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Assemblée de Corse : Le rapport Colonna sur l’autonomie vire à une mise au point entre Nationalistes


Nicole Mari le Vendredi 30 Juin 2023 à 20:13

Le débat à l’Assemblée de Corse, vendredi, autour du rapport de la Commission des compétences législatives et règlementaires sur un statut d’autonomie pour la Corse, a viré à une sévère mise au point entre Nationalistes, notamment de la part de Core in Fronte à l’encontre du PNC et de Corsica Libera. En ligne de mire : la session du 4 juillet et le vote d’une délibération commune qui servira de référence à Paris pour l’établissement d’une potentielle réforme constitutionnelle. Core in Fronte a enjoint le mouvement national d’oublier ses rancoeurs et de faire front commun dans l’intérêt de la Corse.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
C’est une admonestation ferme et sans fioriture qui a focalisé le débat sur le rapport de la Commission des compétences législatives et règlementaires intitulé « Vers l’autonomie de la Corse » - dit rapport Colonna, du nom du président de ladite Commission - qui s’est tenu vendredi à l’Assemblée de Corse. Un débat complètement squeezzé par la session extraordinaire du 4 juillet où sera présenté le projet d’autonomie de la Corse du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni. La session de mardi prochain doit impérativement déboucher sur une délibération qui contiendra le projet qui sera transmis à Paris au ministre de l’Intérieur et au Président de la République. Pour cela, elle demande à minima une entente de l’ensemble du mouvement national, une « Intesa », comme a expliqué, en introduisant le débat, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis : « L’entente, c’est ce qui a permis au Trentino Alto Adige ou Sud Tyrol de construire un statut dans un contexte historique d’adversité, troublé, difficile. Ils ont réussi malgré les dissensions et la violence politiques à construire une autonomie et à faire de la région, la plus riche d’Italie avec un niveau de bien-être très élevé ». Une façon de prévenir qu’il n’y a pas d’autre chemin pour les Nationalistes, s’ils veulent vraiment l’autonomie, que celui de l’entente. Et, c’est là que le bât blesse ! Les négociations à huis-clos des jours derniers se sont heurtées aux rancœurs mal digérées et à des querelles intestines qui n’ont pas grand-chose à voir avec le sujet du moment, mais pour les anciens alliés d’hier adhérer à un projet porté par la majorité territoriale, même s’il répond à une revendication largement partagée, équivaut d’aller à Canossa. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils n’avaient aucune envie de s’y résoudre, ce qui leur a valu la sévère admonestation de Paul-Félix Benedetti qui s’est livré à un véritable plaidoyer pour l’union.

Paul-Félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Paul-Félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Un état d’esprit
La veille, le président de Core in Fronte, avait déjà, dans les couloirs de l’Assemblée, annoncé la couleur : « J'accepte un projet d'autonomie au nom de la démocratie, au nom des sacrifices, au nom de notre devoir par rapport à l'histoire. C'est une première étape de la feuille de route et ne pas l'accepter aujourd'hui, c'est se positionner en traîtres de la Corse ». Le mot volontairement dur a suscité la colère du PNC-Avanzemu et de Corsica Libera à qui il s’adressait, mais, pour le leader indépendantiste, il n’est pas question de se tromper de combat et de rater l’opportunité historique qui semble se profiler. Et il l’a redit, vendredi matin, dans l’hémicycle, en lançant un nouveau coup de pied dans la fourmilière. « On est dans une trajectoire historique, c’est pour cela qu’il ne vient pas à l’esprit du patriote que je suis de considérer que d’autres patriotes sont des traîtres. Hier, j’ai eu un propos dur, mais j’ai cherché à susciter des logiques de rassemblement, de convergence car notre projet est commun. C’est le projet d’une histoire de la Corse qui nous a apporté beaucoup de larmes, parfois des moments de grâce lors des négociations précédentes quand on a obtenu la reconnaissance du peuple Corse et notre droit à la réparation historique, et que c’est simplement le Conseil constitutionnel qui nous a privés de cette avancée politique. Aujourd’hui, on est confronté à ce même dilemme. La mouvance nationaliste est dans l’obligation de converger ». Et de préciser : « La convergence, ce n’est pas le vote d’un moment, c’est un état d’esprit, et dans le cadre de cet état d’esprit, il doit y avoir une vision stratégique forte ».
 
