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Philippe Meynier : « Je défendrais à Bruxelles une politique agricole qui corresponde à nos besoins »


Nicole Mari le Mardi 4 Juin 2024 à 09:44

Philippe Meynier, éleveur et syndicaliste agricole établi en Plaine Orientale, occupe la 5ème place de la liste « Europe Territoires Ecologie » conduite par Guillaume Lacroix lors des élections européennes du 9 juin prochain. Président du Collectif des races locales de massif, ce militant nationaliste explique à Corse Net Infos ses raisons de rejoindre la liste du président du PRG et sa volonté de défendre à Bruxelles la problématique de l’agriculture et de la ruralité. Il plaide pour une politique agricole spécifique pour la Corse et livre sa vision d’une « Europe qui protège ».



Philippe Meynier, éleveur et syndicaliste agricole établi en Plaine Orientale, occupe la 5ème place de la liste « Europe Territoires Ecologie » avzc le député sortant François Alfonsi.
Philippe Meynier, éleveur et syndicaliste agricole établi en Plaine Orientale, occupe la 5ème place de la liste « Europe Territoires Ecologie » avzc le député sortant François Alfonsi.
- Qu’est-ce qui vous a incité à vous présenter aux élections européennes ?
- Je ne pensais pas me présenter. Quand Régions & Peuples Solidaires (R&PS) fait un accord avec le PRG (Parti radical de gauche) pour les Européennes sous la bannière PRG-Guillaume Lacroix, pour moi, c’était quelque chose de surréaliste ! Je ne suis pas associé à la démarche, ni Femu d’ailleurs, ni aucun parti. C’est François Alfonsi qui mène les négociations. Comme il n’obtient pas d’accord avec les Ecologistes, il prend la décision de ne pas poursuivre. Je rencontre fortuitement au salon de l’agriculture sur le stand du Collectif des races locales de massif, Guillaume Lacroix et son staff, notamment une élue bretonne, députée européenne, et un représentant de l’Alsace. Ils me disent qu’ils n’ont pas de Corse sur leur liste, que c’est dommage et qu’ils aimeraient bien avoir quelqu’un. Ils me demandent qui je suis. Je leur explique que je suis président du Collectif des races locales de massif et créateur du dispositif qui rassemble les Alpes, les Vosges, les Pyrénées, le Massif central et la Corse. Aujourd’hui, sur les deux espèces ovine et bovine, le Collectif compte 50 000 adhérents. Ils ont trouvé cela intéressant. Nous étions en plein milieu de la crise agricole, Guillaume Lacroix me dit qu’il aimerait m’avoir sur sa liste en tant qu’agriculteur.
 
- Et vous avez accepté d’emblée ?
- Pas tout de suite ! Guillaume Lacroix avait déjà présenté les douze premiers noms, et je ne comptais pas aller sur une liste porter le drapeau si je n’étais pas en position éligible. Il voulait un agriculteur pour porter le message des agriculteurs, plutôt que quelqu’un mandaté pour parler de l’agriculture et de la ruralité. Il était donc prêt à trouver un accord. Il m’a aussi dit qu’il avait été le premier homme politique à appuyer avec son groupe le statut d’autonomie de la Corse. Nous avons parlé de la ruralité, du statut de résident et d’autres problèmes plus techniques et plus globaux. Je lui ai fait part des problèmes sanitaires que nous avions en Corse et du fait que nous étions plutôt alignés sur le tempo italien, voire nord-méditerranéen. Cela s’est vu pendant la crise du COVID où nous avions six mois d’avance à l’allumage par rapport aux autres. Concernant la santé animale, nous avons de gros problèmes de vaccination et d’anticipation. Vue de Paris, la Corse, c’est déjà le Nord de l’Afrique, ça ne marche pas ! Je rencontre de nouveau Guillaume Lacroix après le salon, il me propose d’être 5ème sur sa liste. L’idée est de porter ensemble le message national en envoyant un paysan sur les bancs du Parlement européen pour défendre la problématique de l’agriculture et de la ruralité, mais aussi une démarche de convergence. Ce discours me convenait. J’ai demandé une semaine de réflexion avant d’accepter.
 
