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«De Pascal Paoli à Napoléon Bonaparte, aux sources d’une pensée politique novatrice » le dernier ouvrage de Marie-Thérèse Avon-Soletti


Philippe Jammes le Dimanche 28 Novembre 2021 à 10:59

Dans son livre qui vient de paraitre aux Edition Piazzola*, l’auteure met en parallèle deux personnages qui, dans leurs différences, ont rendu l’espoir à des populations accablées. Rencontre avec Marie-Thérèse Avon-Soletti.



- Un mot sur vos racines corses ?
- Mon père est né à Solenzara, place de la marine, dans la petite maison attenante à l’Église Saint Paul. La famille Soletti est originaire de Bastia. Certains y sont restés. D’autres se sont installés à l’intérieur, ou sont allés vers le Sud jusqu’à Solenzara, Sari di Porto-Vecchio à l’époque. Du côté de ma grand-mère paternelle, la famille vient de Sainte Marie Sicché et de Sainte Lucie de Tallano.

- Votre parcours ?
- Mon parcours s’est déroulé en Droit à l’Université Jean Moulin, Lyon III. Parmi les choix offerts, je me suis spécialisée en Histoire du droit et de la pensée politique jusqu’à un Doctorat d’État en Droit. Ma thèse a porté sur la Constitution de la Corse au XVIIIème siècle. À l’époque, personne ne croyait à son existence puisque la recherche était essentiellement centrée en matière constitutionnelle sur la Révolution française. Moi-même, j’ai commencé à travailler sur le gouvernement de Pascal Paoli jusqu’à ce que l’évidence de la présence d’institutions constitutionnelles oriente la recherche vers une œuvre bien plus complexe que le croyaient les historiens et les juristes de l’époque. Mon directeur de thèse, le Professeur Laurent Boyer, m’a incitée à rencontrer des constitutionalistes (des spécialistes en Droit constitutionnel) dont le Professeur Jacques Cadart, pour leur demander si l’hypothèse d’une Constitution antérieure aux grandes Constitutions américaine et française, était plausible. Au vu des éléments réunis, le Professeur Cadart m’a fortement conseillée de continuer dans cette voie, quitte à prolonger la recherche de plusieurs années. Il a donc fallu démontrer qu’une Constitution avait bien été appliquée en Corse entre 1755 et 1769 ; ce qui m’a conduit à découvrir la doctrine sur laquelle elle a été fondée et qui explique son originalité. Après avoir été enseignant-chercheur en tant que maître de conférences d’histoire du droit à l’université de Saint-Étienne et à Lyon III, je suis actuellement maître de conférences HDR honoraire d’histoire du Droit.

Vos ouvrages publiés précédemment ?
- Ma thèse ayant obtenu une mention et le prix de l’université, j’ai pu la faire éditer en l’état. Elle est sortie aux Éditions La Marge en 1999, puis rééditée en 2001. Elle est toujours demandée, même si une réédition serait nécessaire pour la rendre accessible au public. Tout le temps de ma carrière universitaire, je me suis partagée entre l’enseignement et la recherche. J’ai notamment participé à un ouvrage collectif en droit social que j’ai dirigé :«Des vagabonds aux S.D.F. - Approches d’une marginalité»**. J’ai aussi écrit 10 articles et trois recueils de textes commentés dans Encyclopœdia corsicæ, L’Encyclopédie de la Corse***, et divers articles dans des ouvrages collectifs sur la Corse, des articles sur l’harmonie entre la nature et le travail de l’homme dans l’exemple de l’abbaye d’Hautecombe****.

