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Fracture numérique et disparition des services publics en Corse : L’appel à l’aide des communes


Nicole Mari le Dimanche 10 Mars 2019 à 21:16

Comment surmonter le défi de la fracture numérique qui se double d’une fracture administrative et sociale ? Comment sortir les territoires ruraux de la fatalité des zones blanches et permettre l’accès aux services publics dans un monde toujours plus dématérialisé ? Pour Marie-Hélène Padovani, conseillère territoriale du groupe Andà Per Dumane et conseillère municipale de San Martino di Lota, l’enjeu est évident : il faut aider les communes, désormais seul relais existant entre une population désemparée et les services publics. Face à la désertion de l’Etat, elle en appelle à la Collectivité de Corse (CDC). Lors de la dernière session de l’Assemblée, elle a, par le biais d’une question orale, interpellé l’Exécutif sur le sujet.



Le hameau de Canale à San Martino di Lota.
Le hameau de Canale à San Martino di Lota.
- Quelle est la problématique ?
- Le numérique est, aujourd’hui, un atout essentiel pour le développement de notre microrégion, voire du territoire. Or, nous subissons une fracture technologique. Nous avons des problèmes de connexion et de téléphonie, d’accès la 4G quand ce n’est pas l’absence totale de réseau ! Ces problèmes, il faudra bien les résoudre si on veut développer nos territoires et l’intérieur. San Martino di Lota, qui est une commune périurbaine, a des hameaux de montagne qui rencontrent les mêmes problèmes que le rural. La connexion Internet n’y est que 512 Ko ! Il y a un hôtel qui doit fonctionner avec ça ! Dans le monde actuel, tout passe par Internet. C’est très compliqué de développer une activité économique au sein des hameaux de l’intérieur, compliqué d’accéder aux services en ligne ou à la télémédecine.
 
- La commune fait partie de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia) qui met en place la fibre. N’y-a-t-il pas une opération en cours sur votre commune ?
- Oui ! La commune devrait être entièrement fibrée avant la fin de l’année. Une partie l'est déjà depuis le début du mois. C’est un vrai régal ! Avant, on perdait un temps fou ! Aujourd’hui, la connexion est rapide et puissante, on peut travailler. La population est contente, mais cela ne résout pas le souci que nous avons. La société se déshumanise. Les services publics disparaissent de plus en plus. On ferme les agences postales, les écoles, les trésoreries … Pour des raisons de rentabilité, l’Etat quitte les territoires et dématérialise. Il n’y a plus personne ! C’est une fracture sociale, administrative. La population n’a plus qu’un seul relais : la mairie.
 
- C’est-à-dire ?
- La population a une forte demande quand elle a une déclaration d’impôt à faire, des formulaires à remplir : une carte grise… Non seulement les gens n’ont pas un accès au débit suffisant à la maison pour aller sur Internet, mais souvent dans les hameaux, l’âge est vieillissant. Certains n’ont pas d’ordinateur. Les gens viennent en mairie pour demander de l’aide : « Comment je fais ? ». Ils ne s’en sortent pas ! C’est la même chose pour les petits artisans. Une loi sur les PME, qui a été pondue très loin de la réalité des territoires, nous oblige à dématérialiser tous les appels d’offres au-delà de 25 000 €. Mais 25 000 €, c’est très peu ! Nous avons la chance d’avoir sur la commune des petits artisans qui peuvent répondre à ces appels d’offres, sauf que pour y répondre, ils sont obligés d’aller sur Internet et de rentrer sur une plateforme. Résultat : on a très peu de réponses ou pas du tout ! Les petits artisans ne sont pas équipés et n’ont ni le temps, ni la formation pour le faire. Il faut les aider.
 
