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Affaire de la Corsica Ferries : Le préfet Lelarge met en demeure l’Exécutif corse de payer l’amende de 86,3 millions €


Nicole Mari le Mercredi 17 Novembre 2021 à 21:18

Le préfet de Corse Pascal Lelarge a réagi à l’annonce du Conseil exécutif corse de ne pas inscrire au budget supplémentaire de la Collectivité les 86,3 millions d’euros dus à la Corsica Ferries au titre du contentieux concernant le service complémentaire de la SNCM. Dans un courrier que CNI s’est procuré, il met en demeure le président Gilles Simeoni d’inscrire cette créance sous peine d’insincérité budgétaire et l’informe qu’il peut à titre exceptionnel demander un étalement de la charge.



Affaire de la Corsica Ferries : Le préfet Lelarge met en demeure l’Exécutif corse de payer l’amende de 86,3 millions €
Une mise en demeure de payer. C’est la réponse du préfet de Corse, Pascal lelarge, au président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse (CDC), Gilles Simeoni, concernant l’amende de 86,3 millions € due à la Corsica Ferries en réparation du subventionnement illégal du service complémentaire au bénéfice de l'ex-SNCM. Lundi après-midi, dans une conférence de presse, le président de l’Exécutif confirme que la CDC ne paiera pas l’amende et qu’en conséquence, cette somme ne sera pas inscrite au budget supplémentaire qui sera examiné ce jeudi à la session de l’Assemblée de Corse. « Une décision mûrement réfléchie, mûrement pesée », explique-t-il pour obliger l’Etat à assumer sa pleine responsabilité dans cette affaire qui date des années 2007- 2013, et dans une dette qui plombe les finances de la CDC. Mais une décision à double tranchant puisque le montant de l’amende revêt le caractère de dépense obligatoire, au sens du droit interne, et doit, à ce titre, être inscrit au budget supplémentaire de la CDC.

Pascal Lelarge, préfet de Corse. Photo Michel Luccioni.
Pascal Lelarge, préfet de Corse. Photo Michel Luccioni.
Une créance à honorer
Dans un courrier daté du 17 novembre que CNI s’est procuré, le préfet de Corse, Pascal Lelarge, enjoint le président de l’Exécutif de le faire. « Vous êtes dans l’obligation d’inscrire les montants dus au budget supplémentaire de la Collectivité de Corse qui sera voté prochainement par l’Assemblée de Corse sous peine d’insincérité budgétaire. Aussi il vous appartient de prendre sans délai les dispositions nécessaires pour honorer cette créance afin d’éviter à l’État de devoir vous mettre en demeure de créer les ressources nécessaires, et à défaut d’y procéder lui-même ainsi qu’au mandatement d’office de la somme correspondante ». Le préfet précise, qu’il est « tenu de par la loi d’engager cette procédure dans le délai d’un mois à la suite de la saisine des conseils de la société Corsica Ferries, ceci en vertu de l’article 1er de la Loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public (dispositions reprises à l’article L911-9 du code de justice administrative), sous peine d’engager la responsabilité de l’État ». Il propose néanmoins au président de l’Exécutif d’accepter la proposition du gouvernement d’étalement des charges : « Tout en honorant ce contentieux, vous savez que vous avez la possibilité, à titre exceptionnel, de solliciter auprès des ministres chargés du budget et des collectivités territoriales un étalement de la charge correspondante sur plusieurs exercices budgétaires ».

Un arrêt exécutoire
Pour justifier l’obligation d’honorer la créance, le préfet Lelarge indique qu’il a reçu un courrier du cabinet d’avocats de la Corsica Ferries, daté du 9 novembre « m’informant qu’il n’a pas reçu de réponse au courrier qui vous a été adressé le 14 octobre dernier, sollicitant l’exécution de l’arrêt du 22 février 2021 de la Cour administrative d’appel de Marseille vous condamnant à verser à cette société la somme de 86 304 183 euros assortis des intérêts légaux. Par conséquent, la société Corsica Ferries, par voie d’avocats, me demande de mettre en œuvre la procédure de mandatement d’office afin de recouvrer la créance d’un montant de 94 189 867,94 euros sur son compte (principal et intérêts dus au 8 novembre 2021) auxquels il conviendra d’ajouter les intérêts à courir jusque jusqu’à la date effective du paiement. À cet égard je vous rappelle que l’inexécution de ce versement génère actuellement 14 390,60 euros d’intérêts supplémentaires par jour de retard ». Il rappelle également qu’il avait déjà alerté sur « le caractère exécutoire » de l’arrêt de la Cour d’appel et sur « les provisions insuffisantes » que la CDC avait constitué - 20 millions d’euros – « au regard du montant de la condamnation » et du fait que « le risque contentieux dans cette affaire est connu par la Collectivité de Corse depuis plusieurs années, notamment depuis le jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2017 ». Il estime que la confirmation par le Conseil d’État, le 29 septembre dernier, de la décision de la Cour d’appel a « le caractère de la force de la chose jugée » et qu’il « ne saurait plus être contesté ». Enfin, il affirme que « l’analyse des experts des services de l’État, compétents en la matière, conduit à écarter la possibilité d’un sursis à exécution du fait de la plainte que vous auriez déposé devant la Commission européenne ».
 
Un bras de fer
Pour tenter de trouver une solution à cette crise, l’Exécutif corse a, en effet, lancé deux procédures contentieuses contre l’Etat. La première est une mise en demeure préalable en vue d’engager un procès pour l’obliger à reconnaître sa responsabilité et « à payer les sommes dues au titre de ce contentieux, eu égard à la responsabilité qui est celle de l’Etat dans la définition du contenu et dans la mise en œuvre de la DSP (Délégation de service public) illégale ». La seconde est un appel devant la Commission européenne pour suspendre la condamnation « du fait des violations manifestes par l’Etat des dispositions des articles 107 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) intervenues dans le cadre de cette procédure ». Si l’Etat reconnaît une co-responsabilité dans cette affaire et se dit prêt à discuter, il refuse obstinément d’en assumer la charge financière, comme divers ministres l’ont laissé entendre à plusieurs reprises. Le courrier du Préfet, qui tombe la veille de la session de l’Assemblée de Corse où sera examiné le Budget supplémentaire, vient confirmer cette position. Si ce courrier veut apparaître comme une procédure normale, il n’en met pas moins l’Exécutif corse au pied du mur. L’Etat pourrait très bien décider de suspendre l’exécution du jugement, à défaut d’en assumer la charge financière, il a choisi plutôt d’en forcer l’exécution tout en répétant sa volonté de discuter. Une bien étrange discussion qui semble dire à la Corse : payez d’abord, on verra ensuite ! Une position jugée, par avance, irrecevable pour l’Exécutif corse. Contacté par nos soins, le président de l’Exécutif n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Il ne pourra pas manquer de s’exprimer jeudi à l’Assemblée de Corse où le courrier préfectoral, qui a été transmis aux élus territoriaux, sera certainement au centre du débat budgétaire. « Notre détermination est totale », déclarait, lundi dernier, Gilles Simeoni. Il y a fort à parier que le bras de fer avec l’Etat ne fait que commencer.
 
N.M.