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Energie : L’Assemblée de Corse adopte une programmation pluriannuelle basée sur la transition énergétique


Nicole Mari le Dimanche 2 Avril 2023 à 08:54

Développement des énergies renouvelables et réduction de la consommation sont les deux piliers de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui a été adoptée, jeudi après-midi, à l’Assemblée de Corse. L’opposition, plutôt sceptique sur certains choix et la réalité des objectifs, a pointé des faiblesses et fait des suggestions, mais, après un débat intense et une mise au point ferme de l’Exécutif, s’est finalement globalement abstenue lors du vote. La PPE, qui valide la fin du Vazziu, la construction du Ricantu et le recours aux biocarburants, vise l’autonomie énergétique de la Corse à l’horizon 2050 par un changement de modèle.



La centrale du Vazziu. Photo CNI.
La centrale du Vazziu. Photo CNI.
« Il a fallu presque deux ans de travail intensif pour présenter ce rapport particulièrement important pour lavenir de l’île ». Julien Paolini, conseiller exécutif et président de l’AUE (Agence de l’urbanisme et de l’énergie), n’hésite pas à qualifier de « moment historique » la présentation de ce rapport stratégique très attendu, qui prend, dans un contexte international de guerre en Ukraine et de crise énergétique avec la relance des centrales nucléaires en France et des centrales à charbon en Allemagne, une résonance particulière. La nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui succède à la première PPE adoptée en 2015, est pensée, dès son origine, comme l’un des moteurs de la relance économique, de la mutation énergétique et de la transition écologique. Sa version modernisée propose un changement de modèle et fixe des objectifs précis et chiffrés en matière d’énergies renouvelables (ENR) et de maitrise de la consommation. « La Corse doit prendre toute sa part dans l’objectif européen de neutralité carbone à horizon 2050 et réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030. La mise en œuvre de la PPE nécessite un investissement sans précédent de près de 4,4 milliards deuros sur la période 2020-2028, assurant ainsi le maintien et la création denviron 3000 emplois », déclare le président de l’AUE. L’ambition est de faire de la Corse « un territoire exemplaire en matière de transition énergétique par une politique ambitieuse de sortie des énergies fossiles et, en corollaire, de lutte contre le dérèglement climatique. Elle doit également impérativement intégrer le choix du combustible utilisé pour alimenter les deux centrales électriques ».

Julien Paolini. Photo Michel Luccioni.
Julien Paolini. Photo Michel Luccioni.
Le choix des biocarburants
La nouvelle PPE acte la fin du Vazziu, la construction de la future centrale du Ricantu et l’alimentation des deux centrales thermiques aux biocarburants. Le choix des bioliquides résulte d’une étude menée en partenariat avec la DREAL et EDF en fonction de critères environnementaux sur la qualité de l’air et la santé publique, de disponibilité de l’approvisionnement et de coût. « Une conjoncture internationale tendue et un appel d’offres infructueux sont les deux facteurs qui nous ont conduit à réinterpréter la solution gaz naturel. Les bioliquides issus de la culture de colza sont des énergies renouvelables. Ils sont produits en grande quantité en Europe. Ils ont un impact carbone limité et leur coût d’achat est comparable à celui du gaz naturel », précise Julien Paolini. Avant d’ajouter : « Le Conseil exécutif assume pleinement ses choix de transition énergétique avec le recours au bioliquide, une montée en puissance des ENR avec un objectif de 74% en 2028, le doublement du taux d’autonomie énergétique fixé à 30% et la maitrise de la consommation en énergie par la rénovation de l’éclairage public, des logements sociaux, des établissements scolaires et des maisons de santé, ainsi que la sortie des concessions de gaz de ville à Bastia et Aiacciu. Nous ajoutons un troisième volet : recherche et innovation. Nous allons former une nouvelle génération et investir plus de 4 millions d’euros dans l’économie insulaire ». Il dévoile qu’au terme de « négociations laborieuses » avec l’Etat, un accord est intervenu la semaine dernière pour allouer à ce plan de rénovation « une enveloppe supplémentaire de 200 millions d’euros. La PPE prévoit la rénovation globale et performante de 7500 logements sociaux et 15 700 logements collectifs à l’horizon 2028 pour améliorer les conditions de vie des ménages modestes ». Et de conclure : « Cette PPE s’inscrit pleinement dans le fil historique des engagements nationalistes. Et réaffirme l’autonomie énergétique pour 2050 ».

