"Assassini, maffiosi, fora !" Les slogans résonnent dès les premiers mètres du cortège parti de la gare. En tête, des manifestants brandissent des pancartes frappées de messages forts : "U silenziu tomba", "A maffia tomba, u silenziu dinò". Parmi eux, des élus de tous bords, parlementaires et membres de l’Assemblée de Corse, ont pris place dans le cortège, affichant un soutien discret. « Ce n’est pas le jour de la récupération politique », souffle l’un d’eux, traduisant une volonté générale de laisser la parole aux collectifs et aux citoyens. Pourtant, si pour tous il était "important d’être présents aujourd’hui" ,certaines absences interrogent.
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Devant la préfecture, Josette Dall'Ava Santucci du collectif A Maffia Nò – A Vita Iè ouvre les prises de parole : "Cette journée prouve que nous avons amorcé une autre ère. Ce que veulent les mafieux, c’est notre silence et notre soumission."
Un appel à la mobilisation repris par Jérôme Mondoloni, du collectif Massimu Susini qui dresse un bilan lourd de la criminalité en Corse : dix élus assassinés en vingt ans, des pressions sur les entreprises, des incendies criminels et un taux d'élucidation proche de zéro. Il rappelle que les collectifs militent pour une évolution de la législation, notamment avec l'introduction d'un délit d'association mafieuse, critiqué par certains comme liberticide. "Soit on se couche et on dit qu’il n’y a rien à faire, que ça a toujours été comme ça, soit on soutient nos députés qui se battent à l’Assemblée nationale pour faire évoluer la loi." lance-t-il, déterminé.
Un préfet qui prend position, un fait rare
C'est ensuite le préfet de Corse, Jérôme Filippini, qui prend la parole. Mégaphone en main, il grimpe sur l’estrade improvisée et s’adresse directement aux manifestants dans la rue. L’image est rare, le geste aussi inattendu que symbolique. "Cela n’arrive pas souvent dans la vie d’un préfet de faire cela." reconnaît-il. Il réaffirme d'abord le soutien de l'État : "Je suis venu dire, au nom de l’État, que le rassemblement d’aujourd’hui a notre soutien et peut nous donner confiance." Puis, sans détour, il dénonce : "La mafia, il faut l'appeler comme telle. Arrêter de tourner autour du pot. La mafia, c'est une ou plusieurs organisations qui veulent prendre le pouvoir. Mais le pouvoir doit appartenir aux élus désignés par la volonté populaire." Enfin, il plaide pour une relation renouvelée entre l'État et la Corse : "La Corse et la République doivent se faire confiance et se tenir la main. Sinon, le crime a déjà gagné." Des mots accueillis par une salve d’applaudissements.
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Un appel à l'engagement citoyen
Devant la Collectivité de Corse, Jean-Toussaint Plasenzotti et Léo Battesti prennent la parole pour clore cette journée de mobilisation. Jean-Toussaini Plasenzotti insiste sur la nécessité de ne pas céder à l’intimidation. "Le pouvoir d’intimidation est ce qui fait la puissance de la mafia", rappelle-t-il, avant de s’exprimer en corse : "La mafia ne porte rien de notre identité. La mafia n’a jamais rien créé, elle pille."
Léo Battesti, lui, dénonce les obstacles rencontrés dans l’organisation de la manifestation. "Nous avons ferraillé pour arriver jusqu’ici, car nous avons eu face à nous soit de l’incompréhension, soit un affect qu’on nous a accusés d’exploiter. Mais ce sont ceux qui ne sont pas là aujourd’hui qui l’ont exploité." Il s’appuie sur les chiffres du SIRASCO, qui recense 25 bandes criminelles sur l’île, et pointe l’impunité qui entoure les attaques contre les commerces : "Il faut qu’aujourd’hui on arrive à trouver des coupables, parce que l’impunité, ça suffit dans ce pays !"
Mais la lutte ne se limite pas aux poursuites judiciaires. "L’éducation est un levier essentiel", insiste-t-il, annonçant un partenariat avec l’Éducation nationale : "Dès la classe de quatrième, nous allons sensibiliser les élèves à la lutte contre la mafia." Un programme qui nécessite des forces vives : "Nous avons besoin de dizaines d’intervenants, car c’est là que nous allons construire notre société." Il souligne aussi un changement d’attitude de l’État, longtemps focalisé sur la lutte contre le nationalisme au détriment du crime organisé. "Aujourd’hui, l’État a changé de stratégie. Jusqu’à quand ? On ne peut pas le dire." Mais un signe ne trompe pas : "Voir le préfet monter sur l’estrade, mégaphone en main, pour soutenir la lutte contre la mafia, c’est une satisfaction."
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