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L'Assemblée de Corse ouvre le dossier sur les dérives mafieuses


Naël Makhzoum le Vendredi 18 Novembre 2022 à 15:12

La session extraordinaire de l'Assemblée de Corse consacrée aux dérives mafieuses se déroule ce vendredi 18 novembre, cours Grandval. La matinée, dédiée à présenter le bilan des trois années d'auditions qui se sont écoulées et à donner la parole aux présidents de groupe notamment, a vu fleurir un constat commun mais des points de vue parfois divergents.



Photo illustration Michel Luccioni
Photo illustration Michel Luccioni
Comme le veut l'habitude, la journée a démarré par les mots de la présidente de l'Assemblée de Corse. Mais plus loin que son discours introductif, cette fois, Marie-Antoinette Maupertuis a posé les premières fondations indispensables au lancement de cette session qui marque aussi le début d'un cycle de travail de quatre mois, annoncé par Gilles Simeoni. Une quarantaine de minutes à dresser devant l'hémicycle de la Collectivité de Corse un constat, effectué à partir des auditions menées depuis le 12 décembre 2019 - en réponse à l'assassinat de Massimu Susini - auprès de treize acteurs : des collectifs anti-mafia à la Ligue des Droits de l'Homme en passant par les associations d'environnement ou la presse.

En répartissant les doléances de chacun au travers de quatre thématiques, Marie-Antoinette Maupertuis a d'abord dressé un état des lieux de la situation actuelle. "Absence du pouvoir régalien, faible taux d'élucidation des crimes et délits et un ressenti : avec 700 homicides en 40 ans et 25 bandes au moins, l'emprise mafieuse croit en Corse et pénètrerait tous les secteurs de l'économie, selon les collectifs anti-mafia insulaires, pose-t-elle. Les carences de l'État interpellent la quasi-unanimité des auditionnés. L'absence de résultats tangibles dans les enquêtes policières et l'exécution des décisions de justice montre l'impuissance des pouvoirs publics et offre un sentiment d'impunité pour les criminels, accentué par l'absence de données, de rapport ou de bilan chiffré."

La création d'un observatoire spécifique ?

Pour tenter de pallier ce manque d'informations, les collectifs ont proposé la création d'un observatoire pour centraliser et capitaliser l'information, afin de passer "d'une description qualitative à une évaluation quantitative" du phénomène. Initiative saluée par le président du Conseil exécutif, dont la prise de parole d'une heure a suivi celle de la présidente de l'Assemblée de Corse : "Cette manière originale de voir les choses, comme aussi pourquoi pas la création d'un futur conseil de politique judiciaire, il faut y réfléchir car ce sont des propositions qui me semblent intéressantes."

Marie-Antoinette Maupertuis a aussi dépeint trois autres difficultés majeures à traiter pour cerner le phénomène des dérives mafieuses : "La qualification du phénomène criminel qui, pour les collectifs et la plateforme citoyenne est une mafia en pleine expansion dont les élus renient l'existence, alors que la Ligue des Droits de l'homme et l'Assemblea di a Giuventù ne voient pas la situation évoluer vers un mode sicilien, résume la présidente. Il y a deux autres grands axes revenus dans toutes les auditions : les attentes vis-à-vis de l'État, et celles vis-à-vis des élus et particulièrement, de la Collectivité de Corse."

Les différentes mesures répressives proposées par les collectifs et notamment "Maffia no', a vita iè" n'ont guère séduit l'hémicycle, qu'il s'agisse de l'introduction d'un délit d'association mafieuse, de la saisie des patrimoines ou encore de l'évolution du statut de repenti, par exemple.

"Les gens manifestent cours Grandval en imaginant qu'il y a des solutions ici"

Lors de leurs différentes prises de paroles, les présidents de groupe se sont plutôt positionnés derrière le parti pris par la Ligue des Droits de l'Homme, à savoir que la création de mesures juridiques exceptionnelles - présentant un risque de régression démocratique - n'était pas nécessaire, mais plutôt que les moyens actuels conviennent à la problématique mais ne sont pas suffisamment utilisés. "Nous sommes dans un système pénal extrêmement répressif avec une législation très complète permettant de répondre à toutes les situations répréhensibles, a synthétisé Julia Tiberi, qui s'est adressé au nom du parti PNC-Avanzemu. Nous ne sommes pas convaincus qu’une nouvelle législation permettrait d’améliorer le taux d’élucidation, mais s’il nous était démontré une plus-value et assuré que cette infraction ne serait utilisée qu’à l’encontre des personnes concernées, notre position pourrait évoluer."

Concernant les attentes envers les élus corses, Jean-Martin Mondoloni a emboîté le pas à Gilles Simeoni. "Aujourd’hui, les gens viennent manifester devant le cours Grandval en imaginant qu’ici, il y a des solutions, clamait le président d'U Soffiu Novu. Mais chacun a ses responsabilités : l'État s'est probablement trompé de cible pendant longtemps ou en tout cas, a mis plus de moyens contre les nationalistes que cette criminalité organisée. Mais notre responsabilité est de construire des horizons acceptables pour la jeunesse."

"Un mythe du voyou"

Parmi les trois prises de paroles du groupe Fà Populu Inseme, le plus largement représenté dans l'hémicycle de l'Assemblée, Don Joseph Luccioni a justement dépeint un contexte tendant à faire dériver les jeunes, notamment vers la drogue. "Trafic de stupéfiants et dérives mafieuses ne se confondent pas nécessairement, mais la drogue représente une manne financière conséquente permettant d'investir dans d'autres secteurs de l'économie, détaillait-il. Il existe dans ce pays un mythe du voyou, certains jeunes ne peuvent s’empêcher de céder à l’appel de l’argent facile, à la promesse de susciter l’admiration…"

Et si un jeune ne voit pas d'avenir, c'est surtout à cause de la spéculation immobilière, qui représente des milliards d'euros de déficit "légal" pour Paul-Félix Benedetti, qui n'en peut plus de l'emprise qu'a la criminalité organisée sur l'île. "Les Corses qui ont une trentaine d'années aujourd'hui ont vécu 500 homicides - une grande partie liée à des affrontements de bande - sept maires exécutés au cours de leur exercice, deux présidents de chambres consulaires, deux avocats et deux très hauts fonctionnaires, dresse le président du groupe Core in Fronte dans un silence de cathédrale. Ça fait beaucoup, on accepte aujourd'hui une vie quotidienne parasitée par le poids des forces et de l'économie souterraine."

Malgré les divergences de position et la mesure prédominante dans les discours de chacun, un consensus rassemble l'ensemble des membres présents dans l'hémicycle : "Il n'y a pas de fatalité".