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Comité de Massif à Chiatra : Electrification, numérique et routes, priorité aux réseaux


Nicole Mari le Jeudi 22 Mars 2018 à 21:35

C’est à Chiatra, dans la communauté de communes de l’Oriente, que s’est tenue pendant près de 3h30, jeudi matin, la 9ème réunion de Comité de massif de Corse, en présence de son président Jean-Félix Acquaviva et du président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni. A l’ordre du jour : les désignations du maire de Levie, Don Napoléon De Peretti Della Rocca, pour siéger à la Chambre des territoires, du président Acquaviva et de Nelly Lazarini, pour siéger au Conseil national de la montagne. Un plan de renforcement et d’extension du réseau électrique a été présenté, le schéma routier et les questions de financement évoquées. Explications pour Corse Net Infos de Jean-Félix Acquaviva, président du Comité de massif de Corse et député de la circonscription de Corte-Balagne. Suivies en vidéo de celles de Don Marc Albertini, responsable d’EDF Haute-Corse, et de la réaction entre inquiétude et espoir de Jean-Claude Franceschi, président de la ComCom de l’Oriente.



Le 9ème Comité de massif s'est tenu à Chiatra, village sinistré lors des derniers incendies.
Le 9ème Comité de massif s'est tenu à Chiatra, village sinistré lors des derniers incendies.
- Quel était l’objet principal de cette réunion de Chiatra ?
- Nous avons présenté une méthode pour un plan d’action visant le renforcement et l’extension des réseaux d’électrification par le syndicat d’électrification de Haute-Corse et le syndicat de l’Energie de Corse du Sud. Ceci, dans le cadre de la mise en œuvre des moyens alloués au Schéma d’aménagement et de développement de la montagne. Les ressources financières, issues de la taxe de consommation de l’électricité qui était perçue auparavant par les départements, seront mobilisées et fléchées sur les investissements permettant de renforcer les réseaux électriques. L’idée est, notamment, de rassurer les territoires qui ont été frappés par des épisodes climatiques importants.
 
- Concrètement, quels investissements seront privilégiés ?
- EDF s’occupe des investissements à haute tension pour un montant de 40 millions € par an. Il a la volonté d’établir des plans micro-régionaux par vallée, en concertation avec les syndicats d’électrification qui, eux, s’occupent de la basse tension. Ils vont solliciter les moyens, notamment, du Comité de massif qui a prévu, dans ce cadre-là, 28 millions € sur 5 ans. L’intervention se fera sur quatre axes : d’abord, renforcer et sécuriser les réseaux existants. Ensuite, étendre les réseaux pour les particuliers, les agriculteurs et les opérateurs publics. Par exemple, le Parc naturel avec l’électrification des refuges. L’idée est de raisonner par vallée et par territoire pertinent géographiquement. Comme ça a été le cas, dernièrement, à Casaluna où, suite aux problèmes liés à la neige, 1 million € a été programmé par le syndicat d’électrification sur 3 ans, dont 80% financé par le Comité de massif, et 5 millions € par EDF pour sécuriser l’alimentation électrique.
 
- Quelles microrégions sont concernées ?
- Nous avons parlé d’investissements à l’échelle globale sur l’ensemble des territoires, notamment sur des zones contraintes de la montagne corse. En point de mire, nous avons acté une réunion, le 9 avril, associant les deux syndicats d’électrification, EDF, le service numérique de la Collectivité de Corse et les opérateurs de téléphonie. L’objectif est de mutualiser les moyens et les travaux, notamment dans une logique d’enfouissement des lignes, pour éviter le cloisonnement des démarches, et améliorer de manière importante la desserte des territoires en électricité, téléphonie, Internet et fibre. Aujourd’hui, on fait, à chaque fois, des saignées sous maîtrises d’ouvrages différentes pour enfouir les lignes. Il faut mutualiser les solutions techniques, même avec les travaux d’eau et d’assainissement. L’idée est, au moment où un grand chantier d’eau et d’assainissement s’ouvre dans une commune, de mutualiser, quand c’est possible, l’enfouissement des réseaux téléphonique, numérique et électrique. Cette anticipation sur les besoins et les projets initiés est fortement demandée par les vallées de l’intérieur et fera l’objet d’une planification lors de la réunion d’avril.
 
