Corse Net Infos - Pure player corse

Tittaghji en colère : "si on continue comme ça, on n’aura plus ni couvreurs ni "teghje'" sur les toits"


le Dimanche 20 Avril 2025 à 11:30

Face à l’importation croissante de pierres de couverture utilisées à place de la lauze corse - e teghje -, les couvreurs traditionnels – i tittaghji – montent, une fois encore, au créneau. Selon eux, la filière locale pourrait encore vivre, pour peu qu’on lui en donne les moyens et pour sauver tout à la fois un savoir-faire ancestral et un produit comme " a teghja", qui fait partie du patrimoine de l'Île.



Un toit en lauzes de Ville-di-Pietrabugnu : la pierre du pays était obligatoire il y a quelques années…
Un toit en lauzes de Ville-di-Pietrabugnu : la pierre du pays était obligatoire il y a quelques années…
« Ce n’est pas de la lauze ! » s’emporte Michel qui a toute une vie de tittaghju derrière lui en travaillant comme il peut cette pierre qui n'a rien à voir avec " teghje" traditionnelles qu'il va poser dans le centre de la Corse. Comme lui, ils sont, encore, une poignée à travers l’île à perpétuer l’art ancien de la couverture en pierre – un savoir-faire hérité des tittaghji d'hier. Et une même poignée qui désespère de revoir un jour des pierres corses sur les toits de l'île.
Normal dès lors que leur colère gronde : sur de nombreux chantiers, ce ne sont plus des dalles extraites dans les montagnes insulaires qui couvrent les toits, mais des pierres importées d'ailleurs et parfois même de… Chine, façonnées pour imiter la fameuse lauze du pays.

Ce recours massif à l’importation interroge. « On parle de circuits courts, de respect de l’environnement, de préservation des savoir-faire… et on fait venir des palettes de dalles en bateau depuis l’autre bout du monde ! » déplorent les Tittaghji. "Ce transport maritime alourdit le bilan carbone, tandis que la pierre extraite ailleurs ne respecte ni les nuances ni la résistance des matériaux insulaires."


Pourtant, selon les professionnels, des carrières existent encore en Corse. Si elles ne sont plus exploitées de façon industrielle, c’est moins par épuisement des ressources que par manque de volonté politique et d'encadrement administratif. « Il est tout à fait possible de rouvrir certaines zones dans le respect des règles environnementales. Il faut juste que les services de l’État et les collectivités arrêtent de nous mettre des bâtons dans les roues », soutiennent Mighé et tous ceux  qui adhèrent à sa démarche.


 
Au-delà de la matière première, ce sont les gestes et les métiers qui disparaissent. Tailler une lauze, la poser selon la pente du toit, l’assujettir au vent sans clous ni ciment… Ce n’est pas un simple acte de construction, c’est une culture. Or, à force de privilégier les matériaux standardisés et les économies à court terme, ce patrimoine immatériel s’effrite.
« Les jeunes ne viennent plus. Pourquoi se former pendant des années à un métier qu’on méprise ? » interrogent les couvreurs traditionnels corses. Le constat est partagé par les centres de formation insulaires, où les filières de couverture traditionnelle peinent à attirer. Et pour cause : la majorité des marchés publics ou privés ne mentionne même plus la pierre corse, naguère obligatoire sur les permis de construire, dans les appels d’offres.

 
Les tittaghji ne réclament pas de subvention, mais de la cohérence. « Il faut que les architectes, les communes, les promoteurs jouent le jeu comme elles le faisaient encore il y a quelques années en arrière. Si on continue comme ça, dans dix ans, on n’aura plus ni couvreurs "ni teghje corse" sur les toits. » Plusieurs d’entre eux tentent bien aujourd'hui de taper à toutes les portes des élus pour exiger un plan de relance de la filière pierre locale, assorti d’un encadrement rigoureux et réaliste de l’extraction. Quelques-uns y travaillent. Les oppositions sont cependant nombreuses et fortes.
Le temps passe, mais rien ne bouge.
En attendant, sur les toits de l'île, qui aspirent à conserver leurs pierres nustrale,  i tittaghji continuent à tailler « à l’ancienne ». Ils savent que chaque toit couvert de leurs  mains est un peu de mémoire sauvegardée.
Mais pour combien de temps encore ?