Un résumé de vote livre ?
- Au XVIIIème siècle, le général Pascal Paoli crée dans l’île de Corse un État régi par une Constitution originale pendant quinze ans, de 1755 à 1769, année de la naissance de Napoléon Bonaparte. Même si celui-ci est envoyé sur le continent très jeune pour ses études, il reste attaché à cette expérience constitutionnelle qu’il rappelle avec enthousiasme en 1789. À cette époque, les fondements doctrinaux que les Corses du XVIIIème siècle ont mis en pratique ne sont plus connus. Pourtant, Napoléon Bonaparte devenu chef d’État, du fait de sa petite enfance passée dans l’île, retrouve les mêmes réflexes, les mêmes aspirations, qui expliquent l’originalité de la politique qu’il met en œuvre. À cette source natale, s’ajoute les sources historiques. Car, la culture des deux hommes d’État dépasse leur seule époque pour puiser jusque dans le Moyen-Âge et l’Antiquité des apports doctrinaux qui expliquent la solidité de la pensée politique qui les guide. À partir de ces principes, c’est leur capacité d’adaptation qui a fait de ces deux chefs d’État, chacun sur son terrain, des créateurs inclassables - ni conservateurs, ni progressistes - parce que leurs préoccupations se distinguent de celles des autres courants politiques.

- Pourquoi ce livre sur Napoléon et Paoli ?
- Alors que je préparais ma thèse et travaillais sur la Constitution de la Corse, comme tous les doctorants, j’étais responsable auprès des étudiants de travaux dirigés dont certains portaient sur la période révolutionnaire française, le Consulat et l’Empire. Or, la concomitance des travaux sur la période constitutionnelle corse et sur le passage de Napoléon Bonaparte au pouvoir en France m’a permis de relever des faits intrigants, des passerelles entre les deux époques, comme un air de famille que je n’aurais pas remarqué sans cela. Déjà, la conclusion de ma thèse est tournée vers ce qui sera dans l’avenir l’héritage corse dans l’épopée napoléonienne. Et puis, je me suis consacrée à d’autres domaines de recherche, comme l’Antiquité. Mais, quand Jean-Guy Talamoni et Jean-Dominique Poli ont proposé un colloque sur le Mythe de Napoléon, j’ai su qu’il me serait impossible de travailler sur Napoléon Bonaparte sans le relier à ses sources insulaires. De cette constatation, la notion de filiation avec Pascal Paoli a surgi puis s’est développée dans d’autres travaux, soit personnels, soit proposés lors de colloques. L’année dernière, l’idée de composer une synthèse de l’ensemble de ces recherches s’est imposée. Il fallait, par une démonstration fondée sur les faits, démontrer cette richesse inouïe de la présence de deux hommes d’État issus de la Corse, reliés par un esprit attaché aux mêmes sources et capables d’apporter un renouveau de la pensée politique. L’ouvrage m’a paru d’autant plus nécessaire que nous traversons une période de perte quasi-totale de la pensée politique alors que ces deux hommes, dans leurs différences, ont rendu l’espoir à des populations accablées, par la réalisation d’une unité fondée sur la justice et par la mise en place d’un régime constructeur.

Quelles ont été vos sources ?
- L’ouvrage est le résultat de travaux de recherche qui se sont succédé pendant plusieurs années pour aboutir à cette évidence d’une filiation entre Pascal Paoli et Napoléon Bonaparte, dont les qualités d’hommes d’État ont produit dans les deux époques une œuvre fondatrice d’une amplitude inégalée. Les sources se trouvent d’abord dans les documents. Bien sûr, de nombreux livres ont été lus dont la bibliographie du livre ne donne que quelques titres. Il aurait été impossible de répertorier la totalité des livres et autres ouvrages lus depuis des années. Cependant, comme me l’avait dit le Professeur Fernand Ettori quand j’étais allée le voir alors que je travaillais sur ma thèse : « Lire des livres sur un sujet est nécessaire. Mais, il faut toujours se méfier de la subjectivité des auteurs, de leurs erreurs, voire de l’erreur qu’ils ont pu reprendre d’autres auteurs. Rien ne vaut les documents originaux. Ils donnent les faits bruts. Même si ceux qui les ont écrits détournent la vérité, celle-ci néanmoins peut mieux se discerner ». Depuis cette entrevue dont j’ai gardé le souvenir indélébile avec ce grand universitaire, ce chercheur de vérité, j’ai toujours suivi cette ligne de conduite. Dans ma thèse, comme dans les cours que j’ai donnés et dans toutes mes recherches, quand cela est possible, je privilégie les documents. Quand je dispose d’une traduction, j’en suis heureuse car elle facilite le travail. Néanmoins, je préfère quand même lire aussi le texte original pour m’assurer qu’un mot crucial n’a pas été oublié ou qu’une tournure de phrase n’a pas changé le sens du texte. Donc, pour la Révolution française, le Consulat et l’Empire, j’ai travaillé sur les documents de l’époque que j’avais rassemblés pour préparer les travaux dirigés puis les cours destinés à mes étudiants, mais aussi les recherches universitaires. En ce qui concerne la Corse, de même j’ai eu la chance que l’Abbé Doazan me prête sa collection de Ragguagli, le journal édité par le gouvernement de la Corse. Autrement, les textes des consultes, la correspondance de Pascal Paoli, les divers édits ont bien souvent été consultés dans les Archives de Corse et du continent, ou dans diverses bibliothèques, voire dans des bibliothèques de particuliers qui recèlent bien souvent des trésors en Corse, comme vous le savez. En fait, les documents sont si nombreux qu’une personne seule ne saurait en venir à bout. La recherche apprend l’humilité. Savoir être heureux de la découverte d’un document, de la lecture du livre d’un auteur honnête, de la maturation des idées qui seule apporte la synthèse nécessaire à la réalisation d’un ouvrage. Surtout être soucieux de la vérité, rester lucide pour approcher au plus près de la vérité.

