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Jean-Jacques Fagni, procureur général : "Ce qui est préoccupant, c’est d’utiliser la violence plutôt que le dialogue pour s’exprimer"


Paule Cournet le Vendredi 19 Janvier 2024 à 20:45

Avec une hausse des homicides, des attentats et dégradations, mais aussi des violences intrafamiliales, le procureur général Jean-Jacques Fagn fixe le cap des priorités de la réponse pénale pour les mois et années à venir



Jean-Jacques Fagni, procureur général de Bastia
Jean-Jacques Fagni, procureur général de Bastia
- Le bilan de l’année écoulée laisse apparaître une hausse de l’activité pénale notamment avec une hausse des homicides
Tout à fait, cela fait partie des facteurs de préoccupations qui sont les nôtres. On est passé à un niveau d’homicides très important par rapport à l’année précédente avec 24 homicides et ou tentatives. Sept d’entre eux peuvent être qualifiés de règlements de comptes, ce qui veut dire que l’activité criminelle la plus nocive est en hausse sur tout le territoire de la Corse.

- Il y a aussi une forte hausse des attentats ?
- Cette hausse des attentats, notamment à l’explosif, impacte non seulement les victimes directes, mais elle peut avoir des effets sur des victimes collatérales. On a vu qu’à certains égards les personnes qui étaient visées n’étaient pas forcément des continentaux ou des étrangers, mais aussi des Corses, natifs de l’île ou qui venaient y passer quelque villégiature dans la maison familiale. Tout cela est donc très préoccupant, et ce qui est très préoccupant de manière générale, c’est d’utiliser la violence plutôt que le dialogue pour s’exprimer.

- Pour 2024, vous avez évoqué la lutte contre le trafic de stupéfiants comme l’une de vos priorités...
- La lutte contre le trafic de stupéfiants est une priorité qui a été inscrite dans la nouvelle circulaire de politique pénale territoriale. Nous en avons vu les effets collatéraux nocifs dans la récente affaire du quadruple homicide de Bastia puisque ce quadruple homicide a été commis sur fond de trafic et d’usage de stupéfiants alors même si ce n’est pas un règlement de comptes, en tout cas nous n’en avons pas la certitude aujourd’hui ,dans le cadre de relations entre clients et revendeur, comme ça peut être le cas sur le Continent dans des régions proches, on sait que c’est lié effectivement aux stupéfiants et à l’argent de la drogue. C’est un effet nocif qui pollue durablement notre société.

- Vous avez évoqué ces tags qui fleurissent « A droga fora » et vous dites « ce n’est pas suffisant » pour éradiquer le phénomène. Que faut-il faire ? 
- Souvent on pense que c’est l’étranger qui est le fautif. Ce n’est pas une problématique corse, c’est une problématique générale qui vise à stigmatiser l’autre en disant que ce n’est pas ma faute s’il y a du trafic de stupéfiants chez moi. Non, il faut se prendre en charge. Les usagers de stupéfiants ne sont pas tous d’origine maghrébine, d’origine continentale. Il y a de nombreuses personnes qui sont des Corses et qui sont impliquées soit en tant qu’usagers, soit en tant que revendeurs dans ces affaires de stupéfiants. Il faut avoir un minimum de lucidité. Donc, l’incantatoire « A droga fora », ça ne sert à rien. C’est inefficace et ça fait monter en puissance un sentiment de peur de l’autre, de xénophobie, qui n’est pas bon.
 
- L’un des dossiers sur lequel vous souhaitez vous concentrer également concerne la lutte contre les atteintes environnementales 
- Cela va effectivement faire partie de nos priorités pour 2024. La Première Présidente a annoncé ce fameux colloque que nous préparons, il aura lieu au mois de mars et la qualité de la lutte contre les atteintes environnementales est importante, car on se rend compte qu’il y a de plus en plus d’appétit. autour des questions environnementales : la bétonisation des côtes, mais aussi le traitement des déchets, le mauvais traitement des rejets des stations d’épuration, les constructions dans les lits de rivières… il y a tout un champ à explorer et à exploiter qui doit permettre de réduire cette pression sur les zones écologiques. Un pôle régional environnemental a donc été créé de manière générale par une loi de 2020 sur l’ensemble du territoire et installé en Corse en janvier 2022. Il prend ses marques et traite déjà un certain nombre d’affaires, des affaires dont les investigations sont longues et complexes. En 2024, les plus emblématiques vont sortir.

- La cellule familiale est l’un des piliers de la société corse. On assiste pourtant à une hausse des violences intrafamiliales. Y a-t-il davantage de cas ou y a-t-il une libération de la parole ?
Là encore, ce qu’on appelle le chiffre noir en matière de faits délictuels, il est difficile de faire la part entre ce qui, autrefois, n’était pas dénoncé, et ce qui aujourd’hui l’est du fait effectivement de l’action qui a été menée à la fois par la justice, les associations, etc., pour libérer la parole. Ce que l’on peut dire en tout cas, c’est que ces faits de violences ont augmenté en termes de dépôts de plaintes et que c’est un phénomène inquiétant, récurrent sur toute la Corse, et il doit donc, bien évidemment être pris en charge de manière efficace et vigoureuse par les autorités judiciaires et par les services de police et de gendarmerie, outre l’accompagnement des victimes et des auteurs, parce que les auteurs, il ne faut pas les oublier. Une fois qu’ils sont condamnés, on ne les remet pas dans la nature. Il faut prévoir des systèmes d’accompagnement pour qu’ils ne recommencent pas ce genre de faits.