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Gilles Simeoni : « L’autonomie est un moyen d'apporter des réponses efficaces aux problèmes du quotidien »


Nicole Mari le Lundi 4 Septembre 2023 à 17:08

C’est symboliquement à Aleria que Femu a Corsica a fait sa rentrée politique dimanche après-midi sous le signe de l’autonomie. Un évènement qu’il a ancré dans le combat historique pour mieux tracer le chemin vers ce qui est la norme en Europe en s’appuyant sur les expériences catalanes et du Val d’Aoste. Le parti de la majorité territoriale avait invité tous les partis insulaires. Etaient présents Core in Fronte, I Verdi Corsi et le macroniste Jean-Charles Orsucci. Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, a réaffirmé le cap, la nécessité de ne pas manquer le rendez-vous de l’autonomie, tout en traitant les urgences, mais aussi sa détermination à lutter contre le fléau de la drogue et les dérives mafieuses. Il a expliqué qu’il attendait que Paris clarifie sa position et que les trois prochains mois seront décisifs pour l’avenir de la Corse.



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse et leader du parti de la majorité territoriale, Femu a Corsica qui a fait sa rentrée politique à Aleria, le 3 septembre 2023.
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse et leader du parti de la majorité territoriale, Femu a Corsica qui a fait sa rentrée politique à Aleria, le 3 septembre 2023.
- Femu a Corsica a placé sa rentrée politique sous le signe de l’autonomie. Est-ce, pour vous, le dossier majeur de cette rentrée ?
- Il y a toutes les urgences du quotidien. Nous sommes sur tous les fronts pour les combattre, les régler ou essayer d’en atténuer la portée. Que ce soit dans le domaine économique, social ou sociétal, beaucoup de choses nous interpellent et révèlent aussi des mutations souvent profondes, structurelles de la société corse. Bien sûr, il faut répondre à cela, mais concomitamment il y a le fil historique de notre combat et des rendez-vous à ne pas manquer. L’autonomie est une revendication historique qui a cheminé pendant 50 ans. On sait comment les choses se sont passées depuis l’assassinat d’Yvan Colonna. La délibération de l’Assemblée de Corse, le 5 juillet, a été votée à une très large majorité. L’Assemblée de Corse et la Corse ont fait le job, c’est maintenant à l’Etat de répondre et de dire comment il propose d’organiser la discussion autour de cette délibération. Il ne faut pas perdre de vue l’importance de cette séquence, notamment la nécessité d’avoir une réponse claire sur le fond et un calendrier de la part de l’État. Cela devrait arriver dans les prochains jours ou les prochaines semaines.

- Vous avouez : « Je ne sais pas vers quoi veut tendre l’Etat ». Vous n’avez toujours pas eu de réponse de Paris ?
- Non ! Après un large débat et des délibérations cadre extrêmement claires sur l’armature générale ou le chemin que nous proposons d’emprunter, c’est maintenant à l’Etat de clarifier sa position. L’accord politique global sur le chemin constitutionnel, sur les grands principes du statut d’autonomie et sur les contours de la solution politique doit intervenir d’ici à la fin de l’année, si on veut une révision constitutionnelle en 2024 ou 2025. Je le répète : on ne peut pas manquer ce rendez-vous là, mais on ne peut pas non plus le dissocier de tous les enjeux, questions et problèmes du quotidien que nous devons aborder, y compris sans attendre les réponses de l’État. Tout en gardant en tête que l’autonomie est aussi le moyen institutionnel d’être mieux armé pour traiter l’ensemble de ces problèmes et leur apporter des réponses efficaces. La revendication d’autonomie ne peut pas être opposée aux problèmes du quotidien.

