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Gilles Simeoni : « Il faut faire acter par le gouvernement la nécessité d’une solution globale »


Nicole Mari le Jeudi 2 Juin 2022 à 21:34

Par un courrier du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, daté du 27 mai et reçu le 1er juin, le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, a reçu confirmation du report à fin juin de l’ouverture des discussions sur le processus d’autonomie. Prenant acte d’un retard qu’il déplore, il a, jeudi matin, en session de l’Assemblée de Corse, réaffirmé des principes et le cadre politique des discussions. Il explique à Corse Net Infos que s’il est prêt à œuvrer à des convergences les plus larges possibles, pas question d’accepter une autonomie au rabais.



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
- Vous avez reçu un courrier de Darmanin qui reporte l’ouverture des négociations sur l’autonomie à fin juin. Comment réagissez-vous ?
- J’aurais préféré, je l’ai dit publiquement, que cette réunion se tienne avant parce que je considère qu’il y a urgence à engager enfin le processus. Ceci étant, je me réjouis que le principe de l’ouverture du « processus à vocation historique », selon la formule contenue dans le document que j’ai cosigné avec le ministre Darmanin, commence et qu’il commence, comme c’est indiqué dans cette lettre, par une première réunion à la fin du mois de juin.

Le ministre de l’Intérieur propose-t-il de décliner une feuille de route ?
- Non ! C’est une première rencontre. Nous allons d’ici là travailler à l’ordre du jour, déjà la composition de la délégation Corse, ensuite certainement la définition d’une méthode et d’un calendrier, également la façon d’aborder les différentes thématiques, enfin les participants au processus. De ce côté-là, j’ai d’ores et déjà fait des propositions que je compte maintenant formaliser et élargir à l’ensemble des élus et des forces vives de Corse.

Quelle sera, pour vous, la ligne politique de cette réunion ? 
- En termes de méthode, comme je l’ai déjà dit, je pense qu’il est indispensable que l’ensemble des forces politiques représentées au sein de l’Assemblée de Corse, mais aussi au-delà, et l’ensemble des forces vives soient impliqués dans le processus selon des modalités qu’il reste à déterminer. Il faut trouver un point d’équilibre entre la nécessité de permettre à tout le monde de participer et l’impératif d’efficacité pour que nos travaux soient utiles. Il y a, ensuite, deux rendez-vous importants en amont de la réunion. Le premier, en accord avec la présidente de l’Assemblée de Corse, est de proposer aux présidents de groupes de nous réunir pour, chaque fois que possible, définir une position commune aussi bien sur la composition de la délégation que sur l’ordre du jour. La priorité sera aussi de trouver, sur le fond, des convergences les plus larges possibles, dans un premier temps avec l’ensemble des Nationalistes, mais aussi au-delà, conformément à notre philosophie politique. Sur l’aspect économique et social, nous avons réuni la Conférence sociale pour qu’elle soit un lieu de recueil de contribution des acteurs économiques et sociaux. Nous avons également la volonté de travailler à une proposition d’adaptation législative concernant la loi sur le pouvoir d’achat qui va être débattue et votée à la fin du mois de juin devant l’Assemblée nationale. Des réunions avec les acteurs sociaux et les forces économiques seront également organisées, à mon initiative, avant la fin du mois de juin pour que l’ensemble de la délégation Corse, des forces politiques et des forces vives, se donnent les moyens d’être les plus cohérents et les plus pertinents possibles.
 
-  Quelles sont pour vous les priorités ?
- Il y a deux choses importantes. Déjà, il faut faire acter par le gouvernement la nécessité d’une solution globale. A mon sens, et cette analyse est aujourd’hui largement partagée, le processus doit permettre de resituer la question Corse dans sa dimension historique, d’aborder les aspects symboliques, politiques, institutionnels avec la discussion sur l’autonomie de plein droit et de plein exercice. Je considère que, dans le cadre de ces négociations politiques, il ne peut pas y avoir de ligne rouge, c’est-à-dire d’exclusion à priori de certaines questions. Je pense, par exemple, à la coofficialité, au statut de résident ou à la reconnaissance du peuple corse qui, pour nous, sont des éléments centraux. Au-delà de ces aspects, il y a également le volet économique, social, linguistique, culturel et sociétal. C’est en fait l’ensemble des problématiques, qui conditionnent une solution globale, qui doivent être abordées dans le cadre du processus. 

Concernant la loi sur le pouvoir d’achat, quelle adaptation législative envisagez-vous ?
- Il faut intégrer, dans le projet de loi, le différentiel supporté par les salariés et les ménages corses. Le gouvernement présente une loi sur le pouvoir d’achat pour compenser l’augmentation des prix et l’inflation, mais si cette loi est appliquée telle quelle, elle laissera subsister le différentiel de prix entre la Corse et le continent. Il nous faut donc profiter de cette loi pour mettre en place des mécanismes même transitoires, le temps d’aller vers des mesures plus pérennes qui permettent d’effacer en toute ou en partie le différentiel. Par exemple, le chèque alimentaire, qui est prévu, à ce jour, à 60 €, pourrait être doublé en Corse pour compenser le différentiel sur les salaires qui sont en moyenne les plus bas de France. De la même façon, la prime exceptionnelle sur le pouvoir d’achat dite « Prime Macron », que le Chef de l’Etat prévoit de tripler pour atteindre, dans certains cas, jusqu’à 6 000 €, doit tenir compte des contraintes sociales et de l’insularité. Nous proposons, après discussion avec les acteurs sociaux, une augmentation de la prime à laquelle nous sommes prêts à contribuer. Le gouvernement va prolonger la prime carburant et la remise de 18 centimes par litre jusqu’à la fin de l’année, mais en Corse, nous continuons d’avoir un différentiel de 10 centimes au litre. Il faut mettre en place une prise en charge de ce différentiel dont le coût est marginal par rapport au coût global de la mesure. Concernant l’indexation des retraites sur l’inflation, nous demandons de même l’intégration du différentiel des prix pour le territoire insulaire puisque les retraites sont bien plus basses qu’ailleurs. En résumé, en Corse, la vie coûte plus cher et les salaires sont moins hauts que sur le continent, ce cumul est une double contrainte qu’il faut prendre en compte.


