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André Paccou : "Dire mafia ou criminalité organisée, ça ne nous dérange pas"


Naël Makhzoum le Mercredi 16 Novembre 2022 à 18:03

Invitée à participer à la session extraordinaire de l'Assemblée de Corse qui se tiendra ce vendredi 18 novembre, la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) est accusée par les collectifs anti-mafia insulaires de ne pas reconnaître l'existence de la mafia, et de ne pas être légitime pour prendre part au débat. Son président en Corse, André Paccou, défend la place de la Ligue dans l'hémicycle et veut ouvrir les échanges.



André Paccou. Archives CNI
André Paccou. Archives CNI
- Qu'attendez-vous de cette session extraordinaire de vendredi ?
- Nos attentes sont simples : la LDH partage une même inquiétude avec les collectifs anti-mafia par rapport à ce que certains appellent la mafia, d'autres la criminalité organisée. La Ligue considère que ce débat prolonge un certain nombre de mobilisations qui ont eu lieu ces dernières années sur ces problématiques. Elle y participe car c'est un débat de société, sur son devenir et notre capacité à l'orienter vers une société qui ne soit pas sous une emprise grandissante de ces violences criminelles. La Ligue est invitée dans le prolongement de ce qu'elle fait depuis de nombreuses années.

- Que répondez-vous aux collectifs anti-mafia qui s'interrogent sur votre venue ?
- L'Assemblée de Corse nous y invite donc nous avons la légitimité d'une assemblée qui représente de manière démocratique la société corse. La LDH s'interroge depuis très longtemps sur la criminalité organisée dans notre société, elle est même née d'un combat fondateur contre toute justice d'exception. C'est un combat de principes dont ceux du procès équitable, notamment le droit de se défendre.

- On vous accuse de dire que la mafia n'existe pas. Pour vous, doit-on parler de mafia en Corse ?
- C'est un débat. Dire mafia ou criminalité organisée ne nous dérange pas. Nous avons au sein de notre bureau des personnes qui parlent de mafia et militent même dans l'un des deux collectifs, d'autres qui disent qu'il n'y en a pas. Ça ne dérange pas la LDH que dans sa structure et même dans leur parole publique, certains ligueurs utilisent le mot mafia, d'autres criminalité organisée. La LDH n'est pas un collectif anti-mafia donc le mot mafia ne doit pas être une condition minimale pour y adhérer. Là où il y a un accord entre tous, c'est celui d'un refus de la justice d'exception.

-Les collectifs anti-mafia insulaires réclament un renforcement de l'arsenal législatif. Est-il aussi nécessaire pour vous ?
- La revendication première des collectifs est de vouloir créer un délit d'association mafieuse. La Ligue observe - avec d'autres - que dans le dispositif actuel de la législation pénale française, ça existe car ça articule l'association de malfaiteurs et qu'il peut y avoir comme cause aggravante "en bande organisée". Quand ces deux incriminations sont posées pour lutter contre des réseaux de voyous, on a exactement les mêmes possibilités d'intervenir que ce qui existe dans la législation italienne.
On a même quelque chose en plus car dans la législation française, sont considérés comme faisant partie d'une bande de voyous ceux qui sont à la préparation de l'action. En préparation, vous êtes logés à la même enseigne que ceux qui sont à l'exécution : celui qui va faire un repérage comme le tueur. Or, celui qui tue a fait quelque chose de plus grave que celui qui guette, c'est l'importance de la personnalisation des peines.

- Un autre point de discorde avec ces collectifs insulaires est votre opposition à certaines actions de la Jirs ? Êtes-vous fondamentalement opposés à son utilisation ou reconnaissez-vous l'utilité de cet outil dans cette lutte ?
- Se donner un outil spécialisé pour lutter contre la criminalité organisée ne choque pas la Ligue. Nous ne sommes pas contre une justice spécialisée qui s'appuie sur les compétences nécessaires à mener cette lutte. La LDH est contre des mesures qui sont dérogatoires au droit commun, notamment - et c'est notre travail de vigie par rapport au droit - lorsqu'il existe des mécanismes qui portent atteinte au droit à la défense, à la présomption d'innocence. C'est le cas de la Jirs qui, dans ses mécanismes, introduit des risques d'atteintes à ces droits. En un mot : la Jirs oui, mais dans le respect du procès équitable.

- Vous estimez donc que la balance bénéfices/risques de la Jirs pense plutôt du mauvais côté...
- Ce qu'on pense est ce qu'avait dit la commission nationale consultative des droits de l'homme lors de la création de la Jirs : c'est une juridiction qui s'appuie sur des mécanismes d'exception et déséquilibre l'égalité entre l'accusation et la défense. Il faut être très vigilant là-dessus. 

- Que compte faire entendre la LDH durant cette session ?
- Il faut avoir un débat sur le devenir de notre société. Nous partageons avec les collectifs le fait de vivre dans une société en danger et non pas dangereuse, qu'il n'y a pas de fatalité. Il faut faire en sorte de créer les conditions pour que nous luttons contre la criminalité organisée. Ça nécessite un débat de manière à renforcer la participation citoyenne, pour qu'il puisse mobiliser la société corse. De ce vendredi, nous attendons vraiment de poser les bases pour renforcer la prise de conscience de ce danger et faire une plus grande association encore des structures citoyennes et des élus dans ce combat.

Propos recueillis par Naël Makhzoum