- C’est pourtant ce que fait une partie de l’opposition ?
- La réalité démontre tous les jours que l’autonomie est aussi un viatique, une philosophie et un moyen opérationnel pour mieux répondre aux questions économiques, sociales, aux questions du coût de la vie, du prix de l’essence, du foncier, du logement, de la transmission du patrimoine, de la langue... Et puis, en arrière-plan de la revendication d’autonomie, il y a la vision de la société que nous portons et que nous voulons construire. C’est là encore une façon de répondre à des questions, par exemple celles de la drogue et des ravages qu’elle cause dans la société corse comme dans les autres sociétés, ou la question des dérives mafieuses. Comme je l’ai dit, l’État a vocation à exercer sans faiblesse et sans excès ses compétences régaliennes dans le domaine de la police et la justice. Au-delà de ces compétences régaliennes, il doit y avoir la réponse du corps social corse. La meilleure réponse, le meilleur antidote à la culture mafieuse et à sa volonté d’emprise sur la société, c’est le projet national, c’est l’intérêt général, c’est la démocratie. Et cela, il faut le diffuser et le renforcer dans tous les secteurs et dans tous les domaines.

- Concernant la drogue, vous avez réaffirmé votre refus des logiques d’autodéfense, de xénophobie et de racisme ?
- Je l’ai dit clairement. C’était mon devoir. Ce fléau, qui est revenu cet été sur le devant de la scène à la faveur de différents faits divers, touche toutes les sociétés. Croire qu’il pourrait épargner la Corse est un fantasme ! C’est de la démagogie ! La société corse doit y faire face et réfléchir aux façons de le combattre, mais elle ne peut pas découpler cette réflexion et cette action de la vision globale à l’échelle de l’Europe et du monde. Il faut combattre sans faiblesse la drogue et celles et ceux qui en vivent et qui en tirent profit, quelque soit, la façon de générer ce profit et quelque soit leur place dans l’échelle du trafic de drogue. Il faut être présent sur le terrain, y compris dans les écoles, les commerces, les boîtes de nuit, les lieux de vie et les quartiers. Mais une fois que l’on a affirmé cela, on ne peut pas déraper dans des logiques d’autodéfense ou de stigmatisation. Dire que c’est la faute des Portugais, des Arabes ou de telle communauté, c’est un discours démagogique, xénophobe et raciste ! Vous voulez que l’on fasse le compte des Corses qui sont impliqués dans le trafic de drogue ? Quelques soient la tentation de la facilité, les inquiétudes et les angoisses que nous pouvons tous ressentir par rapport à des mutations profondes, notre devoir, notre honneur est de refuser ce glissement-là. Au-delà de la drogue se pose aussi le problème de la cohésion de la société corse, de la transmission de notre identité collective, de notre capacité à intégrer celles ou ceux qui arrivent et qui doivent aussi faire l’effort de s’intégrer. C’est notre vision politique depuis toujours, nous ne pouvons pas faire preuve d’une quelconque complaisance ou faiblesse, par rapport à des analyses, je le répète, réductrices, démagogiques, et quelques fois xénophobes et racistes.

- Vous réitérez la même fermeté envers les pressions de la mafia et votre volonté de prendre ce problème à bras-le corps ?
- L’engagement, que nous avons pris devant les Corses, est clair, que ce soit le fil historique de notre combat ou le combat pour la démocratie. Ce qui se passe depuis des mois et des années montre bien le caractère indissociable de l’émancipation nationale et de la construction démocratique. Souvent on se moque de moi en disant que je n’ai que le mot démocratie à la bouche. Je crois fondamentalement que l’aspiration à la démocratie et les nécessités de la démocratie comme méthode et comme objectif sont plus que jamais indispensables à la réussite de notre projet politique, quelques soient les difficultés ou les incompréhensions que cela peut générer. Notre société a trop pris l’habitude de faire primer les intérêts particuliers sur l’intérêt général, les logiques corporatistes sur l’intérêt de la Corse et des Corses. Le mandat, qui nous a été donné, est de faire prévaloir, en tout occasion, l’éthique et l’intérêt général. J’ai essayé de le faire sans ostentation et sans faiblesse. Tant que je serai aux responsabilités, ça sera comme ça, quelques soient les pressions et les difficultés !
 

