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Polluants éternels : "En Corse, on les relève en quantité très faible"


le Vendredi 5 Avril 2024 à 17:32

Ce jeudi 4 avril, les députés de l"Assemblée nationale ont adopté à l'unanimité une proposition de loi qui vise à à restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des polluants dits éternels, les PFAS. Ce sigle (à prononcer "pifasse") désigne les substances per- et polyfluoroalkylées qui entrent notamment dans la composition des poêles en Teflon. Cette proposition de loi ne va pas jusqu'à faire interdire les ustensiles de cuisine qui en contiennent. Kristell Astier-Cohu est la directrice planification et connaissance de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. Pour Corse Net Infos, elle explique comment ces PFAS peuvent se retrouver dans les cours d'eau et révèle en quelles quantités ces substances ont pu être détectées en Corse.



Photo d'illustration
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- Comment ces PFAS se retrouvent-ils dans l’eau que nous consommons ?
- Par rapport à la qualité de l’eau potable délivrée au robinet, je ne serai pas en capacité de vous répondre, car ça ne relève pas de la compétence de l’Agence de l’eau. Nous, nous surveillons l’eau des rivières et des nappes souterraines. 

- Mais la présence des PFAS dans les rivières et les nappes souterraines induit que cette eau devienne ensuite potable… 
- Effectivement, cette eau est ensuite utilisée pour être délivrée aux populations. Et avant d’arriver au robinet, elle peut subir potentiellement des traitements ou de la dilution avec d’autres eaux, de manière à ce que l’eau qui arrive au robinet respecte les normes sanitaires. 

- Et comment ces produits chimiques se retrouvent-ils dans les rivières ?
- Ce sont des gestes qu’il faut peut-être commencer par partager. Les PFAS, c’est une famille de très nombreuses substances chimiques de synthèse. On considère qu’il y en a plus de 4 000 différentes. Elles sont très largement utilisées à des usages industriels et pour des produits de grande consommation, car ce sont des molécules qui ont la propriété d’être anti-adhésive, résistante à la chaleur et imperméabilisante. Donc ce sont des molécules que l’on retrouve dans un certain nombre de textiles, dans des emballages alimentaires, dans les mousses anti-incendie sur des plate-formes aéroportuaires… Elles sont aussi utilisées sur certains produits cosmétiques ou médicamenteux. Donc on peut les retrouver dans nos eaux usées domestiques, et donc dans les stations d’épuration. Et quand elles se retrouvent dans l’environnement, ces molécules se dégradent très peu. 

- Comment leur présence dans l’eau est-elle détectable ?
- Ce sont des molécules que l’on suit régulièrement depuis 2018. L’agence de l’eau est chargée de surveiller la qualité de notre environnement dans les milieux aquatiques. C’est dans ce cadre-là que nous allons faire régulièrement des prélèvement sur des points bien identifiés pour essayer d’avoir une vision générale de la situation sur les différents bassins. Dans ces analyses, on recherche un très grand nombre de molécules chimiques, dont une vingtaine de PFAS qui sont surveillées. 

- Vous dites suivre ces molécules depuis 2018. Pourquoi pas plus tôt ?
- On a commencé un peu avant 2018, mais il y avait des difficultés techniques. Les laboratoires d’analyse n’avaient pas les techniques suffisamment pointues pour détecter ces molécules qui sont présentes dans l’environnement en des quantités très faibles. On est souvent de l’ordre du nanogramme, soit neuf zéros après la virgule. C’est donc une très faible concentration. Puis les laboratoires ont travaillé pour arriver à améliorer les seuils de détection. 

- Quel est le seuil de dangerosité de ces molécules ?
- Leur toxicité fait encore l’objet d’études, notamment par l’Agence nationale de la sécurité environnementale et sanitaire (ANSES). Au regard des données disponibles, ce qui a été défini comme seuil de protection, c’est un seuil de 0,1 microgramme par litre. 

- En dehors du déficit de connaissances techniques que vous évoquiez chez les laboratoires, dans quelle mesure aviez-vous conscience de la présence de ces produits dans les eaux avant 2018 ? Y avait-il de l’inquiétude ?
- Avant 2018, on cherchait plutôt à caractériser ces molécules, leur toxicité, pour pouvoir identifier si une vigilance particulière était requise. De notre côté, nous n’avions pas d’éléments. On a commencé à pouvoir travailler à partir du moment où la technique des laboratoires a permis de les identifier. 

