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Pourquoi y a-t-il si peu de restaurants corses à Nice ?


le Mercredi 13 Décembre 2023 à 19:50

Depuis le printemps, à Nice, un nouvel établissement met la Corse à l'honneur : A Cantina di Lou. Ce bar à vin souhaite devenir le QG de la diaspora, importante à Nice... mais où la cuisine corse se fait rare, pourtant, dans les restaurants. Pourquoi ?



Jérémy Gervasi (au milieu avec la casquette) est le gérant d'A Cantina di Lou, qui veut devenir le QG de la jeunesse corse de Nice. PHOTO INSTAGRAM A CANTINA DI LOU
Jérémy Gervasi (au milieu avec la casquette) est le gérant d'A Cantina di Lou, qui veut devenir le QG de la jeunesse corse de Nice. PHOTO INSTAGRAM A CANTINA DI LOU
Mêmes façades aux couleurs pastel, mêmes volets verts en bois à lames persiennes, mêmes influences architecturales, ligures... Oui, la place Rossetti, dans le Vieux-Nice, ressemble à bien des égards à Bastia. "On dirait le vieux Bastia, avec la cathédrale en face", s'en amuse Jérémy Gervasi, avec en point de mire la cathédrale Sainte-Réparate qui se dresse en oblique de son établissement.

C'est sur cette place Rossetti qu'il a ouvert en avril A Cantina di Lou, dont le nom signifie la même chose en corse et en nissart. "Lou, c'est ma fille", précise le tenancier qui se revendique de plusieurs identités : "J'ai toujours vécu entre Nice et Marseille. Des Siciliens, des Corses, j'en connais depuis tout petit. Mes meilleurs amis sont corses."

Un repaire pour les Corses qui veulent "jouer à la belote"

C'est justement au retour d'un séjour prolongé de quelques mois à Folelli l'an dernier que Jérémy Gervasi, briscard de la restauration, se décide à ouvrir un lieu de vie pouvant plaire aux Corses de Nice. A Cantina di Lou est née : "Ici, on a une grosse communauté de jeunes corses qui viennent faire leurs études. Mais ils n'avaient pas de repaire pour jouer à la belote."

Dans un décor d'apéro corse (Mattei è Pietra sò qui), A Cantina di Lou promeut l'épicerie fine de l'île et organise tous les jeudis des soirées chants et guitares. Ce créneau de l'apéro spuntinu et belote, c'était celui de Jean-Charles Cesari, il y a encore huit ans. Parti de Sainte-Lucie-de-Tallano pour étudier, le jeune Corse emprunte très vite une nouvelle voie, dans le sillage de ses grands-parents qui avaient tenu un restaurant au village : "J'avais 21 ans, un peu d'argent de côté et je l'ai placé pour ouvrir un restaurant. Mes parents n'étaient pas au courant...", sourit-il aujourd'hui. Son bébé, Le Maquis, pousse dans le Vieux-Nice, bien aidé par la diaspora : "C'était apéro pizza, avec les chants corses et guitares. On rentrait un monde là-dedans..."

"Beaucoup d'anciens sont rentrés"

QG d'une génération, Le Maquis fera son temps : "Beaucoup d'anciens clients sont rentrés en Corse, constate Jean-Charles Cesari. Mais quand ils reviennent, ils font souvent un passage au restaurant." Car Le Maquis a fini par évoluer vers une formule bistronomique.

Jean-Charles Cesari, originaire de Santa-Lucia-di-Tallano, est à Nice depuis près de vingt ans. Il a fait évoluer la formule du Maquis, devenu aujourd'hui un restaurant bistronomique. PHOTO INSTAGRAM LE MAQUIS
Jean-Charles Cesari, originaire de Santa-Lucia-di-Tallano, est à Nice depuis près de vingt ans. Il a fait évoluer la formule du Maquis, devenu aujourd'hui un restaurant bistronomique. PHOTO INSTAGRAM LE MAQUIS
A la carte, selon les saisons, le risotto au citron confit et gambas flambée au pastis laisse place à l'aubergine farcie gratinée à la tomme de Sartène. "On propose de la cuisine provençale et corse", énonce-t-il. Pourquoi ne s'est-il pas uniquement positionné sur la cuisine nustrale ? "On en fait vite le tour. Ici, on est dans le bassin méditerranéen et je voulais marier ces deux cultures culinaires." Jean-Charles Cesari commence à bien connaître le milieu de la restauration niçoise et il est catégorique : "Des restaurateurs corses, il y en a énormément. Mais qui font de la cuisine corse, non. Et puis les touristes qui viennent sur la Côte d'Azur, c'est de la cuisine provençale qu'ils recherchent en priorité, sinon ils iraient en Corse... Mais on peut leur en donner un avant-goût quand même."

Rue Bonaparte (ça ne s'invente pas), Chez Papa est un autre restaurant tenu par des Corses, les Marchetti de Calvi. Ils y proposent de la cuisine française, traditionnelle, "une cuisine de marché", précise le fils, Antoine. "Des fois, je fais des plats du jour à la mode corse, avec des produits que je reçois de ma grand-mère", mais cela relève de l'exceptionnel. "Ce qui est compliqué, ça reste le transport et la saisonnalité des produits. Je pourrai prendre de la charcuterie toute l'année chez Metro, mais il en est hors de question, car on travaille les vrais produits. Et les vrais produits corses, ça a un prix qui ne correspond pas à ce qu'est prêt à mettre notre clientèle."

Plus nombreux à Marseille

Nice peut-il être comparé à Marseille ? Autour de la Canebière, "on n'est pas loin d'une dizaine de restaurants corses au total", compte Laurent Saturnini, originaire de Pietralba et qui a ouvert Le Relais corse il y a treize ans. Une dizaine de restaurants corses, ce n'est pas non plus énorme au regard de la ville, qui est près de trois fois plus peuplée que Nice. Mais la diaspora y est plus ancienne, pense Laurent Saturnini, "et il y a eu beaucoup de jeunes qui ont repris les affaires de leurs parents". 

"Toute l'année, on ne peut pas s'en sortir avec la cuisine corse", estime de son côté Mathieu Blanc, le gérant d'A Casetta à Nice. Du reste, il a fermé il y a deux ans et est rentré à la maison, à Borgu village : "J'étais fatigué. Mais aujourd'hui, mon restaurant me manque tous les jours", avoue-t-il, tout en fustigeant ces restaurateurs qui "se disent tous corses parce qu'ils ont de la charcuterie et fromage".

La créativité d'abord

Il confirme, comme d'autres, que ce n'est pas parce qu'on est corse et exilé que l'on va forcément vouloir manger corse. Jean-Charles Cesari rappelle une évidence : "Ici, on est à Nice, en ville. Le côté rustique de la cuisine corse, on ne l'a que quand on est chez nous, au village. On ne peut pas exporter la Corse en dehors de Corse..." Mathieu Blanc souligne que la cuisine, c'est d'abord une question de créativité : "J'avais un cuisinier qui était mi-corse, mi-vietnamien. Eh bien il a fait des nems au figatellu !"