- Quand remonte l’arrivée des premiers cédrats sur notre île ?
- Le cédrat serait arrivé en Corse au 1er siècle de notre ère. C’est ce qu’on dit… et c’est bien possible. Car les Romains l’auraient introduit sur tout le territoire méditerranéen. Il y en avait par exemple à Pompei. En fait, ce fruit n’est pas originaire de Méditerranée. Il vient d’Inde. On en trouvait déjà en Perse au 3ème siècle avant JC. C’est à ce moment qu’il a dû atteindre les rivages de la Méditerranée. A cette époque-là, il n’était pas consommé. On l’utilisait comme répulsif contre les mites vestimentaires. Et parce qu’il est très aromatique, il parfumait le linge. Il servait également de médicament, pour faciliter la digestion, réguler la vésicule biliaire ; également comme aseptisant ; et même comme antitussif, chez les Grecs, les Romains et les Arabes. Certains prétendaient que c’était un anti-poison… On a commencé à en consommer vers le 1er siècle de notre ère : Pline le Jeune indique que, du temps de son père, on ne les mangeait pas encore.
- Quand les Corses ont-ils vraiment commencé à l’exploiter ?
- Il faut faire un grand bon dans le temps ! Des écrits du XVe siècle mentionnent des agrumes comme la bigarade, le citron, qui ont été introduits plus tard, près de Bastia, Portivechju… également sur la côte occidentale. Mais le cédrat n’y est pas toujours indiqué. En revanche, c’est la première culture qui a été fortement déployée en Corse au XIXe siècle. Les premières plantations interviennent en 1835, surtout sur la côte ouest. Elles vont du Cap Corse – à Nonza où il est cultivé en terrasses – , au bassin ajaccien en passant par la Balagne et Porto.
- Quel a été le déclencheur ?
- Il y a eu une incitation à la plantation, parce qu’il y avait au début du XIXe siècle un vrai engouement autour de la confiserie : fruit confit, pâtisserie aux fruits... On le retrouve avec d’autres variétés fruitières. Mais le cédrat est celui qui est le plus adapté : avec sa peau épaisse, y compris la partie blanche (l’albédo), très ferme, très dense. Cela permet de garder la structure. C’est mon interprétation du choix de ce fruit. D’ailleurs, on supprime la pulpe pour ne confire que la peau…
- Les plantations étaient nombreuses ?
- A dater des années 1860, il y avait plus d’un millier d’hectares plantés sur l’île, répartis en petits jardins où l’on trouvait à la fois des arbres fruitiers et du maraîchage. Les années fastes, sans gel, la production pouvait s’élever à 6000 voire 8000 tonnes, selon les auteurs. C’est beaucoup pour une “culture de jardin”. On en trouvait aussi vers Aleria, à Tox où il était cultivé en terrasse – Tox était réputé pour ses cédrats. Sa culture s’est alors étendue sur toutes les zones côtières cultivables. Et au tournant du siècle, elle s’établit aussi en plaine, dans la zone de Figaretu.
- Quel a été l’impact économique du cédrat sur la Corse ?
- C’est une culture qui nécessitait pas mal de main-d’œuvre. C’est un arbre avec des épines : il fallait les tailler. Et puis dans le Cap, avec les embruns, on devait protéger les cédrats avec des haies de bruyère. Des usines de tissage qui existaient en Corse ont pratiquement disparu parce que les ouvriers préféraient travailler aux champs : ça rapportait plus. Alors oui, on peut dire que ça a eu un impact sur l’économie de l’île. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la production était essentiellement exportée parce qu’il n’y avait pas d’usine de transformation. Bastia en était la plaque tournante. Les fruits partaient pour Livourne et Marseille.
Les premières usines ont été montées à Bastia, avec la famille Mattei qui est vraiment une famille emblématique, même si elle n’était pas la seule. Il y avait alors trois ou quatre usines. Mattei, qui a créé la cédratine, la liqueur de cédrat, transformait environ 500 tonnes de cédrat vers 1900.
- Ça a duré longtemps ?
- Jusque dans les années vingt. On plantait encore beaucoup, à l’époque, dans la plaine orientale, vers le nord. En fait, la production était très fluctuante, parce qu’il y avait des hivers très rudes à l’époque. La récolte pouvait être réduite de moitié à cause du gel. Et puis il y a eu la crise de 1929. Les cours ont chuté… la dévaluation… la concurrence également de Malte, du sud de l’Italie… et les nouvelles plantations du Costa Rica qui ont bouleversé le marché international. Enfin, une baisse d’engouement pour les confiseries. On est passé assez rapidement à moins de 1000 tonnes. Et progressivement, les vergers ont été abandonnés. Aujourd’hui, on n’en compte plus qu’une dizaine d’hectares.
- Le marché international ?
- On acheminait des cédrats corses vers l’Europe du Nord. Et puis il y avait également les États-Unis : il y a eu un vrai engouement là-bas pour ce qu’ils appelaient “Citron of Commerce” ou “Corsican Citron”. A la fin du XIXe siècle, des plants de cédrats corses étaient acheminés jusqu’en Californie ! Quel périple ! Bateau, puis chemin de fer ou diligence…
- Parce que le cédrat corse est “spécial” ?