Napoléon et Paoli, pour vous ?
- Nous avons la chance en Corse d’avoir deux hommes d’État hors du commun et qui ont marqué la pensée politique. Je reste dans ce domaine qui est le sujet de mon livre sans déborder sur le côté événementiel qui a été abordé avec beaucoup de talents par d’autres auteurs. Dans le domaine de la pensée politique, il faudrait peut-être se demander comment une petite île a pu produire ces deux hommes exceptionnels à quelques dizaines d’années de distance à peine. Et plutôt que de critiquer l’un ou l’autre comme « des enfants boudeurs », être reconnaissants aux traditions de notre pays d’avoir su produire de tels hommes, inclassables, hors des modes de leur temps, et capables de transformer une situation désespérée en tremplin pour le renouveau d’une société. Pascal Paoli a eu cette chance de connaître les traditions insulaires et d’en vivre, et parmi elles, les traditions religieuses, mariales, franciscaines et vaticanes, ainsi que les autres traditions communautaires. Sa fidélité lui a permis de rester enraciné dans cette mentalité, son intelligence politique de faire monter ces traditions à un niveau étatique et sa force intellectuelle de mettre en pratique une doctrine véhiculée par ces traditions, alors qu’elle était oubliée sur le continent, doctrine sur laquelle a été fondée la Constitution de la Corse : la doctrine de droit naturel. Pour quelle raison certains Corses aujourd’hui s’obstinent-ils à chercher sur le continent ce que le général Paoli a trouvé en Corse et qui, justement, ne se découvre nulle part sur le continent ? Pour quelle raison le général Paoli aurait-il été à la remorque des idées continentales, toutes plus absolutistes les unes que les autres, mises à part celles prônées par quelques auteurs comme Montesquieu et Locke, alors qu’il crée un régime fondé sur le consentement et la participation active de tous, non seulement lors des élections mais dans la vie quotidienne puisque la loi créée par l’Assemblée générale de la Nation ne peut enfreindre les traditions populaires qui lui sont supérieures ? Pour quelle raison, trop de Corses se cramponnent-ils à des idées continentales du XVIIIème siècle destructrices de leur mentalité, par dédain pour leurs propres traditions qui dépassent ces quelques dizaines d’années pour se déployer sur des millénaires ? C’est la Corse qui a à apprendre au continent ce qu’est un régime de liberté, surtout à ces hommes du XVIIIème siècle qui n’ont jamais pu en produire un seul. La Corse reste un des rares pays à avoir mis en pratique la doctrine de droit naturel. Dans un pays sans route, sans argent et en pleine guerre, elle a su édifier un régime équilibré, intelligent, constructeur, et qui doit tout à ses propres traditions, religieuses, politiques, familiales et communautaires. Napoléon Bonaparte, quant à lui, est né en Corse où s’est passée sa petite enfance. Puis, il a été envoyé sur le continent pour parfaire son éducation. Il a donc vécu depuis son adolescence sur le continent marqué par l’absolutisme, tant religieux avec le gallicanisme que politique avec la monarchie absolue et l’esprit des Lumières. Il en restera pour sa vie imprégné d’absolutisme, à la différence de Pascal Paoli qui reste étranger à cette forme de pensée du fait de son attachement à la doctrine de droit naturel. Pour autant, Napoléon Bonaparte ne suit pas, sur de nombreux points, la politique en vigueur sur le continent. Alors que la guerre civile et religieuse dure depuis dix ans, il parvient en quelques mois à rétablir la paix entre Français. Alors que la haine dresse les Français les uns contre les autres au point que tous croient cette situation irréversible, il s’appuie sur l’unité qu’il étend à tous les domaines pour apprendre aux Français, monarchistes et républicains, à vivre côte à côte et à travailler ensemble. Alors que les gouvernements veulent obliger les peuples à suivre leur seule conception, il respecte la mentalité du peuple : il libère tous les prêtres et, parce que la majorité des Français est catholique, rend la liberté de culte qui avait été supprimée (sans oublier les autres religions). Alors que chacun était jugé d’abord sur ses opinions, il impose un rétablissement de la justice qui soit égale pour tous. Alors que l’égalité prônée dépendait d’abord de l’appartenance à un camp, il fonde la société sur le mérite qui fait naître une vraie égalité civile, à l’origine d’une ascension sociale ouverte à tous. Or, toutes ces actions politiques se retrouvent dans la Corse constitutionnelle de Pascal Paoli : la volonté de paix par l’unité, le respect de la mentalité du peuple, le souci d’une justice égale pour tous et l’aspiration à une société fondée sur le mérite, sans idéologie, sans faire de différence entre les personnes. Ces cinq points, qui ne se retrouvent nulle part ailleurs, forment le socle du régime aussi bien de la Corse constitutionnelle que de celui du Consulat et de l’Empire. C’est dans son héritage corse que Napoléon Bonaparte puise pour établir ce régime inclassable, non pas qu’il veuille copier qui que ce soit car il a son génie propre, mais parce qu’il a gardé en lui la mentalité qu’il a connue dans sa prime enfance et à laquelle il est resté fidèle. Et à l’esprit correspond la pratique. Le même esprit de synthèse d’une création d’un ensemble institutionnel se retrouve dans la période constitutionnelle corse et dans celle du Consulat et de l’Empire. Les institutions corses, par leur équilibre et leur cohérence, ont inspiré la création institutionnelle de Napoléon qui a fondé la France moderne et qui en forme encore le socle depuis plus de deux cents ans.