- Les attentes sont fortes en matière de rénovation des routes secondaires. Où en est-on ?
- Le schéma du réseau secondaire routier doit programmer de manière très concrète ce qui est prévu dans le Plan pluriannuel routier adopté l’an dernier. 40 à 45 millions seront mobilisés chaque année sur 10 ans pour la rénovation de ce réseau. Le but est de mettre en œuvre une politique routière de qualité, de renforcer les réseaux et les rendre accessibles et utilisables, notamment dans des vallées comme celle de Chiatra-Pietra di Verde-Canale di Verde, qui ont pâti d’une déficience d’investissements par le passé. Ce schéma fera l’objet d’une présentation dans le prochain Comité de massif prévu dans les deux mois.

- Qu’en est-il de la problématique fiscale ?
- Nous avons évoqué la possibilité d’obtention d’éléments et de moyens complémentaires, notamment au travers de la zone fiscale prioritaire de montagne. Ce débat pour une fiscalité adaptée existe dans d’autres territoires ruraux et montagnards français. Le ministre Bruno Le Maire s’était engagé à faire un bilan de tous les dispositifs de zones de revitalisation rurale existants pour vérifier leur fonctionnement et à présenter ce bilan en juin à l’Assemblée nationale. Eventuellement, à envisager d’autres dispositifs fiscaux pour les territoires contraints, comme c’est déjà le cas dans les bassins de vie miniers du Nord de la France.
 
- Avec la mise en place de zones franches ?
- Oui ! Une zone fiscale prioritaire est une défiscalisation renforçant l’attractivité pour les entreprises, éventuellement aussi pour les particuliers, même si là, on se heurte à l’administration centrale et au principe d’égalité devant l’impôt, et même si, en ce qui nous concerne, nous pouvons le contester. Obtenir pour les entreprises une défiscalisation importante dans les filières correspondant au développement de notre territoire renforcerait, à côté des réseaux et des infrastructures, leur attractivité. Nous avons parlé, aussi, de la nécessité, en matière de service public d’éducation et de santé, d’adapter les normes de fonctionnement des cartes sanitaires et de maintenir ouvertes les écoles primaires et les classes. Sur ces volets du schéma Montagne, la renégociation de postes dans l’Education nationale et les débats au coup par coup inhérents aux déserts médicaux prouvent que l’administration centrale n’a pas pris en compte les recommandations de la Loi Montagne.
 
- Qu’allez-vous faire concrètement ?
- Il s’agira, pour nous, de traduire le Schéma de ce point de vue-là et d’avancer concrètement. Nous avons prévu des rendez-vous avec le rectorat et l’ARS (Agence régionale de santé). Concernant la santé, il y a des cas critiques, notamment au Niolu où il n’y a plus de médecins, mais aussi en Centre Corse. Si on n’anticipe pas les départs à la retraite des médecins de Corte et de Ponte-Leccia, on sera bientôt confronté à une grosse crise. Sans éducation et sans santé sécurisées, sans infrastructures pour le développement économique, le château de cartes ne tiendra pas !

- Siéger au Conseil national de la montagne est-ce important ?
- Oui ! C’est une façon de reconnaître le Comité de massif corse. Le Conseil national avait essuyé beaucoup de critiques parce qu’il ne se réunissait pas. L’actuelle gouvernance, comme l’ancienne d’ailleurs, en renouvelant la loi montagne en décembre 2016, fait de ce Conseil un lieu de débats. C’est important pour l’adaptation des normes. J’y siégerai avec Nelly Lazzarini, bergère de son état, présidente de la filière Casgiu Casanu.

- Face aux attentes très fortes des élus, vous êtes resté très prudent. Pourquoi ?
- Je leur ai dit que nous avions des moyens. Le schéma montagne, adopté par l’Assemblée de Corse le 24 février 2017, est doté de 182,3 millions € sur 7 ans (2017-2024). Mais, l’ampleur du rattrapage à opérer sur l’énorme retard accumulé peut démobiliser certains acteurs. Ils disent qu’il y a tellement de choses à faire qu’on ne peut pas y arriver. Face à cet état d’esprit, nous avons ciblé deux points : l’optimisation des outils existants, même s’ils sont insuffisants, et l’obtention pour la montagne corse, dans les discussions avec le gouvernement, de moyens spécifiques. Style les zones prioritaires de montagne, ou la remise à niveau normal du fonds national d’aménagement du territoire Montagne avec celui de massifs équivalents en espace km2, comme le Jura… ce serait un bon signe ! Le Jura dispose, en cofinancement Etat, de 14 millions € par an, là où la Collectivité de Corse ne reçoit, depuis 2002, que 150 000 € l’an.
 