Le temps des mariages
Si Paul-Félix Benedetti n’élude rien des dissensions qui déchirent le mouvement national, il siffle aussi la fin de la récréation : « La majorité territoriale s’est-elle bien comportée par rapport à sa minorité patriotique ? Non ! Mais, parce qu’il y a eu une petite dérive autocratique drapée de procrastination, on va se donner le droit de saborder une démarche de 50 ans ? Non ! ». Revendiquant « d’avoir des mots crus qui traduisent souvent le fond d’une pensée collective », il rappelle aux Nationalistes : « Nous sommes une famille avec nos problèmes d’infanticide, de parricide, de partage, mais de temps en temps, on doit savoir faire des mariages et des baptêmes comme dans toutes les familles. J’espère que, dans 5 jours, on aura la possibilité d’avoir un socle patriotique, pas sur un texte, mais sur un état d’esprit ». C’est-à-dire, ajoute-t-il, « d’acter une étape de souveraineté partagée qui s’appelle l’autonomie, et d’autonomie, il y en a qu’une ! ». Et d’interroger : « L’autonomie peut-elle faire peur à un groupe progressiste ? Je ne pense pas ! Quand nous, Indépendantistes, demandons le droit à l’autodétermination, c’est un vote démocratique, à qui fait-il peur ? A ceux qui ne sont pas démocrates, aux aventuriers, aux factieux, aux affairistes, aux maffieux ! ». Et d’asséner : « Je ne comprends pas à qui ça ferait peur d’avoir un peu plus d’administration locale, un peu plus de proximité dans les prises de décisions par la prise en compte de la géographie, des reliefs, des cultures, des lois de vallée… La Corse ne pèse rien dans la dominante politique française, mais si collectivement et massivement, nous avions une demande homogène qui n’est pas le quantum pour tous, mais laisse la possibilité de l’ouverture et de l’évolution, on peut se retrouver. Toute la force qui nous anime est cette volonté d’acter un acte politique, un acte d’amour pour la Corse. On est tous animé par des inimitiés, des rancoeurs. Pensez-vous que l’ancien Rinnovu n’a pas un ressenti négatif quand on l’a laissé sur le bord de la route pendant des dizaines d’années ? Doit-on en faire état de manière permanente ? On peut le faire, mais on n’a pas le droit de le faire ! ». Il se tourne vers Jean-Christophe Angelini et Josepha Giacometti et leur lance : « Je ne suis pas schizophrène, je ne peux pas être le soir à un rassemblement de soutien et ensuite faire des sous-entendus. Je vous le dis dans les yeux : on doit converger. On n’a pas le droit de passer à côté au prétexte qu’il y a une attitude dominante que l’on n’accepte pas. On doit imposer une démarche collective qui est la démarche du patriotisme corse ». Et d’ajouter en montrant la droite : « Si on n’y arrive, ensuite on pourra aller les voir ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Ne pas confondre !
Les mots font mal et font mouche. L’élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti, ne parvient pas à cacher son malaise. « Il n’y a pas ici de gens qui ont plus de légitimité que d’autres de décerner des labels du mouvement national, les bons et les mauvais points ». Elle se défend d’être « ni animée de rancune, ni animée d’inimitié, ni animée d’une volonté de saborder une démarche historique ». Et tente, non sans mal, de justifier sa posture d’opposition : « Vouloir porter sincèrement en participant, en étant critique, 50 années de combat, vouloir être à la bonne hauteur des enjeux et considérer que le compte n’y est pas, je ne pense pas que ce soit du sabordage. Le courant, que je représente, a participé à la volonté d’une construction nationale commune, y participera… ». Mais reconnait-elle : « Il y a beaucoup de choses qui doivent, d’abord, être posées et débattues ailleurs que dans cet hémicycle au détour d’un rapport de commission. Ne confondons pas l’appel à la construction nationale et la précipitation d’une convergence autour d’un rapport. On est dans deux exercices différents. La construction nationale est patiente, longue, elle a été mise à mal par des divisions, elle a été piétinée. Elle doit se rebâtir, et on ne le fait pas en quelques jours en appelant à la convergence autour d’un rapport ». Autrement dit, autonomie ou pas, la convergence n’est pas encore à l’ordre du jour !
 
