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La filière oléicole corse se sent un peu seule face à la Xylella fastidiosa


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 5 Février 2022 à 19:29

Depuis que l’on a eu confirmation que la Xylella fastidiosa , cette bactérie tueuse qui fait des ravages ailleurs sur le continent, est bien présente sur notre île, les oliviers corses sont sous le feu des projecteurs. Quel est l’enjeu ? Productrice à Patrimoniu sur un verger d’oliviers de 6 hectares, Présidente du Syndicat interprofessionnel des oléiculteurs de Corse – le SIDOC – et présidente du Syndicat AOC Oliu di Corsica, Sandrine Marfisi nous éclaire sur ce que représente l’oliveraie corse, à la fois du point de vue patrimonial et du point de vue économique, et nous expose les actions entreprises pour faire face aux problèmes auxquels elle est confrontée.



La filière oléicole corse se sent un peu seule face à la Xylella fastidiosa

- Une femme à la tête d’une filière agricole, n’est-ce pas un peu inattendu sur notre île ?
Cela traduit une évolution : c’est une filière qui se féminise. Elle est relativement ouverte là-dessus, un peu comme pour la viticulture. D’ailleurs, au sein du conseil d’administration, nous comptons 5 femmes sur 13 administrateurs. 
A mes yeux, plusieurs facteurs l’expliquent. D’abord, le fait que les candidats pour les métiers agricoles sont rares : aujourd’hui, on transmet facilement son exploitation à sa fille – c’est le cas de deux de nos administrateurs. Et lorsqu’un producteur décède, sa femme prend la suite – c’est le cas de deux autres. Peut-être que c’était ainsi auparavant, mais sans officialisation de la chose : les femmes n’avaient pas de statut, elles étaient aide-familiale. Aujourd’hui, elles n’hésitent plus à s’installer en nom propre, à reprendre une exploitation à leur nom.
Un autre facteur joue, il me semble : comme pour la viticulture, les travaux dans les champs sont plus accessibles aux femmes. Et sur le produit fini, sans verser dans la caricature, il y a une sensibilité féminine particulière pour le travail des olives : la trituration, les assemblages, les dégustations… Beaucoup de valeur ajoutée, une transformation au moulin : le producteur peut intervenir.
 
- Que représente cette filière pour la Corse ?
- La surface cultivée est de 2 000 hectares : c’est la deuxième filière végétale après la vigne. Nous comptons environ 400 producteurs dont 200 qui sont sous signe de qualité, en AOP.

- La moitié seulement en AOP ? Comment cela s’explique-t-il ?
- C’est une spécificité de cette filière – une constante pour tout le bassin méditerranéen – qui permet de comprendre certaines de ses difficultés et également certains de ses atouts : il y a un mélange d’amateurs et de professionnels. Les amateurs ne recherchent pas forcément l’AOP. C’est une faiblesse, parce qu’il est difficile de professionnaliser des gens qui ont une autre activité professionnelle en parallèle. Mais c’est également un atout : parce que ces amateurs ont un attachement patrimonial à l’arbre. Ils entretiennent les vergers.

- Et en Corse ?
- En Corse, cette spécificité est plus prégnante qu’ailleurs : on a la fierté de faire l’huile comme le grand-père ou l’arrière-grand-père qui a légué le verger. C’est le maintien des traditions familiales.
D’ailleurs, les deux-tiers des arbres sont multiséculaires ! Entre 100 et quelques fois 2000 ans pour quelques spécimens identifiés ! Ce sont des vergers anciens : et c’est ça qui apporte toute sa spécificité à l’huile d’olive de Corse. C’est ce qui fait sa différence. L’AOP est basée sur ce vieux verger et sur l’huile qui en provient. En pratique, les 200 professionnels en AOP représentent 65 % de la production, et même 85 % les petites années. 65 %, c’est énorme par rapport aux autres bassins de production. Et ça s’explique : si votre huile n’est pas AOP, elle doit obligatoirement se vendre comme “huile d’olive de France”… alors que les gens achètent ce produit avec toute sa symbolique… L’impact de l’AOP pour la vente est très fort.