- Il a des particularités qui le distingue des autres variétés méditerranéennes : notamment sa pulpe douce ; ses fleurs entièrement blanches alors que la plupart des autres ont des pétales pourprés. Avec l’Université de Corse, nous avons étudié la composition de ses huiles essentielles, de la peau, des feuilles. Elle est spécifique. Génétiquement aussi… Les analyses ont permis de faire une hypothèse sur son origine : le cédrat corse serait issu de “poncire”, une variété italienne.
Autre spécificité : la façon dont on le cultive en Corse, sur ses propres racines, sans greffage. Cela fait qu’il peut être éligible pour la sélection de la fête juive des cabanes, qui commémore la fin des 40 ans d’errance du peuple juif dans le désert.
Car il faut dire que le cédrat est également un symbole religieux très fort dans la religion juive. Il fait partie des quatre espèces végétales indispensables à cette fête. Pour être utilisé, il doit être absolument parfait. Et le greffage est interdit. Le cahier des charges est très exigeant. Et les prix qu’atteignent ces fruits, sur le marché de New-York, notamment, est prodigieux ! Cette renommée internationale, pour le cédrat, c’est assez étonnant.
- D’autres découvertes sur ce fruit ? Des recherches particulières à l’INRAE ?
- Nous avons déterminé qu’il est le père d’autres fruits, comme le citron, la bergamote, ou la limonette de Marrakech, qui est utilisée dans le tajine de poulet. Et le grand-père du citron vert, le lime.
Et je dis bien “père”. Car dans la nature, le cédrat a toujours été le polinisateur : donc jamais “la mère” !
Et puis, avant moi, à la station INRAE de San Ghjulianu, Camille Jacquemond avait travaillé sur les porte-greffes les mieux adaptés…
- Le cédrat corse a-t-il un avenir ?
- Certains veulent le relancer car c’est un arbre historique pour la Corse. Quelques amoureux en plantent. Xavier Calizi, notamment, a fait des plantations il y a une dizaine d’années, dans le Cap, près de Fulleli également : cinq à six hectares. Il a créé une petite boutique où l’on trouve des produits transformés : alimentaires ou cosmétiques. Le cédrat est devenu une variété rare ! On pourrait peut-être l’utiliser dans une cuisine plus créative. Il faudrait relancer la filière, dans le cadre d’une économie de niche…
L’an passé, Tox a inauguré une première édition de la “Fête du cédrat”. L’INRAE était présent, avec notamment une conférence sur le sujet. La fête devrait être rééditée en octobre de cette année.
- Le cédrat serait arrivé en Corse au 1er siècle de notre ère. C’est ce qu’on dit… et c’est bien possible. Car les Romains l’auraient introduit sur tout le territoire méditerranéen. Il y en avait par exemple à Pompei. En fait, ce fruit n’est pas originaire de Méditerranée. Il vient d’Inde. On en trouvait déjà en Perse au 3ème siècle avant JC. C’est à ce moment qu’il a dû atteindre les rivages de la Méditerranée. A cette époque-là, il n’était pas consommé. On l’utilisait comme répulsif contre les mites vestimentaires. Et parce qu’il est très aromatique, il parfumait le linge. Il servait également de médicament, pour faciliter la digestion, réguler la vésicule biliaire ; également comme aseptisant ; et même comme antitussif, chez les Grecs, les Romains et les Arabes. Certains prétendaient que c’était un anti-poison… On a commencé à en consommer vers le 1er siècle de notre ère : Pline le Jeune indique que, du temps de son père, on ne les mangeait pas encore.
- Quand les Corses ont-ils vraiment commencé à l’exploiter ?
- Il faut faire un grand bon dans le temps ! Des écrits du XVe siècle mentionnent des agrumes comme la bigarade, le citron, qui ont été introduits plus tard, près de Bastia, Portivechju… également sur la côte occidentale. Mais le cédrat n’y est pas toujours indiqué. En revanche, c’est la première culture qui a été fortement déployée en Corse au XIXe siècle. Les premières plantations interviennent en 1835, surtout sur la côte ouest. Elles vont du Cap Corse – à Nonza où il est cultivé en terrasses – , au bassin ajaccien en passant par la Balagne et Porto.
- Quel a été le déclencheur ?
- Il y a eu une incitation à la plantation, parce qu’il y avait au début du XIXe siècle un vrai engouement autour de la confiserie : fruit confit, pâtisserie aux fruits... On le retrouve avec d’autres variétés fruitières. Mais le cédrat est celui qui est le plus adapté : avec sa peau épaisse, y compris la partie blanche (l’albédo), très ferme, très dense. Cela permet de garder la structure. C’est mon interprétation du choix de ce fruit. D’ailleurs, on supprime la pulpe pour ne confire que la peau…
- Les plantations étaient nombreuses ?
