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Fin de vie : "En Haute-Corse, les demandes d'aide à mourir sont rares"


Rose Casado le Mercredi 12 Juin 2024 à 10:07

Alors que les députés devaient reprendre ce lundi 10 juin l'examen du projet de loi ouvrant sur l'aide à mourir, la décision du Président de la République d'appeler les Français aux urnes, les 30 juin et 7 juillet, remet le compteur législatif de la fin de vie à zéro sans pour autant l'enterrer définitivement.
CNI est allé à la rencontre de l'équipe mobile de soins palliatifs inter-établissements de Haute-Corse (EMSP) qui s'occupe au quotidien des malades en fin de vie.



Photo d'illustration
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Le sujet est clivant. Lundi 10 juin, l'examen du projet de loi sur la fin de vie devait reprendre au sein de l'hémicycle. Mais la dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de la République à l'issu des élections européennes a rabattu toutes les carte, repoussant donc les discutions à une date ultérieure.
Si le sujet soulève tout de même de nombreuses questions sociétales en France, il suscite la perplexité au sein de l'équipe mobile de soins palliatifs inter-établissements de Haute-Corse (EMSP). Issu d’un partenariat entre le Centre Hospitalier de Bastia et la Polyclinique Maymard, l'EMSP se déplace auprès des patients depuis 2009, à la demande des professionnels de santé, afin d'apporter leur expertise dans le domaine des soins palliatifs. « Les demandes d'aide à mourir sont rares », assure le docteur Monique Paolini, médecin exerçant au sein de l'équipe depuis 15 ans, après avoir constaté que « la plupart du temps, elles disparaissent lorsqu'un un problème sous-jacent est résolu », sur le plan physique ou moral. L'équipe mobile distille ses conseils aux soignants en charge, qui établissent par la suite des protocoles de soins médicamenteux ou des propositions adaptées aux difficultés psychologiques, pour répondre au mieux aux maux des patients. « Les patients continuent leurs soins tant qu'ils le peuvent. Ils ont toujours un espoir », note de son côté Janick de Masi, infirmière. Au cours de leurs interventions au sein du territoire de Haute-Corse, médecins et infirmières constatent que « la plupart du temps, les gens ont envie de vivre ». Et d'insister : « Notre rôle n'est pas d'aller vers la mort mais de les porter vers la vie le plus longtemps possible ». Malheureusement, nous sommes confrontés à plusieurs problématiques liées à l’accès des soins palliatifs, mais également au manque de connaissance de la patientèle sur les services dispensés. « Les soins palliatifs souffrent injustement d'une connotation négative, et associée d’emblée à la mort. C'est dommage, puisque ce sont des soins pour offrir un cadre de vie plus confortable », déplore l'infirmière.

Un manque de moyens

L'équipe mobile de soins palliatifs inter-établissements de Haute-Corse (EMSP) intervient auprès des patients et des professionnels de santé, afin de les diriger au mieux vers les soins palliatifs, jeudi 6 juin 2024.
L'équipe mobile de soins palliatifs inter-établissements de Haute-Corse (EMSP) intervient auprès des patients et des professionnels de santé, afin de les diriger au mieux vers les soins palliatifs, jeudi 6 juin 2024.
En juillet 2023, la Cour des comptes mettait en lumière que les besoins estimés en soins palliatifs « ne seraient couverts qu'à hauteur de 50 % ». Une carence dont la Haute-Corse souffrirait grandement. « Un certain nombre de patients qui auraient dû être soulagés n'ont pas accès aux soins palliatifs », pointe le docteur Monique Paolini. Et pour cause, l'équipe Corse rapporte que l’accessibilité à ses soins manque d’équité sur l'ensemble du territoire. Souvent proposés, ils ne pourraient pas toujours être déployés, notamment pour ceux qui souhaitent finir leur vie à leur domicile. Les villages les plus reculés pâtissent de l'absence de moyens dédiés, ne bénéficient pas de dispositifs appropriés et manquent de médecins généralistes. Ce à quoi s'ajouterait parfois, selon le médecin, un manque de formation en soins palliatifs pour le personnel soignant. « Certains patients n'ont pas de soins palliatifs adaptés, (...) et peuvent en venir à envisager l'euthanasie parce qu'ils ne sont pas correctement pris en charge », déplore-t-elle.