- Vous dites que l’accord avec le PRG est « surréaliste » pour un nationaliste. Ne craigniez-vous pas qu’il soit contre-productif en Corse ?
- C’est vrai que c’est un peu bizarre comme alliance ! J’en ai parlé avec tous les gens que je rencontrais, même avec le président de l’Exécutif pour savoir ce qu’il en pensait. Il m’a répondu qu’à priori, le PRG local n’a jamais été en phase avec nous. Zuccarelli a d’ailleurs tout de suite réagi en disant qu’il ne faisait pas parti du même PRG que Guillaume Lacroix et qu’il n’était pas du tout sur la même ligne. Dont acte. Effectivement en Corse, c’est antagoniste de soutenir le PRG quand on est nationaliste, ça risque de poser des problèmes de message. J’en ai fait part à Guillaume Lacroix qui m’a proposé d’être sur sa liste en tant que membre de la société civile et en position éligible pour la crédibilité du discours. Je me suis dit : pourquoi pas ! Dans une vie antérieure, quand j’étais secrétaire national de la Confédération paysanne, José Bové m’avait déjà demandé d’être représentant de la Corse au parlement européen. J’avais refusé parce que nous n’étions pas sur la même longueur d’onde. Aujourd’hui les conditions ne sont pas les mêmes, nous ne sommes pas liés aux Ecologistes. Nous faisons de la vraie écologie, nous ne sommes pas des écologues, nous sommes des gens qui vivons dans des milieux ruraux avec des systèmes d’exploitation vertueux.
 
- Du coup, vous n’êtes soutenu par aucun parti nationaliste. Quels sont vos soutiens en Corse ?
- Je suis soutenu par des élus comme le député Castellani, le sénateur Parigi et d’autres. J’ai aussi rencontré le PNC avant de donner ma réponse. A l’époque, Jean-Charles Orsucci n’était pas sur une liste et Jean-Christophe Angelini m’avait dit : oui, à priori, pourquoi pas ! Surtout que l’accord structurel PRG – R&PS englobe Femu et le PNC. Jean-Christophe Angelini a été assez fair-play dans le jeu et a communiqué qu’il soutenait Orsucci pour des raisons liées à la Comcom.
 
- Comptez-vous sur un vote massif des Nationalistes ?
- Je me rappelle qu’on avait manifesté à Bastia pour empêcher la venue de Jean-Marie Le Pen sur notre territoire. Aujourd’hui qu’est-ce qu’il va sortir des urnes et pourquoi ? Je ne sais pas. J’ai confiance en mes amis historiques, et surtout dans les gens qui pensent que ma démarche est intéressante. Il n’y a pas que les nationalistes qui ont une vision, il y a aussi des gens qui peuvent se dire que c’est peut-être intelligent d’envoyer à Bruxelles un élu de la ruralité, représentatif du monde paysan et du système d’exploitation que l’on défend. C’est-à-dire pas de système intensif, pas de grande mise en œuvre céréalière, mais plutôt des dispositifs résilients en optimisant l’autonomie alimentaire, ce qui prend tout son sens quand on habite dans une île.

Philippe Meynier
Philippe Meynier
- Justement si vous êtes élu, que défendrez-vous à Bruxelles ?
- D’abord que l’Europe nous protège avec des dispositifs comme celui déployé, par exemple, par rapport à la guerre. Si la France était isolée, elle ne pèserait pas grand-chose et aurait moins de monnaie d’échange au niveau européen et international. Ensuite, j’aimerais que l’on harmonise le système de santé. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur, à savoir d’être moins dépendant de la production indienne de médicaments, notamment de paracétamol, d’amoxicilline... Il n’est pas normal que l’on soit aussi dépendant de l’extérieur au niveau de molécules dont on a besoin tant pour la santé humaine qu’animal. On n’a pas de poids décisionnel sur notre politique de santé puisque de fait on n’a pas d’autonomie de production. Que l’on réfléchisse aussi de façon un peu plus globale pour harmoniser notre système énergétique. La guerre en Ukraine nous a montré que nous étions inféodés au gaz russe, c’est d’une totale incohérence ! J’aimerais aussi que par rapport à la jeunesse, on envisage une lutte au niveau européen contre les stupéfiants. Aujourd’hui certains pays essayent de banaliser leur consommation alors que c’est la vérole de la jeunesse. Il faut harmoniser les politiques de lutte et leur mise en œuvre réelle.
 