 L’opposition de droite estime qu’il faut arriver unis autour du plus petit dénominateur commun. Comment l’entendez-vous et y adhérez-vous ?

- Je pense que, chaque fois que cela est possible, notre devoir à toutes et à tous, notamment le mien, est de faire que la Corse puisse parler d’une même voix. Ceci étant, cette volonté de parler d’une même voix ne peut pas conduire à un unanimisme de façade, à taire les différences et quelquefois les divergences, ou à accepter un accord qui viserait à aligner vers le bas le niveau de revendications de la Corse. Si j’ai la volonté de construire les convergences les plus larges possibles, j’ai aussi une vision politique qui s’inscrit dans le fil historique du combat du peuple corse pour la reconnaissance de ses droits et un cadre politique qui a été validé par les urnes à trois reprises, en 2015, en 2017 et en 2021. J’ai clairement demandé aux Corses de donner une majorité à la liste Fa Populu Inseme pour que nous puissions défendre le principe d’un statut d’autonomie et, au-delà, le principe d’une solution politique globale avec, de fait, la reconnaissance du peuple corse. C’est avec ces objectifs-là et autour de ces notions-là que nous irons à la négociation, conscients aussi que celle-ci doit inclure des aspects stratégiques opérationnels dans le domaine de l’économie, du social, des infrastructures et dans toutes les grandes questions qui conditionnent la vie des Corses.

Que répondez-vous à ceux qui disent aussi que l’autonomie n’est qu’un mot vide et qu’on ne sait pas ce qu’il y a dedans ?
- Je sais parfaitement ce qu’est l’autonomie ! C’est une notion juridique qui est parfaitement définie aussi bien par les juristes que par les politiques. L’autonomie, c’est la capacité normative d’intervenir dans des domaines de compétences qui sont strictement réservés à l’entité autonome. Des exemples existent dans le droit français et dans le droit européen. L’exemple, qui est pour nous très inspirant, est celui de la communauté autonome des Açores dans laquelle le peuple des Açores est reconnu dans sa singularité historique. La Constitution d’un État unitaire, le Portugal, prévoit une répartition des compétences dans laquelle l’Etat portugais exerce les compétences régaliennes tandis que la communauté autonome des Açores exerce librement, dans le respect de la Constitution, l’ensemble des autres compétences d’un statut d’autonomie. 
 
- D’autres affirment que l’autonomie ne marche pas. Vous avez reçu le chef du gouvernement basque, qui a un statut très avancé et une vraie réussite. Est-ce un exemple à suivre ?
- Oui. C’est un autre exemple. Le Pays basque est une communauté autonome depuis 1979, date du statut d’autonomie. C’est vrai que l’expérience du Pays basque, telle que présentée par le président du gouvernement basque, est une expérience éclairante. Elle montre qu’au-delà des revendications politiques et institutionnelles, l’autonomie est une façon de répondre et de mieux répondre aux problématiques du quotidien. Il suffit de voir les résultats du Pays basque dans le domaine économique et social avec des indicateurs particulièrement parlants. Par exemple, un PIB qui est 30 % au-dessus de la moyenne espagnole et qui permet au Pays basque de se situer parmi les territoires les plus riches d’Europe. Également des mécanismes de solidarité sociale innovants, un taux de sortie du système scolaire sans diplôme qui est le plus bas d’Europe. Une société dans laquelle l’espérance de vie est la plus haute d’Europe. Ces indicateurs montrent bien que l’autonomie fonctionne, qu’elle permet d’améliorer la vie des gens, y compris dans les domaines les plus concrets et les plus quotidiens. 

Cette expérience est-elle transposable ?
- Pas strictement. Il nous faudra certainement du temps pour arriver au même niveau d’autonomie. Le Pays basque s’adosse sur les fueros, qui sont le fondement juridique historique de sa spécificité fiscale et qui lui valent d’avoir le statut d’autonomie le plus avancé des communautés autonomes espagnoles. Les institutions du Pays basque lèvent aujourd’hui la totalité de l’impôt et en reversent environ 7 % à Madrid pour les compétences régaliennes qui sont exercées par l’État espagnol sur le territoire basque. Le premier statut d’autonomie date de 1936, il a été interrompu par la longue parenthèse du franquisme, mais le peuple basque n’a jamais renoncé à être reconnu et avoir des institutions qui lui permettent de maîtriser son destin. Le second statut d’autonomie de 1979 prévoit le transfert intégral de 130 compétences, dont 30 n’ont toujours pas été transférées. Cela fait toujours l’objet de revendications. C’est une autre situation que la Corse, mais je vous rappelle qu’il y a eu des violences politiques terribles au Pays basque, un conflit politique extrêmement aigu et la dissolution de l’ETA. Il reste une centaine de détenus dont le sort est en suspens. Il y a, donc, également la nécessité de pacifier, par le dialogue et la démocratie, la société basque. Le processus de paix en cours permet au Nord comme au Sud d’impliquer les autorités politiques, morales et philosophiques dans la recherche d’une solution globale. 
 
Propos recueillis par Nicole MARI.