Ne pas se tromper de cible
Tout aussi mécontent et gêné, le leader du PNC, Jean-Christophe Angelini, sait bien que son collègue indépendantiste vient de lui couper l’herbe sous les pieds : « Il y a cette idée relative à la famille nationaliste. Ce n’est pas un propos inspiré par la rancœur. Ce qu’il s’est passé en 2021, était-ce une erreur politique ? Non ! C’était une faute ! Cela doit-il conduire à conditionner notre vision et notre contribution à une évolution politique d’un demi-siècle avec peut-être au bout une sortie ? Non ! On est dans un esprit de responsabilité, on peut avoir une lecture extraordinairement critique des deux années écoulées et puis ne pas se tromper de cible, c’est important quand même de le dire à ce stade, le suffrage universel a tranché ». Pour lui, la question est : « le chemin pour ce pays. Il faut poser la question des choix de société, mais ce débat-là ne vient pas. Les institutions ne sont jamais que des moyens, si elles deviennent des finalités, elles deviennent un problème. Si nous avons des divergences fondamentales, ça pose d’autres types de difficultés ». Il revient sur le rapport qui, selon lui, a le mérite de clore le débat entre la capacité à résoudre les problèmes du quotidien et les fondamentaux : « On voit bien que si cette collectivité avait les moyens d’être autonome, elle permettrait de régler quantité de problèmes que l’on dit pouvoir régler à droit constant, alors même que l’histoire politique des 30 dernières années vient dire le contraire. Il y a nécessité de trouver ce point d’équilibre ».
 
Un point d’entrée
Jean-Christophe Angelini se veut malgré tout positif : « La Corse est la préhistoire en termes d’institutions en Méditerranée, ce que l’on demande est très en deçà de ce que vivent des Européens depuis des décennies. L’autonomie, c’est de pouvoir, dans un cadre déterminé, légiférer et règlementer. Je ne crois pas avoir entendu le contraire à Paris, même si ça relève d’une espèce de tabou parce que Paris craint le risque de la contagion. Le fait qu’on puisse légiférer, beaucoup s’en contrefoutent ! Ce qui les hantent, c’est que demain, les Catalans, les Basques… demandent la même chose ». Reste pour le leader du PNC deux inconnues : « Que va-t-il se passer à Paris ? Je fais le pari qu’une évolution est possible. Pour que le processus fonctionne, il faut qu’il soit celui du peuple corse, c’est le sésame ! Il faut que puisse émerger de cet hémicycle une forme d’aspiration commune ». Et d’avertir : « Mardi, c’est un point d’entrée, pas un point d’arrivée. Si on fait la révision constitutionnelle, on entre dans un tunnel politico-juridique de plusieurs années. Ne nous mettons pas la pression ! Ce n’est pas mardi que le sort de la Corse sera scellé pour les 50 ans à-venir. Ca va prendre du temps ! ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Un temps contraint
Ce n’est pas l’avis du député de Femu a Corsica, Jean-Félix Acquaviva, pour qui il ne faut pas relativiser l’opportunité donnée : « Déjà que c’est complexe d’évoluer dans un débat politique français touché par d’autres éléments qui risquent de bousculer le calendrier politique, mais si, de surcroît, nous ne sommes pas en mesure de définir collectivement - parce que c’est ça l’essentiel ! -  la question qui sera posée au référendum, si on remet à l’Etat, par des divergences mues par des sujets de second ordre, la possibilité de piocher entre les différentes tributs, c’est lui qui posera la question à la place du choix collectif convergent qui aurait été le nôtre. C’est dans ces termes que se joue le débat du mois de juillet et des jours qui suivent ». Il rappelle que le temps est compté et que la Corse doit se faufiler dans un trou de souris, si elle veut profiter de la réforme constitutionnelle : « Il faut être très pragmatique en matière de calendrier. S’il y a réforme constitutionnelle, elle ne pourra se réaliser que dans un temps très contraint, celui de la fin de l’année 2023 ou du premier semestre 2024 au plus tard, Nous ne discutons pas en valeur absolue, comme si nous avions le temps ».
 