- Et au niveau agricole ?
- J’aimerais travailler à une politique agricole commune (PAC), pas seulement au niveau du FEADER, mais aussi du FEDER. Que cette politique soit plus au profit de la société rurale et de son intégration dans la pérennité, c’est-à-dire que nos systèmes d’élevage soient reconnus. Aujourd’hui, ils ne le sont pas. On est en train de transformer toute la maquette agricole de la Corse et d’autres territoires comme les Vosges ou le Massif central, et la sociologie qui va avec, pour rentrer dans les cases que la PAC nous impose. Ce serait intéressant de réfléchir sur le second pilier à une PAC qui corresponde plus à ce dont nous avons besoin. Autrement dit, avoir un degré de liberté par rapport à la norme et la possibilité de régionaliser la mise en œuvre des aides et surtout leur conception. La vraie base, c’est d’arriver à avoir la possibilité de raisonner et de concevoir ce dont on a besoin, et pas de faire rentrer in fine nos systèmes d’exploitation dans des cases qui ont été proposées par d’autres.
 
- Vous dites que l’Europe protège. Pourtant les agriculteurs dénoncent les distorsions de normes et de règles phytosanitaires, la concurrence de produits étrangers à bas prix… N’est-ce pas contradictoire ?
- C’est pour cela que je demande une politique agricole commune qui doit être mise en place sur une réflexion commune et convenir à tous. Surtout elle doit harmoniser les règles et les mesures qui en découlent. Il ne peut pas y avoir au sein de l’Europe des agriculteurs qui respectent des normes et d’autres qui ne respectent pas les mêmes normes. On ne peut pas sous le même règlement apporter des distorsions de concurrence déloyales pour ceux qui subissent des normes parfois nationales comme en France. Ce n’est absolument pas normal ! Les politiques, aujourd’hui, laissent peu de marge financière à la France qui est un des deux contributeurs nets en Europe, cela veut dire que la France met plus d’argent dans l’Europe qu’elle en perçoit. Elle doit imposer un espace de réflexion avec la volonté de faire perdurer les systèmes d’exploitation et les gens dans le tissu rural, et apporter une aide qui soit un peu plus intelligente qu’une aide surfacique. Aujourd’hui, l’agriculture raisonne en termes de viabilité et en termes comptable. Il faudrait y ajouter la vivabilité. Comment réinsérer le paysan dans un monde social acceptable ? Et surtout comment réinsérer les produits locaux dans une consommation de proximité qui soit moins régie par des règles complètement débiles.
 
- C’est-à-dire ? Quelles règles débiles ?
- Par exemple, dans la restauration collective, on pourrait approcher des volumes plus importants de production locale. Je parle plus spécifiquement pour la Corse. Or, les normes font que - et l’on ne saura jamais pourquoi ! - pour vendre nos produits dans une cantine scolaire, il faut absolument rentrer dans des ateliers qui sont régis par des règles terribles. Ce qui, de fait, rend la commercialisation et la valeur ajoutée élitistes alors que des agriculteurs pourraient avoir un revenu sur leur exploitation qui découlerait de ce type de demande. Ce sont des hérésies que l’on n’arrivera jamais à endiguer si on ne change pas la maquette. Il y a la nécessité de changer la maquette. D’un point de vue pratico sanitaire, il y a, en ce moment sur le continent et en Corse, des abattages liés à la tuberculose. On a un règlement qui a presque 50 ans, alors qu’aujourd’hui mécaniquement et chimiquement, on peut isoler la bête porteuse et voir ce qui se passe réellement dans le troupeau. Or, on reste sur un soi-disant principe de précaution et on abat des troupeaux de 200 ou 250 têtes pour une suspicion qui, à la fin, risque même de ne pas être avérée. Tous ces dispositifs sont désuets. Si on veut continuer à faire perdurer les gens dans leur territoire, on ne peut pas continuer à appliquer ces règles-là, surtout avec les faibles revenus, les faibles marges que l’on tire aujourd’hui de nos systèmes d’exploitation.

