentation systématique des taxes, il y a plus de taxes dans le prix du billet que le tarif de base que nous proposons. La couverture carburant évite de subir les fluctuations de marché, c’est rassurant dans le contexte actuel. Autre élément important : la mise en place des comités de suivi opérationnel qui sont un véritable outil d’aide à la décision et donnent la capacité de réagir immédiatement ».
 
Un manque d’ambition
 Le ton est nettement moins positif chez l’élue de Corsica Libera. Josepha Giacometti tacle « le manque d’ambition et de vision économique » de l’Exécutif : « Quand il y a des contraintes, on essaye d’être encore plus ambitieux. Or j’ai le sentiment qu’on essaye de répondre uniquement aux contraintes. Sur la question du coût, c’est déjà pari perdu ! Combien même vous obtiendriez un rattrapage historique, ce serait insuffisant ! Il faut sortir des liens de dépendance en pensant des marges nouvelles, ça pêche encore ! En 2018, nous avions décidé de rompre avec cette vision franco-française et de remettre notre stratégie de transport dans son axe méditerranéen. J’espère être démentie sur mon sentiment que vous avez déjà renoncer ».
 
Des avancées majeures
La majorité territoriale monte au créneau pour défendre, par la voix de Sandra Marchetti, « des OSP qui présentent des avancées majeures et concrètes pour la mobilité des résidents corses ». Elle insiste sur l’augmentation de l’offre des sièges, « ça ne passe pas inaperçu, tout comme l’ajustement des amplitudes horaires qui permet de faire l’aller-retour dans la journée ou de transiter vers de nombreuses autres destinations, cela change la donne ! Surtout lorsqu’on se déplace pour motif de santé ou professionnel ! ». Hyacinthe Vanni souligne la méthode mise en place : « On a adapté notre offre, pas à une enveloppe financière, comme c’était le cas avant, mais aux besoins des territoires. On a pris en compte les besoins qui ne sont pas les mêmes dans tous les territoires. Ça n’a jamais été fait avant ! L’attente était importante. Si on l’a fait, c’est pour les Corses ! C’est un engagement politique fort ! ». Il revient sur le tarif diaspora « très attendu et demandé. Ce n’est pas pour ceux qui ont acheté une résidence secondaire, qui veulent profiter de la manne, mais pour ceux qui ont des liens familiaux très forts avec la Corse ». La présidente de l’Assemblée de Corse rappelle que « la maitrise des transports maritimes et aériens est stratégique pour toute île. Beaucoup d’îles nous envient notre système. Je sais bien que l’on considère toujours que l’herbe est plus verte ailleurs, mais chez nous peut-être le ciel est plus bleu. C’est important de dire que ce cahier des charges correspond bien aux besoins des insulaires ».

Gilles Simeoni et Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni et Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Une équation complexe
L’Exécutif est bien conscient qu’il lui faudra trouver des financements. « Le Plan B est de négocier de ne pas payer les carburants comme les DOM-TOM », répond Flora Mattei à la droite. « Nous sommes face à une équation extrêmement complexe dont un certain nombre de termes nous échappent totalement et dont les autres ne dépendent qu’en partie de nos décisions », prévient Gilles Simeoni. « Au-delà de notre capacité à apporter des réponses satisfaisantes dans le domaine des transports, de les maîtriser le plus largement possible, il y a bien sûr notre philosophie du développement économique et social, la transcription dans l’espace méditerranéen et notre volonté de faire de la Corse un espace ouvert sur le monde et qui répond aux besoins de ses habitants ». L’équation budgétaire est sans équivoque : « Est-ce que nous devons configurer notre cahier des charges aux besoins de la Corse et des Corses ? Oui, c’est notre boussole ! Le cœur de ce cahier des charges est le résident corse. Est-ce que nous avons aujourd’hui à travers la dotation de continuité territoriale, les moyens de financer ces besoins ? La réponse est non. Nous le disons très clairement. C’est un problème de fond. Tous les prix augmentent. Entre 2024 et 2029, la fiscalité écologique, qui n’existait pas avant, se montera à 57 millions €. Le coût du carburant a augmenté de 50 %, c’est-à-dire 23 millions €. L’Etat ne peut pas continuer à nous demander d’assurer le même service public, qui est un droit, en n’indexant pas l’enveloppe de continuité territoriale ». Le président de l'Exécutif interpelle les élus : « Si on n’arrive pas à gagner le combat de la fiscalité écologique et de la réévaluation réelle qui nous revient de droit, la seule chose, qui nous restera, c’est de réduire la voilure. Il y aura moins de vols, moins d’emplois, moins d’aéroports ouverts, moins d’investissements ! Ce n’est pas ce qu’on veut faire. Nous voulons configurer nos moyens d’intervention par rapport aux besoins de la Corse. C’est bien cela l’équation qu’il va falloir résoudre ensemble. Alors, allons vers ce combat uni, c’est le meilleur moyen de le gagner ».
 
Un vote favorable
La droite propose un amendement visant à moduler la taxe de transport en fonction des saisons, « de la laisser à son taux maximal l’été et de l’annuler l’hiver pour favoriser l’attractivité du territoire en dehors des pics de saison. Il s’agit de l’utiliser intelligemment avec un manque à gagner de 9 millions € », reconnait Christelle Combette. « Ce qui est très gênant dans une taxe, c’est qu’elle est figée », argumente Jean-Michel Savelli. « On ne peut pas amputer nos recettes qui serviront à combler le déficit. Il faut être raisonnable », réagit Paul-Félix Benedetti. Le leader indépendantiste résume l’opinion nationaliste qui estime l’amendement inapproprié dans le contexte budgétaire. Réserve également du PNC-Avanzemu qui, s’il n’est pas opposé au principe, propose une réflexion globale sur la composition du prix du billet. L’amendement est rejeté. Concernant le rapport, la droite, et ce n’est pas coutume, annonce qu’elle scinde ses voix. Malgré « un regret, des inquiétudes écologiques avec l’augmentation du coût carbone, et un élément de satisfaction, la droite manifestera une abstention de type bienveillante. Les élus de l’Extrême-Sud et de la Balagne voteront pour ce dossier. On oscille entre favorable et très favorable », indique Jean-Martin Mondoloni. A l’exception de Josépha Giacometti, tous les groupes nationalistes votent le rapport, « mais ça ne vaut pas quitus de votre politique des transports dont nous continuons de penser, dans le sillage de notre vote défavorable concernant la DSP maritime, qu’elle n’est pas, à ce stade, adaptée aux enjeux de notre île », souligne Jean-Christophe Angelini. « En aviation, le décollage est plus facile que l’atterrissage. On va essayer de vous aider, mais j’ai peur d’un crash à la fin. Notre position est calée sur l’intérêt d’un pays. Il faut accompagner la démarche forte en pensant aussi aux mille salariés corses directs du secteur. Vous cherchez au moins 30 millions €. L’exercice de négociation sera très difficile. Je n’ai pas l’impression que nous avons en face de nous un Etat nourricier qui veut nous allaiter, il tente surtout de nous sevrer. C’est à nous de nous en détacher au plus vite ! », conclut Paul-Félix Benedetti. Le rapport est adopté par 47 voix pour et 13 abstentions.
 
N.M.