Une question de prise en charge

Afin de soulager les patients dont le diagnostic d'incurabilité a été établi, les soins palliatifs « ne doivent pas être mis en place en stade terminal de la maladie », prévient le docteur Monique Paolini. « Ils doivent arriver bien en amont, faire l'objet d'une réévaluation de l'état du patient, afin de franchir avec lui toutes les étapes de la maladie vers la fin de vie », ajoute le docteur de Gentile Pasquier, également membre de l'équipe. Et pour cause, lorsque les protocoles sont correctement mis en place lors de leurs interventions, l'équipe pourrait suivre le patient beaucoup plus longtemps car en réalité, cette phase palliative « ne correspond à aucune certitude en matière de prédictibilité du moment de la mort, et peut dans certains cas se compter en plusieurs années ».

Mais pour que l'accompagnement fonctionne de manière optimale, « il faut que tout un système s'axe autour du patient », en travaillant notamment avec la famille. « Nous arrivons à régler la plupart des souffrances et des demandes formulées par la patientèle insulaire », précise-t-elle. Ce qui limiterait fortement les demandes d'aide à mourir. « Ça nous est arrivé », se souvient tout de même le docteur Paolini, qui, par le biais du dialogue, assure avoir pu diriger le malade vers un traitement adapté.

Une méconnaissance des soins palliatifs

Dans certains cas, l'équipe constate que les patients n'ont pas connaissance des solutions pouvant être apportées par les soins palliatifs. « Il faut donc insister en amont, parce qu'ils peuvent régler de nombreux problèmes. » L'idée de la « dégradation physique » et de la dépendance, qui « terrifient » parfois les malades, fait partie intégrante des problématiques auxquelles l'équipe répond. « On peut mourir dignement sans aide à mourir active. Être affaibli et diminué ne veut pas dire que l'on est indigne », assure Janick de Masi, qui fait état d'une « dignité exceptionnelle chez les malades qui font face à la fin de vie ».
Par le dialogue avec les malades et leurs familles, les soignants s'attellent à faire comprendre que « la dignité se trouve ailleurs que dans le corps. Quand les patients se sentent bien, et qu'il n'y a pas de douleur, l'espoir reprend le dessus, et ils veulent aller jusqu'au bout. Le désir de resserrer des liens avec la famille, de régler des choses matérielles avant de partir, reprend, de fait, une place centrale dans leur vie », constate l'équipe, à l'unisson. De même les familles peuvent se préparer ainsi à la disparition de leur proche et se soutenir.
 
Si la fin de vie questionne aux quatre coins de l'hexagone, un recours médical existe déjà pour soulager les souffrances des malades, rappelle le docteur de Gentile-Pasquier. En effet, la loi Claeys-Leonetti datant de 2016, « a renforcé le droit d’accès aux soins palliatifs mis en place dans la loi du 9 juin 1999 », et « met à disposition les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance, pour permettre à nos concitoyens d’exprimer leurs volontés », explique le ministère de la Santé et de la prévention.

Pour « mieux répondre au droit de mourir dans la dignité », cette loi offre notamment la possibilité de demander « une sédation longue et continue jusqu'au décès ». Une procédure visant à endormir le patient jusqu'à la fin de sa vie. Ainsi, lorsqu'un patient au stade agonique - présentant une défaillance irréversible des principales fonctions vitales -, ou dont le diagnostic d'incurabilité a été établie, et qui ne souhaite pas attendre le stade agonique, les soins palliatifs « s’orientent vers une sédation ». Cette solution ultime intervient lorsque « les soins palliatifs arrivent à leur limite, malgré la mise en place de tous les traitements dont ils disposent », et que « tout aura été tenté, en vain », précise l'infirmière.

Si la sédation ne se soustrait pas à l'aide à mourir que peut offrir certains pays (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Portugal...), elle offre, selon l'équipe mobile de Haute-Corse, « une solution plus humaine en renforçant l’accompagnement et la sollicitude essentiels à la philosophie même des soins palliatifs ».