- Les politiques agricole commune (PAC) et de cohésion de l’Union européenne (UE) sont en débat à Bruxelles. Qu’en attendez-vous ?
- Les programmes opérationnels FEDER (Fonds européen de développement régional) et FEADER (Fonds européen agricole de développement rural) sont essentiels. C’est pour cela que nous sommes allés en Bulgarie, qui détient la présidence européenne pour six mois, avec le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni. La Bulgarie a des territoires de montagne, qui se dévitalisent fortement, et défend la politique de cohésion. Le Brexit engendre des problèmes budgétaires qui peuvent se traduire par une réduction des aides européennes aux régions et territoires, y compris en matière de PAC. Aussi nous continuons le lobbying pour que le niveau général de ces aides soit maintenu et orienté vers la stratégie du développement, y compris du Schéma Montagne. L’idée est d’obtenir une forte augmentation de l’aide à la production agricole en argumentant sur la disparité entre le poids de l’agriculture (1% du PIB) et du secteur touristique. Renforcer la production locale éviterait d’importer des matières premières agricoles et de générer des émissions de dioxyde de carbone importantes dans des îles où il y a déjà beaucoup de trafic touristique et de marchandises. Nous avons des arguments à faire-valoir pour peu que Paris soit partenaire.
 
- Justement l’échec du dialogue avec Paris sur la réforme constitutionnelle peut-il avoir un impact ?
- A Paris, du côté de l’Exécutif national, plusieurs tendances s’affrontent avec une tendance lourde, très condescendante vis-à-vis des territoires en général et de la Corse en particulier. C’est évident quand on voit, de manière générale, les contrats Etat-Région qui sont proposés, et qu’on regarde, concernant la Corse, la nature des discussions et la remise en cause, d’une semaine sur l’autre, de ce qui avait été acté, notamment l’habilitation permanente devenue l’habilitation au coup par coup. C’est significatif ! Par le fait également du refus du transfert de la fiscalité du patrimoine pour régler les successions, malgré la demande unanime des élus corses. La technocratie parisienne très puissante a une méfiance, une défiance vis-à-vis des territoires, elle n’a pas la culture des territoires. Il faut, donc, ne pas se battre seul, mais se regrouper avec d’autres acteurs locaux pour défendre ensemble le fait territorial et les demandes spécifiques légitimes de chacun.
 
- Est-ce une piste que vous explorez aujourd’hui ?
- Oui ! Quand on voit la réponse apportée à chaque territoire par l’Etat, on comprend qu’il faut se mobiliser en Corse et avec d’autres territoires, y compris les autres Comités de massif. Il faut, aussi, confronter l’Etat à ses engagements, ses discours, voire ses contradictions, quand il dit qu’il accompagnera le développement de la Corse. Qu’il accorde, donc, la mise à niveau normale, équitable, du fonds national d’aménagement montagne, qu’il défende la Corse dans la nouvelle PAC et la nouvelle politique de cohésion en prenant des engagements fermes et définitifs. Y compris pour la fiscalité puisque la Corse fait partie des territoires contraints de la République. Il n’est pas question qu’on admette des zones franches dans le Nord de la France et qu’on les refuse à la Corse avec les contraintes objectives qu’elle a. Dans les discussions, l’Etat a montré des signes possibles d’avancées qu’il doit concrétiser, sauf à faire preuve d’une défiance totale et définitive.
 
- La venue annoncée d’une vague de ministres dans l’île va-t-elle, selon vous, changer quelque chose ?
- Historiquement, chaque fois que l’Etat a tenu des discours condescendants et montré son manque de volonté d’aboutir à des solutions politiques, institutionnelles et fiscales pérennes, il a toujours envoyé des vagues de ministres. C’est une attitude que l’on connaît ! La question est de savoir quelles sont les marges de manœuvre entre le jeu et la discussion de lundi dernier, assez fermés, mais apparemment pas définitifs en termes de contenu, et l’arrivée des ministres sur l’île. Il faudrait des discours et une avancée vraiment qualitative pour que l’on prête une attention réelle à la venue de chaque ministre. Aujourd’hui, on peut en douter ! Il s’agit juste de matérialiser une image de l’Etat au chevet de la Corse, mais sans faits concrets, ni économiques, ni fiscaux, ni institutionnels dignes de ce que nous demandons. La balle est dans le camp de Paris, c’est au gouvernement de faire preuve d’un peu plus de hardiesse et de clarté, parce que les Corses, eux, sont très clairs aujourd’hui.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.


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