Pas de plan B !
S'il était certain que le débat sur la PPE serait long et intense, il fut surtout soldé par une mise au point très ferme. Si tous les groupes d’opposition ont salué, à l’instar de Xavier Lacombe pour U Soffiu Novu, le travail de fond accompli par l’AUE, ils ont estimé globalement que la PPE ne répondait pas aux objectifs qu’elle devait se fixer. « Je suis partiellement rassuré parce qu’on n’a pas lâché la proie pour l’ombre », débute le maire de Peri. Avant de poser deux questions : « Il aurait fallu insister sur les dates de mise en service, notamment sur la nouvelle centrale du Ricantu désormais renvoyée en 2027. Cette PPE ne propose pas de plan B. Sur un sujet aussi stratégique, je pense qu’il aurait été opportun d’en avoir un. C’est une carence, un point faible. Sur la maîtrise de l’énergie, allons-nous avoir une feuille de route et quand ? Quand je parle de feuille de route, je fais référence à la possibilité de mesurer chaque année si les objectifs sont atteints ou non, avec bien sûr la satisfaction d’en finir enfin avec le fuel ». Son collègue, Jean-Michel Savelli, estime, quant à lui, que la PPE ne prend pas en compte les nouvelles demandes d’énergie. « La fin des concessions en gaz de ville représente 100 MW, la fin des véhicules thermiques génèrera un besoin en électricité de 180 MW. On est à près de 300 MW de demande nouvelle non prise en compte. Il y a beaucoup d’aléas. Surtout qu’on a peu de puissance nouvelle en termes d’offres, surtout que l’échéance du câble SACOI 3 c’est 2028… Si on est pessimiste et qu’on fait la balance entre l’offre et la demande, on constate un déséquilibre de 250 MW ». Il juge l’objectif d’économie d’énergie « irréalisable d’ici 2028. Le nombre de logements et de bâtiments publics est trop important et la période trop restreinte ». Et tacle un recours au colza dont « le bilan carbone global n’est pas forcément neutre ».

Paul-Félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Paul-Félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Pas recevable !
La critique n’est pas vraiment plus tendre côté indépendantiste. S’il reconnait que « sur certains côtés, cette PPE est sur la bonne voie », Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core in Fronte, affirme que « par d’autres, elle est sur la mauvaise voie, celle qui est imposée à la Corse depuis des années d’une logique de dépendance vers l'extérieur. Structurellement, elle prend deux décisions : entériner le schéma de puissance d’EDF et des achats extérieurs. Sur la réalité corse, ce n’est pas recevable ! Est-ce qu’un élu indépendantiste du ministère énergétique de la Corse voterait cette PPE ? Non ! Parce qu’elle conduit à une dépendance de 70% à l’extérieur ». Pour le leader indépendantiste, il aurait fallu faire autrement : « On manque de grands traceurs sur des perspectives d'indépendance énergétique, sur la mobilisation de nos ressources propres en matière d'éolien, de biomasse ou d'hydraulique. On n’y est pas ! ». Il regrette l'absence d'investissement dans l'hydroélectricité « utilisée à moins de 5% de son potentiel. On n’a toujours pas d’études d’aménagement du Taravu, du Liamone, de la restructuration du Rizzanese et du Golu. On peut récupérer plus de 10% de toute la production actuelle de la Corse ». Il propose d’y allouer une partie de l’enveloppe de 200 millions d'euros. Enfin, l’option colza ne trouve pas plus grâce à ses yeux : « La perspective d'utiliser de l'huile de colza pour faire fonctionner la future centrale d'Aiacciu est un habillage écologique. Le colza produit autant de pollution que le fuel léger. Il va générer un surcoût annuel moyen de 200 millions d’euros par an ». Là aussi, il propose d’utiliser l’argent pour financer des aménagements hydrauliques.