- A dater des années 1860, il y avait plus d’un millier d’hectares plantés sur l’île, répartis en petits jardins où l’on trouvait à la fois des arbres fruitiers et du maraîchage. Les années fastes, sans gel, la production pouvait s’élever à 6000 voire 8000 tonnes, selon les auteurs. C’est beaucoup pour une “culture de jardin”. On en trouvait aussi vers Aleria, à Tox où il était cultivé en terrasse – Tox était réputé pour ses cédrats. Sa culture s’est alors étendue sur toutes les zones côtières cultivables. Et au tournant du siècle, elle s’établit aussi en plaine, dans la zone de Figaretu.
- Quel a été l’impact économique du cédrat sur la Corse ?
- C’est une culture qui nécessitait pas mal de main-d’œuvre. C’est un arbre avec des épines : il fallait les tailler. Et puis dans le Cap, avec les embruns, on devait protéger les cédrats avec des haies de bruyère. Des usines de tissage qui existaient en Corse ont pratiquement disparu parce que les ouvriers préféraient travailler aux champs : ça rapportait plus. Alors oui, on peut dire que ça a eu un impact sur l’économie de l’île. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la production était essentiellement exportée parce qu’il n’y avait pas d’usine de transformation. Bastia en était la plaque tournante. Les fruits partaient pour Livourne et Marseille.
Les premières usines ont été montées à Bastia, avec la famille Mattei qui est vraiment une famille emblématique, même si elle n’était pas la seule. Il y avait alors trois ou quatre usines. Mattei, qui a créé la cédratine, la liqueur de cédrat, transformait environ 500 tonnes de cédrat vers 1900.
- Ça a duré longtemps ?
- Jusque dans les années vingt. On plantait encore beaucoup, à l’époque, dans la plaine orientale, vers le nord. En fait, la production était très fluctuante, parce qu’il y avait des hivers très rudes à l’époque. La récolte pouvait être réduite de moitié à cause du gel. Et puis il y a eu la crise de 1929. Les cours ont chuté… la dévaluation… la concurrence également de Malte, du sud de l’Italie… et les nouvelles plantations du Costa Rica qui ont bouleversé le marché international. Enfin, une baisse d’engouement pour les confiseries. On est passé assez rapidement à moins de 1000 tonnes. Et progressivement, les vergers ont été abandonnés. Aujourd’hui, on n’en compte plus qu’une dizaine d’hectares.
- Le marché international ?
- On acheminait des cédrats corses vers l’Europe du Nord. Et puis il y avait également les États-Unis : il y a eu un vrai engouement là-bas pour ce qu’ils appelaient “Citron of Commerce” ou “Corsican Citron”. A la fin du XIXe siècle, des plants de cédrats corses étaient acheminés jusqu’en Californie ! Quel périple ! Bateau, puis chemin de fer ou diligence…
- Parce que le cédrat corse est “spécial” ?
- Il a des particularités qui le distingue des autres variétés méditerranéennes : notamment sa pulpe douce ; ses fleurs entièrement blanches alors que la plupart des autres ont des pétales pourprés. Avec l’Université de Corse, nous avons étudié la composition de ses huiles essentielles, de la peau, des feuilles. Elle est spécifique. Génétiquement aussi… Les analyses ont permis de faire une hypothèse sur son origine : le cédrat corse serait issu de “poncire”, une variété italienne.
Autre spécificité : la façon dont on le cultive en Corse, sur ses propres racines, sans greffage. Cela fait qu’il peut être éligible pour la sélection de la fête juive des cabanes, qui commémore la fin des 40 ans d’errance du peuple juif dans le désert.
Car il faut dire que le cédrat est également un symbole religieux très fort dans la religion juive. Il fait partie des quatre espèces végétales indispensables à cette fête. Pour être utilisé, il doit être absolument parfait. Et le greffage est interdit. Le cahier des charges est très exigeant. Et les prix qu’atteignent ces fruits, sur le marché de New-York, notamment, est prodigieux ! Cette renommée internationale, pour le cédrat, c’est assez étonnant.
- D’autres découvertes sur ce fruit ? Des recherches particulières à l’INRAE ?
- Nous avons déterminé qu’il est le père d’autres fruits, comme le citron, la bergamote, ou la limonette de Marrakech, qui est utilisée dans le tajine de poulet. Et le grand-père du citron vert, le lime.
Et je dis bien “père”. Car dans la nature, le cédrat a toujours été le polinisateur : donc jamais “la mère” !
Et puis, avant moi, à la station INRAE de San Ghjulianu, Camille Jacquemond avait travaillé sur les porte-greffes les mieux adaptés…
- Le cédrat corse a-t-il un avenir ?
- Certains veulent le relancer car c’est un arbre historique pour la Corse. Quelques amoureux en plantent. Xavier Calizi, notamment, a fait des plantations il y a une dizaine d’années, dans le Cap, près de Fulleli également : cinq à six hectares. Il a créé une petite boutique où l’on trouve des produits transformés : alimentaires ou cosmétiques. Le cédrat est devenu une variété rare ! On pourrait peut-être l’utiliser dans une cuisine plus créative. Il faudrait relancer la filière, dans le cadre d’une économie de niche…
L’an passé, Tox a inauguré une première édition de la “Fête du cédrat”. L’INRAE était présent, avec notamment une conférence sur le sujet. La fête devrait être rééditée en octobre de cette année.