- Pourquoi les gens viennent-ils en mairie pour ces services qui ne sont pas de votre compétence ?
- La mairie est devenue le centre d’information essentiel et unique. Le maire est le seul élu de proximité qui reste sur le territoire, il joue tous les rôles ! Le personnel municipal essaie de répondre au mieux, il a une charge supplémentaire de travail par rapport à cette dématérialisation que l’Etat impose. A San Martino di Lota, nous avons été contraints de créer pratiquement un poste à temps plein pour répondre à ce genre de situation. Sur le hameau de montagne, la mairie annexe est ouverte tous les jours. Nous avons récupéré l’agence que La Poste a fermée, elle est devenue une agence postale communale. C’est un besoin ! Aujourd’hui, il faut se battre pour les services publics. C’est le désert, même à proximité de Bastia ! La commune se bat pour avoir un distributeur de billets, elle n’arrive pas à l’obtenir. Elle a mis à disposition un bureau multi-services équipé pour accueillir, une fois par semaine, des services comme les Impôts, la CAF… Seule vient l’assistance sociale ! Ensuite, on nous parle de limiter les déplacements urbains, mais pour les limiter, il faut que les gens puissent laisser les voitures à la maison.
 
- Qu’avez-vous demandé à l’Exécutif ?
- En 2017, l’ADEC a mis en place un plan d’action d’une durée de trois ans avec trois mesures : le chèque connexion, la création d’un service public de la médiation numérique et une stratégie d’inclusion numérique. Nous avons demandé à l’Exécutif où en était ce plan et quels étaient ses effets ? Mais, en dehors d’amener le numérique partout, dans toutes les maisons jusqu’à la plus petite, il faut, aussi, aider la population à l’utiliser. Une fois par semaine ou tous les 15 jours, dans un secteur bien déterminé, une personne peut venir en mairie répondre aux questions de la population, l’aider à faire des papiers, des déclarations... Nous avons demandé à l’Exécutif de se pencher sur la question. Ce défi du numérique ne peut-il pas être un défi économique avec la création de nouveaux emplois, de nouveaux métiers : des travailleurs sociaux qui œuvreraient au cœur des territoires isolés ? On a créé une formation pour les jeunes, ne pourrait-on pas créer aussi une formation pour les femmes de plus de 40 ans qui ont un taux de chômage important ? Cette formation serait financée par la CDC et mise au service de la population.
 
- Quelle a été sa réponse ?
- Sur la question précise de l’aide aux communes, le président de l’Exécutif a répondu qu’il s’y penchera. Il nous a annoncé que d’ici à la fin de l’année sera présentée, à l’Assemblée de Corse, la feuille de route du nouveau schéma directeur territorial sur le numérique. J’espère que l’aide aux communes sera prise en compte dans ce cadre-là. Pour les appels d’offres, il nous a dit qu’un travail était déjà mené pour faciliter l’accès de nos PME à la commande publique et qu’un rapport serait également présenté à l’Assemblée de Corse avant la fin de l’année. Il nous annonce aussi le renforcement de la territorialisation, sa volonté de ramener l’Assemblée de Corse au plus proche des territoires, mais on ne peut pas penser développer l’intérieur sans s’appuyer sur les communes ! En dehors des investissements qu’il faut, bien entendu, faire et qui sont de la compétence de la CDC, il faut aider les petites collectivités qui, souvent, n’ont qu’une secrétaire pour trois communes. Nous cumulons les handicaps. Il faut être réaliste ! Ce n’est pas possible d’y arriver !
 
- Cette réponse vous satisfait-elle ?
- Le président de l’Exécutif nous dit que le développement du numérique est un enjeu essentiel pour notre territoire au même titre que pour toutes les régions de Corse. Nous lui faisons confiance. Il a pris conscience du problème, je pense qu’il y répondra favorablement. Nous lui laisserons le temps de mettre en place les mesures annoncées. Cependant, nous restons vigilants. Nous attendrons la feuille de route, nous verrons, à ce moment-là, si notre demande d’aide a été entendue. Si d’aventure elle ne l’est pas, nous remonterons au créneau pour rappeler à l’Exécutif qu’il est important d’aider au quotidien la population. Aujourd’hui, avec la fusion des trois collectivités, le seul service public qui reste sur le territoire, c’est la commune ! Nous sommes le seul lien existant entre la population et le service public. C’est un enjeu, non seulement de service et de formation, mais aussi de développement économique et d’aménagement du territoire. C’est vital !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Marie-Hélène Padovani, conseillère territoriale du groupe Andà Per Dumane et conseillère municipale de San Martino di Lota.
Marie-Hélène Padovani, conseillère territoriale du groupe Andà Per Dumane et conseillère municipale de San Martino di Lota.