La place des communes
Jean-Christophe Angelini, président du groupe PNC-Avanzemu, enfonce le clou sur l’hydroélectricité « la grande oubliée de ce rapport pour des raisons qui ne vous sont pas toutes imputables » tout en émettant « des réserves sur l’impact écologique, les temps longs, les lourdeurs administratives, 10 ou 20 ans, avec des problématiques de financement ». Il plaide plutôt pour des installations de microcentrale hydroélectrique et tacle l'absence de concertation avec les communes dans ce type de projet. « Il faut donner aux mairies une aide d’ingénierie. Les communes n’ont pas vocation à regarder passer les trains sans être associées d’une manière ou d’une autre à ces équipements et aux bénéfices qu’ils génèrent ». Idem sur le photovoltaïque ou  les éoliennes où il propose de nouer des partenariats avec les communes. « Nous sommes dans l’attente du décret d’application de l’accélération des éoliennes pour la Corse. Il y aura des opportunités nouvelles. Nous vous demandons de laisser un certain nombre de latitudes à la Collectivité et de moduler avec des scénarii, des plans B, pas un scénario unique pour ajuster les objectifs ».
 

Josepha Giacometti. Photo Michel Luccioni.
Josepha Giacometti. Photo Michel Luccioni.
Le choix de l’Etat
La salve de l’élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti Piredda est plus dure. Elle dénonce « une méthode d'approvisionnement qui change, mais pas le modèle » et un choix de biocarburant « qui n’est pas celui du Conseil exécutif, mais de l’Etat pour ses colonies ». Sur les ENR, elle fustige « un retard considérable. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on va faire en quatre ans ce qu’on n’a pas réussi à faire avant. Nous avons des moyens que nous n’activons pas pour l’heure. On ne franchit pas le cap de l'opérationnalité des objectifs ». Et lâche : « Cette PPE ne construit pas un modèle d’indépendance énergétique, et encore moins d’autonomie. On n’y va pas ! ». Elle s’attire immédiatement les foudres de Nadine Nivaggioni, élue de Fà Populu Inseme : « Quand on attaque l’Exécutif, il faut connaître les dossiers, au moins les lire pour savoir ce qui a été réalisé. On a investi 1 milliard d’euros entre 2019 et 2022 ». La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, rappelle que « Dans toutes les îles se posent avec acuité le problème de l’énergie parce qu’elles sont très dépendantes des énergies fossiles. Qui dit autonomie énergétique dit forcément un processus long, et il y a forcément une transition. Nous sommes sur la bonne voie. Le retard, qui a été pris, a permis de mettre en place une nouvelle stratégie. L’indépendance dans le domaine énergétique, économique, ça n’existe pas ! ».

Une région à la pointe
C’est en substance la réponse de Julien Paolini qui défend « une position d’équilibre » et affirme qu’il est difficile d’aller plus vite : « Cette mutation va prendre du temps. Aller plus vite, c’est délicat. Nous avons obtenu de passer de 7,5 millions € de dotation de l’Etat à 45 millions € dans les années qui arrivent. Cela va accélérer les investissements ». Concernant les économies d’énergie, « on a déjà fait beaucoup, il n’y a pas de raison qu’on s’arrête en si bon chemin, alors qu’on a plus de moyens ». La sortie du gaz de ville ? « C’est une sortie progressive qui va mobiliser des fonds européens ». Les objectifs très élevés ? « Bien sûr qu’il y a un enjeu ! Les grandes mutations se sont toujours faites dans des crises majeures ». Les bioliquides ? « Si on n’était pas sûr du choix du bio-carburant, on ne l’aurait pas validé ». Sur l’hydroélectrique ? « La question est centrale. Un certain nombre d’études sont prévues pour la réalisation de grands barrages, elles ne sont pas de la compétence de l’assemblée, mais d’EDF. Je propose que la CDC en prenne le pilotage ». S’il est d’accord pour développer la petite hydroélectricité, il reste prudent sur le photovoltaïque « pour qu’il ne prenne pas le pas sur les activités agricoles ». Il annonce qu’un rapport sur les potentialités publiques-privées sera rendu d’ici quelques mois. Concernant le partenariat avec les communes sur les ENR, il rappelle l’amendement porté par le député Jean-Félix Acquaviva dans le cadre de la Loi sur l’énergie. Puis remet les choses au point : « En matière de photovoltaïque, la Corse est devenue, depuis 2015, la première des ZNI –Guadeloupe, Martinique, Réunion qui ont des taux d’ensoleillement très forts. La Corse est la première région française devant la Nouvelle Aquitaine et l’Occitanie. La Corse est surtout le premier pays de l’Union européenne devant les Pays-Bas et l’Allemagne. Alors quand j’entends qu’on est très en retard sur les ENR, c’est archifaux ! ». la Corse est également en tête des régions françaises pour le solaire thermique. Le président de l’AUE demande donc à l’Assemblée « d’envoyer un message positif aux Corses que la transition est en cours avec des politiques ambitieuses ».
 