- Un message?
- Nous n’avons pas à aller chercher ailleurs ce que nous avons chez nous. Et c’est justement la force de Napoléon Bonaparte d’avoir su exporter sur le continent les bienfaits d’une mentalité dont il avait vécu tout jeune et d’en avoir fait bénéficier ceux qui n’avaient pas eu la chance de la connaître. Chacun a son talent. Les Corses ont un talent dont ils ne doivent pas avoir honte, mais dont ils doivent faire bénéficier non seulement leur île mais aussi le continent, comme Napoléon en son temps.


- D’autres ouvrages en projet ?
- Mes projets s’orientent dans différents domaines. D’abord, dans le domaine de la pensée politique, j’aimerais continuer à travailler sur la doctrine de droit naturel, en exposant la théorie de la résistance à la tyrannie qui est centrale dans la doctrine de droit naturel puisque le but de tout bon régime est le bien commun alors que le tyran est celui qui détruit le bien commun. Cette fois-ci, je me placerai du côté de ceux qui résistent pacifiquement à cette tyrannie pour exposer leurs arguments qui démontent la fausseté de cette pratique du pouvoir fondée sur le mensonge et l’oppression. Nous sommes dans un temps où il n’est pas mauvais de montrer quelques exemples de résistance pour la liberté. Dans un autre domaine, je serais heureuse de continuer à travailler sur la période constitutionnelle corse du XVIIIème siècle qui est tellement riche d’enseignement.
 
*Editions Alain Piazzola.
** Aux P.U.S.E. (2002 et 2003, 370 pages)
*** Éditions Dumane.
**** Éditions Serre

 

Marie-Thérèse Avon-Soletti
Marie-Thérèse Avon-Soletti