- En Corse, à travers le temps, quel a été le rôle de la femme et comment cela a-t-il été rapporté ?
- Comme dans bien des domaines, le rôle de la femme dans la littérature a constamment évolué. La notion de littérature également. La littérature orale, avec ses différents genres et œuvres ancrés dans un contexte social, culturel et géographique propre, dévoile une grande richesse et permet d’éclairer le caractère à la fois universel et identitaire de ces récits, poèmes et chants. Chez nous, la participation active de la femme dans cette littérature est notable. Tout autant que l’homme, elle possède l’art de l’improvisation. De la nanna au voceru, en passant par la filastrocca, le cuntrastu, les chants d’élection, de travail, et les fole, la femme prend part à la vie communautaire et se fait passeuse. Concernant la littérature écrite en langue corse, du Primu Riacquistu au Riacquistu, les femmes sont sous-représentées. Les femmes écrivant en français sont légèrement plus nombreuses, mais elles restent en minorité. Cela dit, au fil des ans, la femme s’affirme de plus en plus à travers la littérature, un puissant outil d’émancipation. Mes productions sont essentiellement poétiques et mes poèmes servent souvent de base à mes chansons. Je m’interroge sur le lien particulièrement fort chez nous entre le poème et le chant, entre l’écrit et l’oral.
- On a souvent entendu dire que la Corse était un matriarcat. Qu'en est-il réellement ?
- Sans être spécialiste de la question, je ne le pense pas. Si la femme a toujours eu certaines responsabilités importantes, elle n’a jamais joué de rôle politique dans la société traditionnelle. Elle pouvait devenir chef de famille après le décès de son mari, c’est ainsi que certaines femmes veuves ou célibataires ont obtenu le droit de vote dès 1755.
- Pour autant, c'est bien elle qui est dépositaire de bon nombre de valeurs dans le cercle familial ?
- Certainement. Autrefois, dans les familles élargies, l’éducation passait par les parents, dont la mère certes, mais aussi par la grand-mère et les anciens. La littérature orale joue un grand rôle à cet égard puisque c’est à l’occasion des veghje que la culture était transmise à travers des contes, des légendes et autres récits. Aujourd’hui, le modèle a changé. En Corse comme ailleurs, la structure familiale nucléaire est beaucoup plus répandue. Les temps changent, et la façon d’éduquer aussi.
- Plus largement, à l'échelle méditerranéenne, quel pourrait être le point commun sur le rôle et la place des femmes ?
- En Méditerranée, nous avons des points communs mais aussi des différences. La Méditerranée est certes un berceau commun, mais l’histoire contemporaine diffère selon les pays. Nous parlons de la Méditerranée, et les artistes arborent souvent une Méditerranée fantasmée, particulièrement dans les chansons. Qu’en est-il de nos rapports avec les Méditerranéens qui vivent sur notre territoire ? C’est une question complexe. Faire émerger une mémoire des femmes de Méditerranée à travers la littérature pourrait être un beau projet.