Corse Net Infos - Pure player corse
Corse Net Infos Corse Net Infos

CorseNetInfos


Nanette Maupertuis : "Ceux qui perpétuent la violence font fi du bien commun"


Nicole Mari le Jeudi 26 Octobre 2023 à 12:19

Lors de la session du 26 et 27 octobre de l’Assemblée de Corse, la présidente Nanette Maupertuis a consacré son allocution d’ouverture à la violence en Israël et à Gaza, l’assassinat de Dominique Bernard en France et la reprise de la violence en Corse. Exprimant son soutien au peuple israélien et à toutes les victimes civiles du conflit, elle exhorte à ne pas s’habituer à l’horreur pour ne pas sombrer dans la barbarie. Tout comme elle appelle à ne pas s’habituer à l’obscurantisme qui s’attaque aux professeurs pour imposer une pensée toute faite. Enfin elle appelle à ne pas s’habituer à la violence en Corse qui prospère sur la recherche du pouvoir et du profit.



Le discours

Le 7 octobre dernier, le Hamas réalisait un raid meurtrier à la frontière entre Gaza et Israël, exécutant 1300 personnes et en enlevant plus de 200. J’ai eu l’occasion d’exprimer mon soutien au peuple israélien face à cette attaque inique ciblant des enfants, des femmes et des personnes âgées.
Cette guerre, depuis des décennies, détruit la vie d’innocents, de civils pris au piège d’une violence qui les dépasse, qu’il s’agisse d’israéliens ou de palestiniens, victimes d’idéaux mais aussi de fureurs qui prennent le pas sur leur vie, leur liberté d’aller et venir, idéaux et combats qu’ils ne partagent parfois même pas. Comme nous l’avons fait il y a peu, lors de la minute de silence, je veux encore avoir une pensée émue pour toutes les victimes de ce conflit quelles que soient leur origine ou leur confession.

Un relativisme dangereux
Depuis le 7 octobre, de nombreuses voix se sont élevées, en Corse, en France, en Europe et dans le monde, parfois avec des mots justes, des mots de compassion, mais parfois aussi avec un relativisme dangereux, souvent en exprimant une « pensée toute faite ». Dans cette cacophonie, on oublie souvent la douleur intense de deux peuples, on oublie et on ne voit pas que les larmes de ces mères de chaque côté de ces frontières, contiennent le même sel. On oublie ce qui engendre la violence aveugle et on entend peu les artisans de paix. Or, nous devons les écouter malgré le vacarme ambiant ! Nous devons les soutenir de toutes nos forces, dans le tumulte fracassant de la guerre. Malgré l’ancienneté de ce conflit, leur âme ne s’habitue pas. La nôtre non plus ne peut s’habituer…

Et c’est pourquoi nous examinerons à l’occasion de cette session une motion relative à la situation au Proche-Orient déposée par plusieurs groupes et à laquelle je souhaite pleinement m’associer. Jusqu’à l’éclatement des conflits récents à travers le monde, nous vivions en Europe une des époques les plus apaisées de notre histoire, et cela grâce à l’avènement de l’Union Européenne, grâce à des volontés politiques fortes et à la vision de grands hommes. Nous devons défendre cet héritage de paix dans toutes les occasions qui nous sont données. Chacun doit s’en emparer, même la petite assemblée d’une petite île de Méditerranée. Car je me permets de le rappeler même si parfois nous sommes raillés à ce sujet : nos motions ne sont pas vaines et ceux qu’elles soutiennent nous en savent gré ; elles sont indispensables, surtout quand elles viennent paver les chemins de la paix et de la démocratie. Et si nous ne le faisions pas, alors nous ne serions pas dignes de l’héritage de Pasquale Paoli. Si nous ne le faisions pas, nous rejoindrions nous aussi ces âmes qui s’habituent. Et si j’osais, je dirais qu’après l’habitude, vient l’indifférence et de l’indifférence naît, non seulement l’incapacité à reconnaître l’humain chez l’autre mais pire, la perte de vue de l’humain qui est en soi. Là réside le risque de sombrer dans la barbarie.

Des âmes bien faites
Notre âme ne doit donc pas s’habituer à l’horreur qui a cours, aussi en Europe, en France depuis plusieurs années et dont le Professeur Dominique Bernard fut l’une des dernières victimes. Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’obscurantisme terroriste de l’islamisme radical s’attaquait à nouveau à un enseignant. On s’attaque à travers les enseignants à des valeurs fondamentales : la connaissance, la transmission, l’apprentissage, la tolérance et la compréhension de l’autre. J’ai évidemment une pensée pour cet homme et à toute sa famille, car à travers lui, on s’attaque à ceux qui nous poussent à réfléchir, à développer notre esprit critique, celui de nos enfants et à ne pas avoir une « pensée toute faite ». On s’attaque là encore à des artisans de paix ! Car, lorsque les mots et les actes s’inscrivent dans une « pensée toute faite », c’est-à-dire une forme d’abrutissement, c’est alors que l’on s’habitue, que l’on banalise, et que l’on relativise la brutalité. En Corse, nous avons connu et nous connaissons d’autres formes de violence, en particulier celle qui a été évoqué tout à l’heure, sourde et insidieuse de la dérive mafieuse.

Evidemment le contexte est différent, il est loin d’être le même, le terreau sur lequel elle prospère n’est pourtant pas sans point commun : la perte de sens ou de repères, l’absence de confiance, le choix de solutions toutes-faites, les fameuses âmes habituées constituent des facteurs alimentant les formes de violence. Ceux qui la perpétue font fi du bien commun. Cherchant le pouvoir ou le profit, ils créent les conditions qui leur permettent de prospérer. La violence, en Corse comme ailleurs et quelle qu’en soit la forme, produit les mêmes effets : la détérioration du tissu social, la défiance, la division et surtout la peur. La peur toujours, et au bout du compte, le mal- être individuel et collectif. Ne nous habituons pas à la violence et combattons-la de toute notre âme. Ce combat commence tôt, par une sensibilisation mais aussi une écoute attentive des jeunes. A travers l’Assemblea di a Giuventù et l’Assemblea di i Zitelli, dont nous avons d’ailleurs signé la convention de partenariat avec le Rectorat le 5 octobre dernier, nous nous employons à travers ces instances à initier les plus jeunes au débat d’idées, à l’exercice démocratique tout en renforçant leur esprit critique.
Une société dans laquelle la jeunesse et plus largement les citoyens ont les moyens de s’exprimer dans un cadre public, démocratique cherchera à privilégier, le débat, le compromis et la concorde. Avant de conclure, permettez-moi aussi d’adresser mon soutien à la famille et aux amis de l’artiste Mighele Raffaelli dont la maison a été la cible d’une explosion le 9 octobre dernier. Artiste total, farouche défenseur de la Corse, de la langue et de la culture, il s’est engagé toute sa vie pour créer et vivre dans son île. La destruction de son atelier et des œuvres qui s’y trouvaient sont une immense perte pour notre patrimoine culturel et notre peuple. Preuve s’il en fallait que, quelles que soient les causes, la violence entraine inéluctablement son lot de douleurs et d’absurdités.

Cari tutti, cari amichi, notre responsabilité est de favoriser la création des âmes bien faites et non pas des âmes toutes faites. Refusons de nous habituer au pire et battons-nous, engageons-nous sur le chemin qui offre à nous tous, je dis bien tous, la paix et la véritable liberté.
Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.