 - Quelles sont les spécificités de cette AOP corse ?
- L’ADN de l’AOP Oliu di Corsica Récolte à l’Ancienne – c’est son nom complet –, repose sur trois éléments : le lieu de production – la Corse –, les variétés – ce sont six variétés endémiques ou anciennes, c’est-à-dire de plus de 400 ans – et le savoir-faire – nos techniques ancestrales, comme son nom l’indique.
Ces techniques sont adaptées à l’envergure des arbres – d’autant plus importante que les arbres sont anciens – et aux vergers en pente, sur des coteaux en piémont. Nous sommes les derniers “pêcheurs d’olives”, car la plupart des producteurs d’olives méditerranéens ont abandonné cette façon de faire : nous récoltons “par chute naturelle”, ce qui est beaucoup plus contraignant que les méthodes modernes. Les filets sont suspendus sous les arbres. Il faut attendre la maturité avancée des olives : c’est ce qui rend notre huile si douce. Dès que les olives tombent, il faut les conduire au moulin. Et comme elles ne sont pas mûres toutes en même temps, il faut travailler par petits lots en éliminant les premiers et les derniers fruits qui risquent d’être abimés.
 
Autre spécificité de notre AOP : l’obligation de faire déguster annuellement le produit avant toute mise en marché. Cela, pour conserver l’huile dans le champ organoleptique défini : faible piquant, faible amertume. Certaines huiles peuvent être refusées.
 

- C’est une AOP exigeante ! Économiquement, comment vous en sortez-vous ?
- Pour la rentabilité à l’hectare, c’est sûr, aucune comparaison avec ce qui se fait dans des plantations intensives ! Certes, un arbre multiséculaire produit beaucoup plus qu’un jeune. Mais il ne produit que tous les deux ou trois ans : c’est une grosse spécificité de la culture en Corse, et elle est encore renforcée par le changement climatique. Ainsi, en 2020-21 nous avons produit 330 tonnes d’huile… alors que la récolte 2021-22 n’a été que de 100 tonnes !
 Stratégiquement, nous cherchons donc à diminuer cette alternance tout en refusant d’aller vers l’intensif : ce serait perdre notre âme. Pour cela, l’AOP admet qu’en complément du verger ancien, les producteurs disposent de plantations récentes et d’outils modernes : elles sont plus faciles à entretenir, à fertiliser, à irriguer, à traiter contre les pathogènes. L’objectif est de trouver un équilibre pour faire perdurer ce patrimoine sans renier notre histoire.
 Pour sécuriser leur exploitation, nous conseillons cette combinaison aux jeunes qui s’installent. C’est même une condition pour bénéficier des aides de l’ODARC pour les aînés. Ils peuvent planter jusqu’à 250 arbres à l’hectare, alors qu’il n’y en a que 80 dans les vieux vergers – ce qui reste faible par rapport aux milliers d’arbres à l’hectare des exploitations intensives en haute densité ! Mais c’est compliqué à cause du problème du foncier : il faut trouver les bons terrains.
 

- La Xylella fastidiosa arrive en Corse. Comment allez-vous lutter ?
- Il faut savoir que l’olivier jusque-là ne mourrait de rien : sauf du feu. Récemment sont arrivés deux pathogènes mortels : l’un d’eux est très présent en Espagne, mais inexistant en Corse. L’autre, c’est la xylella, présente en Europe depuis 2014 où elle a fait des ravages dans les Pouilles. Du fait de notre proximité culturelle et des forts liens que nous avions avec cette région, nous sommes allés les voir tout de suite : une catastrophe. Nous avons considéré ce problème comme une priorité. Mais l’interprofession nationale ne nous a pas suivis… ni même les représentants des autres filières pourtant potentiellement en danger elles aussi (vignes, agrumes, amandiers, fruits d’été, immortelles …) : il faut savoir qu’en Corse, toutes les productions agricoles sont concernées, et au-delà toutes les plantes ornementales du maquis. Seul le châtaignier n’est pas sensible. Nous avons donc pris des mesures de notre propre initiative.
 