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Les vertus d’une politique
Une demande relayée par le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, qui va, lui aussi, remettre certaines pendules à l’heure : « En tant que nationaliste corse et en tant que citoyen d’une petite île de Méditerranée qui a vocation à maitriser ses choix et à réduire ses dépendances dans un monde d’interdépendance, je suis heureux de vous présenter ce rapport ». Il réplique à Josepha Giacometti : « Vous dites que nous n’avons rien fait ! Nous avions prévu, à partir de 2015, d’investir 1,4 milliard € sur les ENR et les économies d’énergie, nous avons réalisé 863 millions €, soit 70% de nos objectifs. Nous nous apprêtons à voter et nous les avons pour les 5 ans à-venir : 4,4 milliards €. On prévoit d’investir 800 millions € dans les énergies renouvelables d’ici à 2028. Nous doublons l’effort ». A la droite, il rappelle que les retards sur SACOI ou sur le Ricantu ne sont pas imputables à l’Assemblée de Corse, mais à l’Etat : « La Corse n’a jamais eu son mot à dire ! ». Concernant le bioliquide ? « Il n’y a pas d’autre solution ! Le fuel, on n’en veut pas ! Tout le monde en sort ! Lourd ou léger, c’est une énergie fossile polluante. Le gaz, on ne peut pas l’amener ! S’ajoute le contexte nouveau des prix et de l’approvisionnement. L’Etat veut nous imposer le bioliquide, on pose deux conditions contractuelles. La première a trait à la santé publique avec les niveaux les plus bas en termes de pollution et au développement durable avec un colza produit en Europe. La seconde a trait aux mesures de compensation à hauteur de 200 millions € pour la maîtrise de l’énergie. L’Etat ne voulait pas, nous avons tenu. La négociation a duré deux ans. Nous avons fait une très bonne affaire pour la Corse parce que l’Etat a accepté de toper, mais il ne l’a fait que la semaine dernière. Il savait que le temps jouait contre nous car il fallait construire la nouvlle centrale et fermer le Vazziu qui ne fonctionne qu’à coup de dérogations avec le risque de blackout ». Avant de lancer à Xavier Lacombe « Les élus et la population de la CAPA, étiez-vous prêts à avoir une structure gravitaire dans le golfe d’Aiacciu pour desservir le Ricantu ? Vous savez bien que Non ! ». Et de marteler : « Ces 200 millions vont profiter à nos TPE-PME, nos artisans qui vont rénover les logements sociaux et des milliers de copropriétés de centre-ville dégradées. Ils vont permettre de restituer une économie énergétique de 1000 € par an aux gens qui en ont le plus besoin, près de 100 € par mois ! ». Il assume d’encourager la réorientation des entreprises vers d’autres types de marché. « Je préfère que les entreprises du BTP, les artisans travaillent pour produire du logement principal, de la réhabilitation dans les villages ou de la rénovation de logements sociaux plutôt que faire des villas de milliardaires sur le littoral ou ailleurs ». Il s’adresse aux Nationalistes : « Si vous considérez que vous devez vous abstenir ou voter contre, faites-le ! A votre place, je voterai à deux mains ».
Le rapport amendé a été adopté par les 32 voix de la majorité territoriale. Personne n’a voté contre. Core In Fronte, Avanzemu, U Soffiu Novu et Josepha Giacometti se sont abstenus.
 
N.M.