Le débat sur l'autonomie avec le macroniste Jean-Charles Orsucci, l'écologiste Agnes Simonpiertri, le porte-parole de Core in Fronte, Olivier Sauli, l'eurodéputé catalan Jordi Solé, la vice-secrétaire de Femu a Corsica, Livia Volpei, la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, le Président du Val d’Aoste, Alberto Bertin, et le conseiller territorial, Romain Colonna.
Le débat sur l'autonomie avec le macroniste Jean-Charles Orsucci, l'écologiste Agnes Simonpiertri, le porte-parole de Core in Fronte, Olivier Sauli, l'eurodéputé catalan Jordi Solé, la vice-secrétaire de Femu a Corsica, Livia Volpei, la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, le Président du Val d’Aoste, Alberto Bertin, et le conseiller territorial, Romain Colonna.
- La rentrée politique de Femu s’est déclinée autour de trois thèmes et de conférences-débats. Etait-ce aussi une façon de répondre aux critiques de vos ex-alliés qui affirment que l’autonomie est un piège ?
- Les trois thèmes, que nous avons abordé, font sens. D’abord, le rappel des évènements d’Aléria à travers la conférence de Marc'Andria Castellani et les échanges avec le public entre toutes les générations, notamment entre les anciens d’Aleria et les jeunes, sur la mémoire de ces évènements et leur perception par la génération née dans les années 90-2000, l’enjeu de transmission et le fil historique du combat qui est le nôtre. Ensuite, le débat en deux volets sur l’autonomie : un premier volet avec des invités étrangers, l'eurodéputé catalan Jordi Solé, et le Président du Val d’Aoste, Alberto Bertin. Il est important que des gens, qui vivent l’autonomie depuis des décennies, viennent nous dire combien elle a été un facteur de progrès pour les sociétés qui en ont bénéficiée. Jordi Solé, indépendantiste catalan, nous a expliqué que même s’il était pour l’indépendance, l’autonomie, pendant quatre décennies, a permis de développer l’économie catalane, de renforcer la protection sociale, de faire vivre la langue. La situation en Catalogne ne serait pas la même dans ces trois domaines essentiels, s’il n’y avait pas eu ce statut d’autonomie. Alberto Bertin, même si l’acuité politique est moins grande pour le Val d’Aoste, a, lui aussi, expliqué comment l’autonomie a permis de développer tranquillement et de façon apaisée l’économie, le système de protection sociale et les politiques linguistiques. Ce soutien extérieur européen et méditerranéen est, pour nous, essentiel parce que la position de la France est globalement marginale en Europe, que ce soit vis-à-vis de l’approche linguistique ou du choix institutionnel. Ce que nous demandons en fait, c’est le droit commun de toutes les îles de Méditerranée et de tous les territoires à forte identité. Et si ce soutien est aussi unanime, c’est parce que nous avons démontré dans nos choix politiques et dans nos prises de position que notre nationalisme est un humanisme et qu’il est enraciné dans l’action démocratique. Il est hors de question de revenir là-dessus, parce que cela nous conduirait à perdre notre identité et notre âme et cela nous coûterait ces soutiens.
 
- A suivi un débat interne à la société corse où vous aviez invité tous les partis politiques. Pourtant le PNC et Corsica Libera, qui réclament sans cesse une concertation du mouvement national, vous ont boudé ?
- Nous avons invité tout le monde. Certaines forces nationalistes ont choisi de ne pas venir. Nous respectons ce choix, mais nous pensons que c’est une erreur. Nous restons déterminés à discuter avec tout le monde, et d’abord bien sûr avec l’ensemble des Nationalistes. Plus que jamais, notre objectif est de faire converger l’ensemble des Nationalistes et l’ensemble des Corses qui ne veulent pas manquer ce rendez-vous historique. Dans cette perspective, les interventions à des niveaux différents et selon des sensibilités différentes d’Eculugia Sulidaria avec Agnes Simonpiertri, de Core In Fronte en tant que mouvement indépendantiste, et de Jean Charles Orsucci, ont été importantes. Jean Charles Orsucci, avec des réserves et des désaccords, nous a dit qu’il reste persuadé que l’autonomie est la meilleure réponse institutionnelle et qu’il faut aussi trouver une solution politique. Cela montre bien le caractère positif du débat d’hier et la ligne politique avec laquelle il faut aborder les échéances décisives qui se profilent devant nous. C’est la réaffirmation de notre fil stratégique, notamment depuis 2015 : autonomie, solution politique globale, fil historique, recherche de convergence avec l’ensemble des Nationalistes, et, au-delà des Nationalistes, avec tous les Corses qui veulent construire ce pays.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.