- Quelles mesures avez-vous prises ?
- Déjà, nous avons mené des actions auprès de nos membres pour qu’ils puissent reconnaître les symptômes. C’est un peu comme le COVID : les arbres n’expriment pas tous les mêmes symptômes. Et il y a des phases asymptomatiques : c’est cyclique. De la même façon, les analyses peuvent se révéler négatives… alors que l’arbre est bien atteint.
Par ailleurs, trois de nos administrateurs se sont spécialisés sur le sujet : on essaie de se maintenir au top de l’information scientifique, en se déplaçant sur le terrain, à Palma de Majorque, dans les Pouilles, à Menton… en participant à des symposiums.
En tissant des liens avec des scientifiques, nous avons compris qu’une des voies de survie était la recherche de variétés tolérantes. Nous avons lancé un programme d’expérimentation dès 2016, avec l’INRA d’Angers et testé six variétés corses, en allant chercher des subventions. Car c’est très coûteux, très long : on a travaillé en marche forcée sur cinq ans. Après cette phase de laboratoire, certains plants sont apparus plus résistants que d’autres. Mais il faut poursuivre les tests sur le terrain : les plants des six variétés viennent d’être plantés en plein champ aux Baléares, pour trois ans d’observation, avec batterie de tests.
 

- Pourquoi envoyer les plants à l’étranger ?
- Parce que seuls les Baléares et les Pouilles ont financé des structures d’expérimentation en plein champs pour travailler sur le sujet ! Rien n’existe en France ou sur l’île.
De la même façon, nous ne pouvons pas faire d’analyses en Corse : l’ANSES, à Angers, est le seul organisme reconnu en France qui puisse dire si une plante est atteinte ou pas. Ils mettent longtemps à intégrer dans leurs protocoles les dernières avancées scientifiques. D’où le retard par rapport à ce qui se fait à l’étranger où scientifiques et laboratoires officiels travaillent ensemble : mais nous n’avons pas l’autorisation d’envoyer nos prélèvements ailleurs.
 Nous avons également voulu mener une étude d’impact : élaborer des scénarii pour voir où l’on va et chiffrer les parades. Comme nous n’avions pas toutes les compétences requises, nous avons adressé des courriers au ministère de l’Agriculture, à la CdC. C’est resté lettre morte…
 

- En somme, vous vous sentez un peu seuls face à ce problème…
- Nous, nous parlons un langage terrain. Nous voyons les arbres mourir et ce n’est pas la sécheresse ! En face de nous, il y a des gens qui raisonnent “règlement” : comme cet olivier tronçonné en Balagne en novembre dernier parce qu’il était positif. L’agriculteur a été totalement traumatisé. Il a reçu un SMS pour l’avertir à peine quelques heures avant que des hommes n’arrivent avec leur tronçonneuse, sans lui laisser le choix. Il ne communique plus.
On aurait pu isoler l’arbre. Faire des analyses complémentaires pour déterminer la souche de la bactérie – aujourd’hui, elle est toujours inconnue -, regarder les symptômes évoluer… Mais, malgré le partenariat que nous avions mis en place avec les autorités, la filière a été informée après coup : l’arbre a été totalement détruit et nous avons perdu la chance de recueillir des informations importantes.
On nous dit que pour éviter la catastrophe, il faut que l’écosystème reste stable. Or, le problème, c’est que tout concourt à le déstabiliser : l’importation de plants provenant de zones infestées et susceptibles de contenir une nouvelle souche – 7 000 oliviers l’an passé –… et bien sûr la transition climatique que nous vivons qui affaiblit nos arbres face aux pathogènes.

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