- Si vous êtes élus, vous serez aussi représentant de la Corse. Qu’allez-vous défendre spécifiquement pour la Corse ?
- Si je suis élu, je serai avant tout élu de la Corse dans une démarche collégiale. Je voudrais que l’on reconnaisse nos systèmes d’exploitation, nos spécificités, que l’on puisse grâce à cette reconnaissance, apporter une valeur ajoutée locale pour la vente de nos produits. Et surtout essayer de raisonner par rapport à ce dont nous avons réellement besoin avec une vraie ligne qui soit définie communément en Corse et à Bruxelles, c’est-à-dire une politique agricole pour la Corse qui ne soit pas une pâle copie de ce qui se passe ailleurs. Il faut être réellement une force de propositions et une force de transformation pour concrétiser sereinement ce dont on a besoin. Autrement dit plutôt que de faire une activité de rente liée à une quelconque subvention, que l’on mette à l’euro constant ou à l’euro supplémentaire de quoi faire perdurer ce qui existe puisqu’on a le devoir à mon sens de transmettre ce qu’on nous a laissé. Éviter le déclin qui est en train d’atteindre l’élevage au détriment d’autres activités. Cela veut dire qu’il faut que l’on conçoive un dispositif pour chacun et non pas des uns au détriment des autres. Cela s’appelle une politique agricole ! J’aimerais qu’on puisse avoir une politique agricole de la Corse qui correspond réellement à nos besoins et à nos attentes avec en amont, une interface qui permet la discussion, la réflexion, la cohésion et la mise en œuvre.
 
- Pensez-vous, au regard des sondages qui créditent votre liste de moins de 1% des votes, que vous avez réellement une chance d’être élu ?
- Aujourd’hui, on a un gros problème de communication. Malgré les invocations de la démocratie, on n’a pas d’espace médiatique, lequel est contraint et régi par les sondages. À partir de là, nous avons beaucoup de mal à nous faire connaître. Notre liste n’a pas l’aide structurelle des institutions, comme par exemple, celle du Président de la République aux côtés de Mme Hayer, même si ça ne marche pas très fort. Elle ne bénéficie pas comme le RN du fait d’être un contre-pouvoir. On ne sait pas quel est le biais qui légitime une montée aussi fulgurante de Glucksmann par exemple. Nous n’avons aucun espace de communication, ce qui fait que nous ne pouvons pas faire de propositions, et à fortiori d’insertion dans cette communication de la problématique agricole qui reste une phase encore un peu plus délicate. Nous voulons porter ce message et dire aux gens qui pensent s’abstenir que la messe n’est pas dite. Tout n’est pas joué ! Le pouvoir sortira des urnes, et c’est à nous d’avoir la capacité de s’en emparer. Si systématiquement, on baisse les bras et les yeux, à la fin, il ne faudra pas se plaindre, on aura réellement ce qu’on mérite ! Je continue ma campagne. Ce qui me motive, c’est à travers ma participation à cette élection européenne de renforcer un portage pour l’agriculture et la ruralité afin de rendre possible ce qui est nécessaire.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

La liste « Europe Territoires Ecologie » conduite par Guillaume Lacroix.
La liste « Europe Territoires Ecologie » conduite par Guillaume Lacroix.