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L'interdiction de la pêche du mérou et du corb en passe d'être reconduite dix ans dans les eaux corses


le Dimanche 17 Décembre 2023 à 17:30

Il ne fait guère de doutes que d'ici quelques jours, l'Etat reconduira pour dix ans l'interdiction de pêcher des corbs et des mérous dans ses eaux méditerranéennes. Il devrait se baser notamment sur deux études scientifiques qui préconisent la reconduction des moratoires, pour permettre aux stocks de poissons de se reconstituer. Un avis que ne partage pas un collectif de pêcheurs récréatifs insulaires.



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Les arrêtés d'interdiction sont déjà en ligne sur le site de la Direction interrégionale de la mer Méditerranée, il ne reste plus qu'à les dater et à les signer. Et personne ne doute, même chez ceux qui s'y opposent, que le préfet finira par prendre son stylo. Il a jusqu'au 31 décembre pour décider s'il convient de reconduire, ou non, pour une durée de dix ans, les deux moratoires sur la pêche au corb et au mérou dans les eaux méditerranéennes françaises.

Ces deux espèces sont interdites à la pêche récréative depuis 1980 pour le mérou brun et depuis 2013 pour le corb. Elles sont toutes les deux sur la listes des espèces menacées. Le 29 juin dernier, le conseil maritime de façade, réuni à Marseille, a noté "une augmentation progressive" des stocks de ces poissons depuis 2015 mais fait état d'une ressource "encore limitée" en dépit des toutes ces années d'interdiction. En conséquence, elle préconise le maintien du moratoire pour les espèces de mérou, y ajoutant le mérou blanc venu du Sénégal. De même pour le corb, estimant même que l'interdiction de pêche le concernant doit être portée de cinq à dix ans.

"Même moi sans harpon, je le prends à la main, le mérou"

Au moins deux avis scientifiques, produits en Corse, sont venus les conforter dans leurs préconisations. En avril 2022, Eric Durieux, maître de conférence à l'Université de Corse en écologie halieutique et chercheur pour Stella Mare, livrait ses conclusions sur le mérou : "Ses traits d’histoire de vie (croissance lente, longévité, hermaphrodisme successif, maturité tardive, type de reproduction), son habitat accessible et prévisible, son comportement peu farouche et curieux et sa structure et dynamique de population présentant un recrutement peu abondant (peu de juvéniles) en font une espèce particulièrement vulnérable à la pêche ciblée, en premier lieu la chasse sous-marine mais également certaines techniques de pêche de loisir à l’hameçon qui peuvent également cibler l’espèce".

Coauteur de la seconde étude publiée un an plus tard, Michel Marengo, le directeur de la station de recherche sous-marine et océanographique (STARESO) de Calvi, confirme de vive voix : "Même moi, sans harpon, je le prends à la main, le mérou. Ce n'est pas une espèce craintive." Or, "le mérou brun a une haute valeur commerciale et représente un intérêt économique important pour la pêche artisanale et la plongée sous-marine", souligne-t-il dans l'étude, alertant de fait sur les conséquences d'une pression de pêche accrue sur les stocks d'une espèce aussi peu farouche.

"Les suivis de recensements visuels effectués en baie de Calvi (hors aires marines protégées), montrent que malgré le statut de protection du mérou, les populations observées au sein de nos sites suivis restent à des niveaux faibles (peu de grands individus rencontrés) en comparaison aux niveaux plus élevés recensés au sein des aires marines protégées", poursuit l'étude. Comment un poisson qui est protégé depuis 43 ans peut-il rester aussi vulnérable ? Michel Marengo avance quelques pistes : "Le braconnage, le manque d'agents en France pour surveiller que le moratoire est bien respecté, le développement de nouvelles maladies et la possibilité donnée aux pêcheurs professionnels de garder les mérous en tant que prises accessoires lorsqu'ils mettent la palangre à l'eau, donc s'ils ne ciblent pas directement le mérou."


Le collectif Pesca Passione s'oppose aux moratoires

En conséquence, les deux études préconisent la poursuite du moratoire pour une durée de dix ans, "afin de continuer à protéger cette espèce et garantir son rétablissement à long terme", ajoute l'étude de STARESO. Une conclusion que ne partage absolument pas le collectif de pêcheurs récréatifs corses Pesca Passione, qui a fait un constat tout autre : "Les plongeurs sous-marins en Corse disent qu'ils voient beaucoup de mérous lors de chaque plongée, rapporte Jean-François De Marco, porte-parole du collectif. On a fait un questionnaire auquel ont répondu 160 personnes qui totalisent vingt-cinq sorties de six heures toute l'année et sur tout le littoral corse. Ca représente plus de 20 000 heures d'observations." Il conteste la méthodologie employée par la communauté scientifique, ce à quoi répond Michel Marengo sans volonté de polémiquer : "Ils font des sciences participatives, ce qui est bien. Mais nous, c'est notre métier. Et notre méthodologie, elle est reconnue internationalement. Nos statistiques se basent sur des années d'observation et des moyennes."

Jean-Jacques Riutort a été pêcheur professionnel, il est aujourd'hui pêcheur récréatif. Il est aussi enseignant au lycée maritime de Bastia et siège au CESEC, le conseil économique, sociale et environnemental de la Corse où il est spécialisé dans les réserves marines. Sur le mérou, c'est la casquette de pêcheur récréatif qu'il revendique. Selon lui, le moratoire ne se justifie pas, même s'il convient d'encadrer la pêche, à l'image de ce qui a été décidé sur le thon rouge dans les années 2010. : "La pêche au thon rouge est restée toujours ouverte, même quand il était en danger critique d'extinction. Pour autant, le stock a fini par remonter car des règles strictes ont été mises en place. Alors il ne faut pas dire que le diable se cache dans les pêcheurs de loisirs !"

Soucieux d'apporter sa contribution et de faire entendre sa voix, le collectif de pêcheurs récréatifs dit avoir trouvé porte close auprès des services de l'Etat : "On a proposé d'être associé aux comptages, on nous l'a refusé, déplore Jean-François De Marco. On avait aussi soumis des propositions et elles n'ont pas été prises en compte." Ces propositions tournent autour de la logique des quotas, avec la mise en place d'un "panier familial", autrement dit l'autorisation donnée à une pêche raisonnée. Il se disait également en faveur d'une interdiction totale entre juillet et septembre, soit durant la période de reproduction des deux espèces, qui correspond à la période touristique la plus intense, et donc la plus propice à la consommation de ces poissons. "On ne nous a pas répondus", regrette Jean-François De Marco, qui ne se fait plus d'illusions, en dépit d'une pétition lancée courant novembre et qui a recueilli un peu plus de 600 signatures. Car en parallèle, avait lieu la consultation publique : "Au total 1 276 contributions ont été reçues", communiquent les services de l'Etat. La reconduction du moratoire pour le mérou a recueilli 676 avis favorables et 9 avis défavorables. Pour le corb, ce sont sont 667 avis favorables et 6 avis défavorables. "Au vu de ces observations, il est décidé de conserver les projets d’arrêtés", entérine la Direction interrégionale de la mer Méditerranée.