- Mais leur dangerosité avait été démontrée dès le début des années 2000 aux Etats-Unis…
- Différentes études ont été menées depuis un certain nombre d’années, effectivement, avec des présomptions pour un certain nombre d’entre elles. Et au gré de l’amélioration des connaissances, la réglementation s’est renforcée, tant sur le plan des conditions de production, de mise sur le marché de ces produits. Et en ce qui nous concerne, sur les conditions de surveillance mises en place. 

- En Corse, comment contrôlez-vous la présence de ces produits chimiques dans l’eau ?
- C’est l’Agence de l’eau qui mandate des laboratoires d’analyse, lesquels vont faire ces analyses. On a en Corse 18 stations qui sont surveillées régulièrement, avec des prélèvements deux fois par an. De la même façon, on a des stations de surveillance dans les rivières avec des fréquences de surveillance variables, en fonction des enjeux et de ce qu’on retrouve dans ces cours d’eau. On a une surveillance renforcée quand on sait qu’il peut y avoir un risque de pollution plus important. Par exemple, en rivière, depuis 2018 sur la Corse, plus de 6 000 analyses ont été effectuées sur les différents cours d’eau. On recherche les PFAS, au même titre que d’autres molécules. 

- Et quel est le niveau de contamination constatée ?
- Sur les eaux souterraines, on a de très faibles quantifications, à l’exception de deux stations qui ressortent un petit peu plus. Il y a une station qui est proche de Calvi. On y a quantifié des PFAS à hauteur de 0,02 microgrammes par litre, ce qui reste très inférieur au seuil de potabilité de l’eau, qui est de 0,1 microgramme. Et puis l’autre point de vigilance, c’est sur la plaine de Marana-Casinca, au sud de Bastia, où un maximum de 0,04 microgrammes par litre a été repéré depuis 2018. 

- Quelle incidence ont ces niveaux de contamination sur notre environnement ?
- Je n’ai pas de compétence en matière sanitaire, mais encore une fois, ces seuils sont cent fois moins importants que le seuil fixé pour la potabilité de l’eau. 

- Comment expliquer leur présence, néanmoins plus importante, relevée par les stations de Calvi et de la Marana-Casinca ?
- Vu les faibles taux, on n’a pas identifié de source de pollution évidente. Mai par rapport à d’autres secteurs, on a pu constater que c’est souvent à proximité des aéroports que les PFAS apparaissent. Aéroports où sont parfois utilisées des mousses anti-incendie. Mais c’est une présomption. 

- Ces PFAS, peut-on les éliminer ?
- Quand on s’approche du seuil de potabilité, il y a un enjeu à engager des actions, ce qui n’est pas le cas en Corse. Il faudrait chercher les sources de pollution, identifier s’il y a un usage industriel à proximité et donc dans ce cas accompagner l’industriel pour qu’il modifie son process, réduise sa pollution et traite davantage ses rejets. On serait dans le registre de la prévention pour réduire à la source ces pollutions. Les collectivités en charge de distribuer l’eau potable peuvent aussi mettre en place des solutions de traitement. Le principal levier, c’est l’utilisation du charbon actif, qui va piéger les PFAS. 

- C’est-à-dire ? Une installation spécifique est-elle requise ?
- Les collectivités ont toutes un système qui permet de pomper l’eau, de la capter avant de l’envoyer sur le réseau d’eau potable. Dans le cas où on aurait des concentrations dans l’eau qui soient proches des seuils, ou même supérieures, on pourrait mettre en place un filtre à charbon. Les coûts d’installation dans les stations d’épuration peuvent être variables, en fonction de la nature des stations. Des solutions de ce type sont en cours d’installation sur certains sites, notamment en région Rhône-Alpes. 

- La restriction qui a été décidée ce jeudi par l’Assemblée nationale sur la fabrication et la vente de certains produits  va-t-elle faciliter votre travail de détection en aval ?
- Ca n’aura pas d’impact direct sur notre travail d’analyse et de suivi, mais effectivement, ça va réduire à la source les rejets. On devrait, à terme, effectivement, en trouver moins dans nos analyses. 

- Est-ce que vous conseillez aux gens d’arrêter de boire l’eau du robinet ?
-  Non, il y a un contrôle sanitaire qui existe et qui permet de garantir le respect des normes d’eau potable qui sont définies pour protéger les populations.