Une vision majoritaire
Si le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, n’apprécie visiblement pas certains propos de ses anciens alliés, il n’entend pas se tromper de débat, ni dévier du sujet du jour. Il s’en tient à une explication méthodologique, aux grands principes et aux enseignements du rapport Colonna : « Nous nous sommes largement inspirés de ce rapport pour introduire le débat de mardi prochain. La première vertu est la définition de l’autonomie, le terme peut être polysémique selon les interlocuteurs. Le concept d’autonomie de plein droit et de plein exercice n’est pas une façon de choisir entre les différentes modalités possibles, mais une façon de rappeler que l’autonomie, dont nous parlons depuis 1973, est le transfert du pouvoir législatif. Nous avons posé clairement ce que l’autonomie n’est pas nulle part, et ce qu’elle est toujours et partout ». Il interpelle la droite : « Si vous restés sur votre position de pouvoir d’adaptation, c’est une proposition d’évolution institutionnelle, une décentralisation plus poussée, mais pas une proposition d’autonomie. Le statut d’autonomie avec un pouvoir législatif et un certain nombre de fondamentaux doivent servir de base de travail. Je suis sûr que cette vision est très majoritaire aujourd’hui en Corse ». Et d’interroger : « Sommes-nous capables de mettre en forme cette proposition d’ici le 14 juillet, y compris en intégrant nos différences et en laissant de côté un certain nombre de difficultés qui ne seront pas traitées d’ici là ? ».
 
La bandera et le frigidaire
A ceux qui lui objectent les dissensions internes, le président Simeoni réplique : « Parmi les millions d’Européens qui vivent heureux un statut d’autonomie, il y a des Indépendantistes qui continuent à se battre pour l’indépendance de leur territoire, des libéraux, des gens de gauche, des démocrates sociaux, des coalitions gouvernementales qui se font, se défont et se recomposent… C’est la vie de la démocratie. Par contre, tous nous disent que ça marche, que l’autonomie fonctionne au plan politique, économique ». Pour lui, « l’autonomie est un pari collectif, la capacité à croire en nous, à construire ce pays, à faire ce que les autres ont fait. Pourquoi ne serait-on pas capable de faire comme les Kanaks qui se sont formés, nous qui avons une ressource humaine extraordinaire, ici et dans la disapora ? ». A ceux qui la craignent, il riposte : « Ce rapport réconcilie l’idéal et le quotidien, la bandera et le frigidaire. Nous Nationalistes, on n’a pas envie que notre peuple ait le frigidaire vide ! L’autonomie va-t-elle nous rapprocher de l’autonomie alimentaire et énergétique, ou nous en éloigner ? Va-t-elle nous rapprocher d’un système de production rigoureux qui crée de la richesse, ou nous en éloigner ? Va-t-elle nous rapprocher d’un système de justice sociale et de solidarité, ou nous en éloigner ? C’est cela les questions fondamentales ! Tous ceux que nous avons auditionnés nous permettent de penser qu’elle va nous en rapprocher ». Et de conclure : « De quoi avons-nous peur ? Nous devons avoir un discours ambitieux pour notre pays, de confiance et de conscience des difficultés. Quelque soit le résultat de mardi, il y aura encore beaucoup de travail et de chemin à faire, mais il faudra faire vite dans un temps qu’on devra respecter. C’est un processus complexe, mais réalisable et réalisé. Ce sera sans doute une autonomie sui generis, originale, parce que nous pouvons inventer et réussir notre propre chemin vers l’émancipation ».
 
N.M.